Home / Publications / La personne morale condamnée doit être l'employeur...

La personne morale condamnée doit être l'employeur de la victime

15/02/2010

Dès lors qu’on se situe dans le contexte d’un groupement d’entreprises ayant pris l’initiative d’une délégation élargie, la responsabilité pénale d’une personne morale ne peut être recherchée que si elle apparaît comme l’employeur de la victime


Le 13 octobre 2009, la chambre criminelle de la Cour de cassation a apporté une précision intéressante quant aux conditions dans lesquelles la responsabilité pénale d’une personne morale peut-être engagée lorsque plusieurs entités juridiquement autonomes ont confié à un même délégataire la mission de veiller au respect de la réglementation d’hygiène et de sécurité de travail à l’occasion d’une activité commune.

1 - L’AFFAIRE

En l’espèce, pour mener à bien les travaux de construction d’une ligne de tramway qui avaient nécessité l’adaptation des réseaux d’assainissement, les personnes morales attributaires du marché – trois sociétés ayant constitué un groupement d’entreprises– avaient délégué chacune leurs pouvoirs en matière de sécurité à un salarié qui n’était uni par contrat de travail qu’à l’une d’entre elles. Lors de la réalisation d’un puits d’accès au réseau d’assainissement, un salarié fut blessé, ce qui entraîna le déclenchement de poursuites pénales contre le titulaire de la délégation de pouvoirs et contre la société qui l’employait, le premier pour blessures involontaires et infractions à la sécurité des travailleurs, la seconde, pour blessures involontaires, sur la base du seul Code pénal, le délit de l’article L. 4741-7 n’étant pas applicable aux personnes morales à l’époque des faits. Relaxés par le Tribunal, ils furent l’un et l’autre condamnés par la Cour d’appel et formèrent alors un pourvoi en cassation qui conduisit à la censure de la décision attaquée au visa de l’article 121-2 du Code pénal.

S’agissant de la réponse au deuxième moyen de cassation, qui seul retiendra notre attention, l’attendu essentiel de l’arrêt est le suivant : « en cas d’accident du travail, les infractions en matière d’hygiène et de sécurité des travailleurs commises par le délégataire de pouvoirs désigné par chacune des sociétés constituant un groupement d’entreprises à l’occasion de l’attribution d’un marché, engagent la responsabilité pénale de la seule personne morale, membre du groupement, qui est l’employeur de la victime. »

Avant de mesurer la portée de la solution quant à la responsabilité pénale des personnes morales, il convient de revenir sur les conditions dans lesquelles peuvent être mise en place des délégations à l’échelle de plusieurs entreprises groupées, solution qui se trouve confirmée de façon implicite par la présente décision.

2 - LA CONFIRMATION IMPLICITE DES DÉLÉGATIONS MULTI-ENTREPRISES

Depuis le début des années 1990, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur la validité de délégations dépassant le périmètre d’une seule entreprise et couvrant l’ensemble des activités de plusieurs entités juridiquement autonomes, soit qu’elles aient formé un groupe de sociétés, soit qu’elles aient opté pour des formes de collaboration temporaire en vue de la réalisation d’un marché le plus souvent rattaché au secteur du bâtiment et des travaux publics.

  • La délégation de pouvoirs en matière d’hygiène et de sécurité

Par deux arrêts en date du 26 mai 1994 (Dr. soc. 1995, p 344, note A. Coeuret), la chambre criminelle a tout d’abord admis que le président de la société dominante d’un groupe avait la possibilité de déléguer ses pouvoirs en matière d’hygiène et de sécurité du travail à un membre d’une société filiale placée sous son autorité hiérarchique. Conforme par ailleurs aux conditions dégagées par la jurisprudence, cette délégation a, dès lors, produit l’effet exonératoire attendu au profit du dirigeant initialement mis en cause (sur le régime de la délégation pénale dans son ensemble, v. E. Fortis et A. Coeuret : Droit pénal du travail, Manuel Litec 4e Ed., 2008, n° 288 et s.).

