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La police fiscale française est désormais une réalité

04/02/2011


A la différence de certains Etats tels que notamment les Etats-Unis, l’Allemagne, ou bien l’Italie, les agents de l'administration fiscale française n’étaient pas dotés de prérogatives de police judiciaire. Mais depuis lors, la France s’est dotée d’un nouveau dispositif de lutte contre certaines fraudes fiscales, dispositif désormais opérationnel avec lequel il faut à présent compter.


L’an dernier, le législateur a introduit dans l’arsenal législatif (article 23 de la loi de finances rectificative pour 2009) une procédure, dite d’enquête judiciaire, devant être menée par des agents des services fiscaux habilités et dirigés par le parquet, pour les cas de fraude fiscale dite complexe.

Le dispositif adopté, qui a également modifié les conditions d’intervention de la commission des infractions fiscales et a adapté certains règles du contrôle fiscal, et notamment le régime de prescription du droit de reprise de l'administration fiscale, était en principe applicable à compter du 1er janvier 2010. Mais en pratique les procédures d’enquête ne pouvaient être lancées qu’après que les conditions d'habilitation des agents des impôts auraient été fixées par décret en Conseil d'Etat et les agents en question nommés.

C’est désormais chose faite depuis la publication du décret n°2010-914 du 3 août 2010 relatif à la participation des agents des services fiscaux à certaines missions de police judiciaire, publication qui a été suivie des premières nominations d’agents et de celle du décret n°2010-1318 du 4 novembre 2010 portant création d’une brigade nationale de répression de la délinquance fiscale.

Nous examinerons ainsi les principales particularités de cette nouvelle procédure d’enquête judicaire, codifiée aux articles L 228 et L 188 B du LPF et à l'article 28-2 du Code de procédure pénale.

1. Nouvelles prérogatives de l’administration

Le principe est que l'administration fiscale peut désormais saisir la Commission des infractions fiscales (CIF) même lorsqu'elle n'a pas réuni des preuves suffisantes pour mettre en œuvre des poursuites pour fraude fiscale, dès lors qu'elle peut faire valoir qu’il existe des présomptions caractérisées qu’une infraction fiscale pour laquelle existe un risque de dépérissement des preuves résulte :

  • soit de l'utilisation, aux fins de se soustraire à l'impôt, de comptes ou de contrats souscrits auprès d'organismes établis dans un Etat ou territoire qui n'a pas conclu avec la France de convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale entrée en vigueur au moment des faits et dont la mise en œuvre permet l'accès effectif à tout renseignement, y compris bancaire, nécessaire à l'application de la législation fiscale française (LPF art. L 228, 1°),
  • soit de l'interposition, dans ces mêmes Etats ou territoires, de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable (LPF art. L 228, 2°),
  • soit de l'usage d'une fausse identité ou de faux documents au sens de l'article 441-1 du Code pénal, ou de toute autre falsification » (LPF art. L 228, 3°), ce qui vise donc toutes les fraudes réalisées en recourant au faux ou à la falsification.

Comme par le passé, l’administration doit toujours obtenir un avis conforme de la CIF pour pouvoir déposer une plainte pour fraude fiscale (plainte nécessaire pour que le parquet puisse agir). En revanche, dans les cas visés ci-dessus, le contribuable ne sera plus informé de la saisine de la CIF et l’avis qu’elle rendra ne sera pas porté à sa connaissance.

Une fois la plainte déposée, des agents de l’administration fiscale pourront être chargés par le procureur ou par le juge d’instruction désigné de rechercher et de constater la fraude fiscale. Il est à noter que ces agents qui sont placés exclusivement sous la direction du procureur de la République sous la surveillance du procureur général et sous le contrôle de la chambre de l'instruction, ont compétence sur l'ensemble du territoire pour rechercher et constater les infractions visées aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts (fraude fiscale et délits assimilés) et dans les seules hypothèses de fraude complexe visées aux articles L 228-1-3 du livre des procédures fiscales et l'article 28-2 du Code de procédure pénale.

Dans le cadre limité de compétence qui paraît ainsi être la leur, les agents désignés pourront procéder à de nombreux actes, à savoir constat des infractions, identification des personnes à l’aide notamment de relevés signalétiques, perquisitions et saisies de documents et de données informatiques hors cadre de l'article L16 B du livre des procédures fiscales, réquisitions de personnes qualifiées ou susceptibles de détenir des informations utiles à l'enquête, auditions, enfin gardes à vue sur commission rogatoire d'un juge d'instruction, et seront habilités à procéder à des écoutes téléphoniques ou bien encore à exercer dans le cadre de cette commission tous les pouvoirs d'un juge d'instruction.

