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La réception tacite d’un ouvrage

Critères jurisprudentiels et possibilités d’aménagements contractuels

23/09/2019

La réception tacite, création prétorienne, est source de nombreux contentieux. Cet article est l’occasion de revenir sur les critères jurisprudentiels de la réception tacite (I.) et les aménagements contractuels de cette dernière (II.)

La réception, clé de voûte de la responsabilité des constructeurs, est l’acte par lequel le maître d’ouvrage déclare, au contradictoire de l’entrepreneur, accepter les travaux confiés à ce dernier (art.1792-6 al.1 du Code civil).

Le Code civil l’envisage comme un acte juridique exprès qui peut être amiable ou, à défaut, judiciaire. Lorsque la réception intervient amiablement, le maître d’ouvrage et l’entrepreneur dressent un procès-verbal consignant les éventuelles réserves à lever.

La réception tacite, qui n’est pas prévue par les textes, a été créée par la jurisprudence afin de répondre à la situation pratique dans laquelle aucune réception expresse n’a été réalisée.

L’importance que revêt cette création prétorienne se mesure à l’aune des effets attachés à la réception, laquelle :

  • met fin aux relations contractuelles ;
  • opère le transfert des risques de la chose de l’entrepreneur vers le maître de l’ouvrage ;
  • purge les désordres apparents non réservés à la réception ;
  • constitue le point de départ des garanties de la construction (parfait achèvement, biennale et décennale) ;
  • fait courir le délai de prescription de l’action relative aux désordres intermédiaires.

Depuis sa création, la notion de réception tacite génère des problématiques concrètes, nourrissant un abondant contentieux.

Quels sont les critères retenus par les juges pour caractériser la réception tacite ? Est-il possible d’en aménager contractuellement la définition ?

Critères jurisprudentiels de la réception tacite

L’appréciation de la réception tacite relève du pouvoir souverain des juges du fond, lesquels recherchent si la volonté non équivoque du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage est établie. La Cour de cassation a dégagé des règles d’appréciation faisant présumer cette volonté lorsque les deux critères suivants sont réunis :

  • la prise de possession de l’ouvrage ; et
  • le paiement de l’intégralité des travaux.

Cette position désormais pérenne peut être illustrée par plusieurs décisions récentes rendues par la Haute juridiction au visa de l’article 1792-6 du Code civil :

  • Par un arrêt du 24 novembre 2016, la Cour a considéré que la volonté non équivoque du maître d’ouvrage devait être présumée dès lors qu’il avait pris possession des lieux et qu’aucune somme ne lui était plus réclamée au titre des travaux. Elle a censuré la décision d’appel ayant exclu la réception tacite au motif que le maître d’ouvrage avait fait établir un constat d’huissier révélant d’importantes malfaçons. (Cass. 3ème civ., 24 novembre 2016, n°15-25.415, Publié)
  • Par un arrêt du 18 mai 2017, elle a également estimé que la réception tacite devait être présumée après avoir relevé que le maître d’ouvrage avait pris possession de son appartement et payé le montant des travaux effectués. Elle a cassé l’arrêt d’appel ayant écarté la réception tacite au motif que les travaux n’étaient pas achevés (le marché ayant été résilié par anticipation) lors de la prise de possession. (Cass. 3ème civ., 18 mai 2017, n°16-11.260, Publié)
  • Par un arrêt du 18 avril 2019, aux termes d’un considérant de principe, la Cour a rappelé « qu’en vertu de ce texte [l’article 1792-6 du Code civil], la prise de possession de l’ouvrage et le paiement des travaux font présumer la volonté non équivoque de le recevoir avec ou sans réserves ». Elle a censuré la décision d’appel ayant subordonné la réception tacite à la démonstration de la volonté du maître d’ouvrage de réceptionner sans réserves. (Cass. 3ème civ., 18 avril 2019, n°18-13.734, Publié)

Il ressort de cet arrêt comme de celui du 24 novembre 2016 que la réception tacite n’est pas nécessairement une acceptation pure et simple de l’ouvrage. Elle peut être effectuée avec des réserves.

Cependant, en pratique, le maître d’ouvrage pourra se heurter à des difficultés pour rapporter la preuve de ces réserves à un moment qu’il n’a pas anticipé comme étant susceptible de constituer la réception. En effet, il n’aura pas nécessairement pris soin de signaler par écrit les reprises souhaitées.

Les enjeux sont de taille dès lors que l’ensemble des vices apparents à la réception qui n’ont pas été réservés sont purgés. Ainsi, il demeure fortement conseillé d’organiser une réception expresse.