Une décision postérieure de la même juridiction retint également que le dirigeant d’une entreprise filiale d’une société dominante du même groupe dont le président avait, en tant que chef du groupe, délégué ses pouvoirs en matière d’hygiène et de sécurité à un préposé d’une autre société, pouvait se prévaloir de cette délégation afin d’obtenir son exonération (Cass. crim., 7 févr. 1995, RJS 1995, n° 657). Ces décisions ont déclenché des commentaires multiples notamment quant à la question de savoir si elles autorisaient la délégation à des personnes physiques qui n’étaient plus nécessairement les préposés du délégant (v. not. Y. Reinhard, D, 1995, p. 110).

  • Extension du bénéfice de la délégation à des tiers

Le présent arrêt permet d’une certaine façon de trancher la controverse en faveur d’une telle extension du bénéfice de la délégation à des tiers puisque tel est bien la configuration de celle qui fut mise en place en l’espèce, le rapport contractuel de subordination n’étant ici nullement démultiplié en autant de liens unissant un délégataire unique à des délégants multiples.

En même temps, puisqu’il est parlé de « groupement d’entreprises », on pressent qu’un tel élargissement de la relation traditionnelle entre délégant et délégataire ne concerne que la situation dans laquelle les employeurs, qui invoquent le bénéfice d’une délégation exercée par quelqu’un qui n’est pas leur salarié, sont unis par des intérêts communs. Toute la question est ensuite de savoir jusqu’où s’étend le périmètre de cette solution qui réalise une adaptation originale, mais forcément limitée, du schéma de base où le délégant est en même temps l’employeur du délégataire et peut, par le lien de subordination qui l’unit à lui, exercer un contrôle sur l’accomplissement de la mission déléguée. En effet, un tel contrôle, distinct de toute immixtion, reste essentiel afin d’éviter que les préposés une fois désignés ne se considèrent comme totalement indépendants et développent une action qui pourrait ne plus tenir compte du fonctionnement de l’entreprise dans son ensemble. La sauvegarde du principe d’unité de direction est à ce prix et elle peut conduire le délégant employeur à retirer en urgence la délégation au préposé, solution qui ne devrait pas être analysée comme une sanction disciplinaire (voir en ce sens Cass. soc., 27 janv. 2009, n° 07-43.809, qui énonce que l’employeur peut réduire la délégation de pouvoirs d’un salarié en vue de sauvegarder les intérêts de l’entreprise dans l’attente d’une sanction et qui ajoute qu’il s’agit là d’une mesure conservatoire n’interdisant pas une sanction ultérieure).

Par d’autres décisions, la chambre criminelle a d’ailleurs montré qu’elle restait sensible à de telles considérations notamment lorsqu’elle a fondé sur l’absence de relation d’employeur à préposé l’exclusion de toute possibilité de délégation d’un administrateur judiciaire au débiteur dessaisi dans le cadre d’une procédure collective, s’agissant de poursuites pour entrave au comité d’entreprise prétendument imputables au second (Cass. crim., 28 nov. 1995, Dr. Pén. 1995 comm., n° 164, obs. J.-H. Robert ; dans le même sens : Cass. crim., 30 janv. 1996, Bull. crim., n° 53).

  • Un précédent

Compte tenu de ce contexte, un arrêt rendu par la Haute Juridiction le 14 décembre 1999 mérite une particulière attention en ce qu’il apparaît comme le précédent direct de l’arrêt ici commenté (RJS 2000 n° 350; Dr. Pén. 2000 comm., n° 56, M. Veron).

Dans cette dernière affaire, plusieurs entreprises chargées du gros oeuvre d’un chantier avaient créé une société en participation en vue de la réalisation de ce chantier et elles avaient décidé de déléguer au directeur des travaux de l’une d’entre elles les pouvoirs nécessaires pour veiller à l’hygiène et à la sécurité de l’ensemble des personnes occupés sur le site.

Un accident du travail s’étant produit, les juges du fond, saisis de poursuites pour blessures involontaires par inobservation des règlements du travail, retinrent la responsabilité de ce directeur salarié en estimant qu’il était investi d’une délégation régulière bien qu’il ne fût pas membre de l’entreprise à laquelle la victime appartenait.

Il fut relevé, pour aller dans ce sens, que le représentant légal de chaque entreprise, dont celle qui avait qualité d’employeur de la victime, avait investi ce préposé de l’autorité, de la compétence et des moyens nécessaires à l’efficacité pénale de la délégation de pouvoirs, réalisant ainsi des multihabilitations en faisceau.