2. Garanties des contribuables

En contrepartie de ces pouvoirs nouveaux, le dispositif mis en place interdit aux agents de participer à une procédure de contrôle fiscal quel que soit le contribuable vérifié, de participer à des enquêtes judiciaires dans le cadre de faits pour lesquels ils sont intervenus en tant que vérificateurs ou contrôleurs, enfin, de participer après la fin de leur habilitation, à une procédure de contrôle de l'impôt de contribuables lorsque le parquet les a chargé d'enquêter sur d’éventuels faits de fraude fiscale qu’ils auraient commis.

Ces différentes règles qui ont pour objet de créer une étanchéité entre les deux procédures (enquête pénale et contrôle fiscal), paraissent de fait très théoriques compte tenu notamment des dispositions relative au droit de communication de l’administration fiscale (notamment articles L 82 C à l’égard du ministère public).

3. Modification des règles relatives au droit de reprise de l’administration

Si le droit de reprise ne peut s'exercer, en principe, que jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, ce délai avait déjà été prolongé de deux ans en cas de dépôt d'une plainte pour fraude fiscale « simple », pour autant cependant que les personnes poursuivies ne bénéficient ni d'une relaxe, ni d'un non-lieu (LPF art. L 187).

Désormais, lorsqu’une plainte aura été introduite par l'administration pour les cas de fraude fiscale complexes, que la plainte sera intervenue dans le délai de reprise et aura donné lieu à l'ouverture d'une enquête judiciaire (le dispositif nouveau ne fonctionnera donc pas si le parquet procède à un classement sans suite), l’administration pourra alors adresser une proposition de rectification destinée à réparer les omissions ou insuffisances concernées par l'enquête judiciaire ouverte pour fraude fiscale jusqu'à la fin de l'année qui suit la décision qui met fin à la procédure et au plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année suivant celle au titre de laquelle l'imposition est due.

Enfin, il est à noter que l’administration fiscale est également autorisée à procéder à des rectifications de l'impôt sur le revenu au titre d'une période ayant déjà fait l'objet d'un examen contradictoire de situation fiscale personnelle, ou à renouveler une vérification de comptabilité pour des impôts et périodes déjà vérifiés lorsqu'une plainte ayant abouti à l'ouverture d'une enquête judiciaire pour fraude fiscale a été déposée.

4. Agents habilités

Le décret du n°2010-914 du 3 août 2010 relatif à la participation des agents des services fiscaux à certaines missions de police judiciaire a permis en pratique la désignation des premiers agents habilités à effectuer des enquêtes judiciaires. Ces derniers ne peuvent être habilités à effectuer des missions de police judiciaire que lorsqu'ils sont affectés à un service de police judiciaire institué au sein de la direction centrale de la police judiciaire, spécialisé dans la répression de la délinquance fiscale.

Le décret 2010-1318 du 4 novembre 2010 a par ailleurs institué au sein du ministère de l'intérieur une brigade nationale de répression de la délinquance fiscale relevant de la direction centrale de la police judiciaire, compétente pour rechercher et constater les infractions définies à l'article 28-2 du code de procédure pénale, qui comprend des officiers et agents de police judiciaire, des officiers fiscaux judiciaires, des agents des services fiscaux habilités à effectuer des enquêtes judiciaires en application de l'article 28-2 du code de procédure pénale.

Cette brigade a été chargée d’animer et de coordonner, à l'échelon national et au plan opérationnel, les investigations de police judiciaire et les recherches entrant dans son domaine de compétence, d'effectuer ou de poursuivre à l'étranger les recherches liées aux infractions entrant dans son domaine de compétence, de centraliser les informations relatives à cette forme de délinquance en favorisant leur meilleure circulation, de fournir une assistance documentaire et analytique, à leur demande, aux services de la police nationale et de la gendarmerie nationale.

Elle a également pour mission de rechercher, centraliser et exploiter tous renseignements relevant de son domaine de compétence reçus sans délai des services de la police nationale ou de la gendarmerie nationale ainsi que des autres administrations et services publics de l'Etat susceptibles de détenir de tels renseignements.


Richard Foissac, Avocat associé

Article paru dans la revue Option Finance du 3 janvier 2011

Auteurs

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Richard Foissac
Associé
Paris