S’agissant de la réception d’un lot (admise par la jurisprudence sous réserve qu’elle porte sur l’intégralité du lot concerné) la Cour de cassation applique les mêmes critères faisant présumer la réception tacite.

Les deux critères utilisés sontcumulatifs. La Cour de cassation l’a récemment rappelé en retenant que le paiement de la facture de l'entreprise était insuffisant pour démontrer une volonté non équivoque du maître d’ouvrage de réceptionner, en l’absence de prise de possession. (Cass. 3ème civ., 11 juillet 2019, n°18-18.325, Non publié)

S’agissant de la valeur de la présomption instaurée par les juges, il s’agit d’une présomption simple qui peut être renversée.

Ainsi, la Cour de cassation a considéré que la contestation permanente de la qualité des travaux par les maîtres d’ouvrages excluait toute réception tacite, nonobstant le paiement desdits travaux. (Cass. 3ème civ., 24 mars 2016, n°15-14.830, Publié)

Par ailleurs, elle a approuvé une décision d’appel ayant exclu la réception tacite au motif que la prise de possession résultait d’une situation contrainte visant à quitter un mobile home incommode. (Cass. 3ème civ., 25 janvier 2018, n°16-25.520, Non publié)

Ainsi, les critères prétoriens de la réception tacite résultent d’une jurisprudence établie de la Cour de cassation, laissant toutefois une marge d’appréciation in concreto aux juges du fond.

Se pose désormais la question de la latitude laissée aux parties pour aménager contractuellement la définition de la réception tacite.

Aménagement contractuel de la définition de la réception tacite

Sur ce point, deux décisions peuvent être mises en perspective :

  • Par un arrêt du 6 mai 2015, la Cour de cassation a estimé que la clause définissant la réception tacite, issue d’un contrat conclu entre un professionnel et un maître d’ouvrage non-professionnel, devait être réputée non écrite.

La clause litigieuse, insérée dans un CCMI, définissait la réception tacite comme « toute prise de possession ou emménagement avant la rédaction du procès-verbal de réception signé par le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre » entraînant « la réception de la maison sans réserve et l’exigibilité de l’intégralité des sommes restant dues sans contestation possible ».

La Cour a d’abord réaffirmé sa position classique en rappelant que « la réception suppose la volonté non équivoque du maître de recevoir l’ouvrage que la seule prise de possession ne suffit pas à établir ».

Elle a ensuite analysé les effets de la clause. Pour conclure à son caractère de réputé non écrit, elle a relevé qu’elle créait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du maître d’ouvrage. Ce déséquilibre était caractérisé par une définition extensive de la réception jugée contraire à la loi et rendant immédiatement exigible le solde du marché (Cass. 3ème civ., 6 mai 2015, n°13-24.947, Publié).

Cette décision laisse à penser que les critères prétoriens de présomption de la réception tacite (prise de possession et paiement du solde du contrat) sont considérés comme impératifs par la Haute juridiction, ne semblant pas permettre aux parties de s’en écarter par une stipulation contractuelle.

  • Cependant, par un arrêt du 4 avril 2019, la Cour a, au contraire, validé la définition contractuelle de la réception tacite émanant, cette fois ci, d’un contrat conclu entre professionnel.

La clause litigieuse prévoyait que la réception tacite « se constate lorsque par l'absence de réclamation sur une période significative, le maître de l'ouvrage a clairement signifié qu'il considérait les travaux comme conformes au marché. En aucun cas, la simple prise de possession des lieux ne vaut réception en soi, même si ultérieurement la date de cette prise de possession est considérée comme le point de départ des divers délais »

La Cour a considéré que cette clause insérée dans le contrat d'assurance décennale d'un constructeur, était valable et que la définition contractuelle s’imposait alors au maître d'ouvrage souhaitant actionner l'assurance décennale en qualité de tiers lésé (Cass. 3ème civ., 4 avril 2019, n°18-12.410).

Pourtant, en conditionnant la réception tacite à l’absence de réclamations sur une période significative, la clause litigieuse allait à l’encontre des décisions rappelant que la réception tacite peut être assortie de réserves.

Ainsi, si les critères jurisprudentiels de la réception tacite semblent établis, les contours de la liberté contractuelle en la matière restent à préciser.


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Cet article a été publié dans notre Lettre construction-urbanisme de septembre 2019. Cliquez ci-dessous pour découvrir les autres articles de cette lettre.

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Lucie Menerault
Avocate
Paris