À l’époque, nous avions émis l’hypothèse que le directeur de travaux destinataire de ces multihabitations était peut-être devenu, ce faisant, le préposé de chacune des sociétés délégantes, dans la mesure où l’accomplissement de l’objet d’une délégation ayant une telle ampleur constinégligeable de sa prestation contractuelle de travail, point que le juge pénal n’a pas l’obligation de relever expressément, puisqu’il lui suffit pour accomplir son office de constater que le délégataire désigné comme débiteur responsable est celui qui était le mieux placé pour prévenir l’infraction (Droit pénal du travail précité n° 287).

En ce qu’il admet, dans une situation fort voisine, que le comportement du délégataire engage la responsabilité pénale de la société vis-à-vis de laquelle il n’est qu’un tiers, faute de lien de préposition avec elle, l’arrêt du 13 octobre 2009 consolide la solution de 1999 et permet de comprendre que le constat, en la personne du délégataire, de la qualité de salarié de chaque délégant n’est pas une condition préalable du jeu exonératoire de la délégation, dès lors qu’on se situe dans le contexte d’un groupement d’entreprises.

Peut-être le juge civil, saisi d’une telle situation, en viendrait-il à admettre qu’un tel salarié dispose en réalité d’employeurs conjoints. Mais, pour le juge pénal, il est clair que l’extranéité du délégataire vis-à-vis de la communauté de travail dirigée par le délégant qui le désigne comme étant le responsable substitué de l’infraction, n’est en rien dirimante dès lors qu’une solidarité d’activités et d’intérêts unit les entreprises concernées.

Quoi qu’il en soit, il faut en venir à ce qui apparaît comme l’apport essentiel de l’arrêt. On y voit en effet la chambre criminelle s’efforcer de tracer une frontière entre ce qui est imputable à la personne morale et ce qui ne l’est pas, nonobstant les liens qui unissent les différentes entités ayant pris l’initiative d’une telle délégation élargie.

3 - L’IMPACT DE LA DÉLÉGATION MULTI-ENTREPRISES SUR LA RESPONSA BILITÉ DES PERSONNES MORALES

  • L’analyse des juges du fond

La cour d’appel, dont l’arrêt est censuré, avait retenu non seulement la responsabilité pénale du délégataire mais également celle de la personne morale dont ce dernier était le préposé.

Une telle solution procédait du raisonnement suivant lequel le délégataire poursuivi avait agi comme le représentant de cette personne morale et pour son compte, étant relevé par ailleurs que, mandataire du groupement auprès du maître d’ouvrage, cette société avait joué un rôle majeur au sein du groupement d’entreprises, faisant d’elle, en quelque sorte, l’entreprise pilote.

Cependant, il convient de préciser que si les juges du second degré encourent la censure ce n’est pas pour avoir imputé à une personne morale l’infraction commise par un délégataire en violation de ce que prévoirait l’article 121-2 du Code pénal.

Un temps controversé, la qualité de représentant au sens de ce texte a en effet été reconnue à tout délégataire par la chambre criminelle, laquelle a ensuite étendu la solution au subdélégataire (Cass. crim., 1er déc. 1998, Bull. crim., n° 325; 30mai 2000, Bull. crim., n° 206).

En revanche, le désaccord avec le juge de cassation porte en l’espèce sur la ligne de délégation qu’il convient de privilégier lorsque toutes les entités juridiques sont délégantes mais qu’une seule est a priori l’employeur du délégataire. L

a Cour d’appel avait opté pour la ligne dans laquelle s’inscrivait le rapport de préposition, estimant sans doute que l’infraction était révélatrice d’une carence de celle des sociétés qui pouvait contrôler et sanctionner l’action du délégataire, considération non dénuée de pertinence pour qui estime que la subordination au délégant est le contrepoids de l’autonomie accordée au titulaire de la délégation, ce qui renvoie aux raisons de bonne gestion que nous avons précédemment exposées.

  • Une limitation du champ de la responsabilité pénale

Néanmoins, ce raisonnement est condamné parce qu’il aboutit à ignorer le lien employeurvictime de l’infraction qui, aux yeux de la Cour de cassation, doit permettre de désigner celle des personnes morales représentée, au sens pénal, par le délégataire commun (v. déjà implicitement en ce sens l’arrêt de la chambre criminelle précitée du 14 déc. 1999).

Affirmée à propos des accidents au travail, la solution aboutit à limiter, dans ce cadre, le champ de la responsabilité pénale des personnes morales et ce, de deux manières.

  • Tout d’abord, il s’observe que la responsabilité pénale de la personne morale n’a pas vocation à être engagée pour des infractions qui ne concernent pas son propre personnel quand bien même une forte solidarité l’unirait à d’autres entités.

L’élargissement du champ de la responsabilité pénale ne concerne que le délégataire commun, qui devra éventuellement répondre des infractions subies par d’autres salariés que ceux de son entreprise d’appartenance, ce qui alourdit indiscutablement le risque pénal pesant sur lui et appelle un contrôle renforcé de la part des juges du fond.

Mais, de la personne physique à la personne morale, le goulot se resserre au moyen d’une lecture de l’article 121-2 du Code pénal qui ne peut permettre d’oublier que les obligations de sécurité du travail sont mises à la charge des employeurs es qualité et de nulle autre personne physique ou morale (ce que met encore davantage en lumière la nouvelle rédaction de l’article L. 4741-7 issue de la recodification du Code du travail).

La qualité d’employeur du délégataire ne peut, dans cette lecture, remplacer celle d’employeur des victimes car, dans le cas contraire, la personne morale serait conduite à supporter les conséquences pénales de fautes commises au moins partiellement pour le compte d’autrui. En tant que débiteur substitué dans les obligations légales de sécurité, le délégataire commun agit en effet tour à tour pour le compte des différents employeurs des salariés présents sur le site de travail.

  • Ensuite et de façon corrélative, comme le souligne la formule normative de l’arrêt, l’infraction commise par le délégataire commun n’engage que la responsabilité pénale de la seule personne morale membre du groupement qui est l’employeur de la victime.

Cette exclusivité ainsi affirmée entend indiquer qu’il n’y a pas d’autre voie permettant d’atteindre la personne morale que celle du constat qu’elle est l’employeur de la victime de l’infraction. On ne saurait donc imaginer ici une quelconque coaction entre personnes morales membres du groupement sur la base de critères concurrents.

Pourtant, la matière infractionnelle sur laquelle intervient l’arrêt allie classiquement les incriminations du droit du travail et celles du droit commun, lesquelles, par les qualifications d’homicide ou de blessures involontaires des articles 221-6 et 222-19 du Code pénal, débouchent parfois sur la condamnation de coauteurs pour un même dommage (voir par exemple Cass. crim., 16 sept. 2008, n° 06-82.369, qui retient pour un même accident la responsabilité pénale de l’ingénieur chargé de l’organisation du travail, celle du coordonateur désigné par le maître d’ouvrage ainsi que celle de la personne morale maître d’oeuvre).

  • Une solution circonscrite aux accidents du travail

C’est la raison pour laquelle il faut à notre avis prêter la plus grande attention à la formule de l’arrêt qui vise les accidents du travail résultant des infractions aux règles d’hygiène et de sécurité du travail comme constituant le périmètre de la solution ainsi dégagée.

L’affirmation d’une responsabilité pénale exclusive de la personne morale employeur de la victime ne concerne en effet que l’hypothèse dans laquelle l’accident du travail est le résultat de l’inobservation des règlements.

Elle ne préjuge pas de ce qui pourrait être décidé dans l’hypothèse où, par l’intermédiaire d’un organe, telle ou telle personne morale aurait contribué, par une faute d’imprudence pure résultant de la violation d’un devoir général de prudence, à la réalisation du dommage corporel.

Cette personne morale ne pourrait alors sans doute nullement faire valoir qu’elle n’est pas l’employeur de la victime afin d’échapper à toute responsabilité pénale au titre du droit commun, puisque l’obligation en question n’a pas de débiteur légal prédéterminé (pour une illustration entre personnes physiques : Cass. crim., 23 janv. 1975, JCP Ed. G, 1976, II, 18833, note J.-H. Robert).

On ajoutera que, dans certaines circonstances, c’est la loi elle-même qui dissocie le débiteur des obligations particulières de sécurité et la qualité d’employeur.

Il en va ainsi notamment en matière de travail temporaire lorsque l’article L. 1251-21 du Code du travail met à la charge de l’utilisateur de cette main d’oeuvre le respect des règles relatives aux conditions de travail de l’intérimaire, lequel n’est pourtant pas son salarié.

En pareille occurrence, il paraît logique de considérer la personne morale utilisatrice comme pénalement responsable de la violation desdites règles ainsi que de l’homicide ou des blessures involontaires en résultant, y compris lorsque c’est un délégataire qui a directement commis l’infraction.

Et, ce que le législateur a autorisé expressément en matière de travail temporaire, l’interprète ne peut-il le déduire d’autres situations complexes telles que celle de la mise à disposition ou celle de la sous-traitance (v. dans ce dernier cas, Cass. crim., 31mai 1976, Bull. crim., n° 96, qui approuve la condamnation du conducteur de travaux de l’entreprise principale pour faute d’imprudence au préjudice du salarié du sous-traitant. Désormais l’infraction ne devrait-elle pas remonter à la personne morale donneuse d’ouvrage, dès lors que son délégataire a violé une obligation de sécurité lui incombant ?) ?

Ainsi, loin d’être absolu, le critère tiré du rôle d’employeur de la victime s’inscrit plutôt dans un rapport de principe à exceptions. Il n’est peutêtre pas non plus utilisable au-delà du cercle des infractions qui supposent la réalisation d’un préjudice corporel. Les termes de l’arrêt incitent à conclure en ce sens.

Cependant, en droit pénal, la notion de victime renvoie à une infinité de situations dans lesquelles d’autres types de préjudices peuvent voir le jour. S’ils sont la conséquence du non-respect d’obligations légales mises à la charge de l’employeur, pourquoi le principe de solution adopté par le présent arrêt ne pourrait-il s’y étendre ? On comprend néanmoins que la Cour de cassation ait voulu procéder par étapes, dans un domaine du droit pénal où les nouvelles règles applicables suscitent parfois plus de difficultés qu’elles n’en résolvent.


EXTRAITS DE L'ARRÊTS

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que, lors des travaux de construction d’une ligne du tramway qui avaient rendu nécessaire l’adaptation des réseaux d’assainissement, les dirigeants des personnes morales attributaires du marché, les sociétés Urbaine de travaux, Jean Fayolle et Fils et Huguet, qui avaient constitué un groupement d’entreprises, ont délégué leurs pouvoirs en matière de sécurité à Jean-François X…, salarié de la société Urbaine de travaux; qu’un ouvrier de la société Fayolle et Fils a été blessé lors de la réalisation d’un puits d’accès au réseau d’assainissement ; que Jean-François X… et la société Urbaine de travaux ont été poursuivis, le premier, pour blessures involontaires et infractions à la réglementation relative à la sécurité des travailleurs, et la seconde, pour blessures involontaires ; qu’ils ont été relaxés par le tribunal ;

En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation
, pris de la violation des articles 121-2 et 222-19, du Code pénal, L. 4741-1 et L. 4741-9 du Code du travail, 591 et 593 du Code de procédure pénale;

« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Jean-François X… coupable, d’une part, de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité de travail supérieure à trois mois dans le cadre du travail et l’a condamné de ce chef à une amende de 3 000 euros et, d’autre part, d’infractions à la réglementation générale sur l’hygiène et la sécurité au travail et l’a condamné de ce chef à trois amendes de 800 euros chacune »; […]

« alors que la délégation de pouvoirs, de même que la subdélégation, peuvent être établies par tous moyens; qu’en se bornant, pour écarter l’existence de la subdélégation consentie, en matière d’hygiène et de sécurité, par Jean-François X… aux responsables de sites, à relever que “les documents produits” ne permettaient d’établir ni l’existence d’une subdélégation ni l’attribution aux subdélégataires de la compétence, de l’autorité et des moyens propres à l’accomplissement de leur mission, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si la preuve d’une subdélégation accordée à un salarié remplissant les conditions pour veiller effectivement au respect de la réglementation ne résultait pas des modalités de fonctionnement du chantier concerné, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision »; […]

Mais, sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-2 et 222-19, du Code pénal, L. 4741-1 et L. 4741-9 du Code du travail, 591 et 593 du Code de procédure pénale;

« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré la société Urbaine de travaux coupable de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité de travail supérieure à trois mois dans le cadre du travail, et l’a condamnée de ce chef à une amende de 20 000 euros ; « aux motifs que, si l’accident du travail est effectivement intervenu sur un secteur du chantier sur lequel travaillaient exclusivement des salariés de la société Fayolle, il résulte des pièces versées au dossier, dont le rapport de l’inspection du travail, que la SAS Urbaine de travaux était mandataire du groupement et représentait celui-ci auprès du maître d’ouvrage ; que la lecture des comptes-rendus de réunion de chantier entre le 7 avril et le 5 mai 2004 montre que la SAS Urbaine de travaux était la seule société interlocutrice du maître d’ouvrage et qu’aucun représentant des sociétés Fayolle et Huguet ne participait à ces réunions ; que, bien plus, le compte-rendu du 7 avril 2004 indique “qu’un accident de travail a eu lieu le 5 avril 2004 engendrant l’hospitalisation d’un salarié du groupement” sans faire référence à la société Fayolle ; que les représentants des trois sociétés composant le groupement ont délégué leurs pouvoirs en matière de sécurité à Jean-François X…, salarié de la SAS Urbaine de travaux ; que, dès lors, Jean-François X…, délégataire de pouvoir des trois entreprises constituant le groupement, a agi comme le représentant et pour le compte de son employeur, la société Urbaine de travaux, mandataire du groupement auprès du maître d’ouvrage et jouant un rôle majeur au sein du groupement d’entreprises ; qu’il y a lieu, en conséquence de déclarer la SAS Urbaine de travaux coupable du délit de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité supérieure à trois mois dans le cadre du travail et de la condamner à la peine d’amende de 20000 euros »;

« alors que, lorsqu’une société délègue les pouvoirs qu’elle détient, à l’égard de ses salariés, en matière d’hygiène et de sécurité, au préposé d’une autre société, le manquement de ce délégataire à ses obligations au préjudice des salariés de la société délégante engage la responsabilité pénale de cette seule société, à l’exclusion de celle de l’employeur du délégataire ; qu’en effet, c’est en qualité de représentant de l’employeur de la victime que le délégataire a commis le manquement incriminé ; qu’en jugeant, après avoir elle-même constaté que “l’accident du travail était effectivement intervenu sur un secteur du chantier sur lequel travaillaient exclusivement des salariés de la société Fayolle”, que le manquement de Jean-François X…, délégataire du dirigeant de la société Fayolle en matière d’hygiène et de sécurité, engageait la responsabilité de la société Urbaine de travaux, employeur de Jean-François X…, au motif inopérant que cette société était mandataire du groupement auprès du maître de l’ouvrage, quand une telle circonstance était insusceptible de transférer à la société Urbaine de travaux la responsabilité pénale incombant exclusivement à la société Fayolle au titre des fautes commises par Jean-François X… en qualité de délégataire des pouvoirs que la société Fayolle détenait, seule, sur ses salariés, la cour d’appel a violé les textes visés au moyen »;

Vu l’article 121-2 du Code pénal ;
Attendu qu’en cas d’accident du travail, les infractions en matière d’hygiène et de sécurité des travailleurs commises par le délégataire de pouvoirs désigné par chacune des sociétés constituant un groupement d’entreprises à l’occasion de l’attribution d’un marché engagent la responsabilité pénale de la seule personne morale, membre du groupement, qui est l’employeur de la victime;

Attendu que, pour déclarer la société Urbaine de travaux coupable de blessures involontaires sur la personne d’un ouvrier de la société Jean Fayolle et Fils, l’arrêt énonce que Jean-François X…, salarié de la personne morale poursuivie, a agi comme son représentant et pour son compte, et que, mandataire du groupement auprès du maître d’ouvrage, cette société a joué un rôle majeur au sein du groupement d’entreprises ;

Mais attendu qu’en prononçant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé;

PAR CES MOTIFS : CASSE et ANNULE DIT n’y avoir lieu à renvoi

Cass. crim., 13 oct. 2009, n° 09-80.857 P


Alain Coeuret, Of Counsel CMS Bureau Francis Lefebvre
Agrégé des facultés de droit

Article paru dans la Semaine sociale Lamy du 11 janvier 2010