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Le gestionnaire d’une marketplace est-il hébergeur ou éditeur ?

Sa responsabilité peut-elle être engagée en cas d’offre illicite de produits ?

11/12/2019

La société Cdiscount propose des services et fonctionnalités aux utilisateurs de sa marketplace mais n’a pas de contrôle sur les contenus qui y sont publiés. La société Cdiscount opère ainsi sa marketplace en qualité d’hébergeur.

Plus de quinze ans après la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), la question de la qualification éditeur/hébergeur continue de faire parler d’elle devant les tribunaux français.

Récemment encore, le tribunal de grande instance de Paris a été amené à trancher cette question dans une affaire où la société Jansport Apparel Corp (JAC) qui commercialise notamment les sacs à dos Eastpak, avait assigné la société Cdiscount. Elle accusait cette dernière de contrefaçon de marques et de concurrence déloyale et parasitaire en raison de produits prétendument contrefaisants offerts à la vente par des sociétés chinoises sur sa plateforme de marché en ligne (marketplace).

Dans une décision du 28 juin 2019, le Tribunal de grande instance a débouté la société JAC de l’intégralité de ses demandes au motif que la société Cdiscount est hébergeur des contenus publiés sur sa plateforme par des vendeurs tiers et bénéficie ainsi d’un régime de responsabilité atténuée (décision accessible ici).

Le régime de responsabilité atténuée des hébergeurs

Pour rappel, conformément à l’article 6-I, 2° de la LCEN, les hébergeurs sont des personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services.

Les hébergeurs bénéficient d’un régime de responsabilité atténuée : ils ne peuvent voir leur responsabilité civile et/ou pénale engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services que s’ils ont eu effectivement connaissance d’un contenu manifestement illicite et que ledit contenu n’a pas été promptement retiré ou son accès rendu impossible (par opposition aux éditeurs qui sont eux responsables de plein droit des contenus illicites publiés sur leur site). L’hébergeur est présumé avoir connaissance d’un contenu manifestement illicite après réception d’une notification conforme aux dispositions de l’article 6-I, 5° de la LCEN.

Malgré une jurisprudence déjà fournie sur le sujet, la qualification éditeur/hébergeur s’effectue à chaque fois sur la base d’une appréciation factuelle des éléments versés aux débats afin d’évaluer l’existence ou l’absence d’un rôle actif de l’entreprise sur les contenus stockés sur sa plateforme. C’est ainsi que s’est prononcé le Tribunal de grande instance dans l’affaire Eastpak.

Les services et fonctionnalités proposés aux utilisateurs de la marketplace n’impliquent pas de choix éditoriaux de Cdiscount sur les contenus mis en ligne

En l’espèce, le tribunal de grande instance de Paris a considéré que la qualité d’hébergeur de la société Cdiscount ressortait notamment des éléments suivants :

  • les conditions générales de mise à disposition de la marketplace présentent la société Cdiscount comme hébergeur ;
  • la société Cdiscount n’intervient pas dans la rédaction des annonces des vendeurs tiers et n’est pas partie au contrat de vente entre le vendeur professionnel et l’acheteur ;
  • les fonctionnalités de la plateforme telles que le moteur de recherche des produits, la possibilité pour les vendeurs de disposer d’un espace personnalisé permettant de présenter l’ensemble des produits vendus ainsi que l’existence d’outils de gestion et de promotion des offres, la notation des vendeurs, le renvoi vers d’autres annonces de produits en cas de rupture de stock du produit demandé et la perception d’une commission sur le prix de vente des produits, sont des fonctionnalités automatisées et indépendantes du contenu, inhérentes à toute place de marché. Elles ne reposent que sur des algorithmes applicables de la même manière à tous les vendeurs n’impliquant ainsi aucun rôle actif de la part de Cdiscount ; et
  • les services complémentaires susceptibles d’être proposés par Cdiscount ne lui permettent pas non plus d’avoir une connaissance active des produits vendus par les vendeurs tiers.

A contrario, la société demanderesse ne produisait aucun élément de nature à démontrer un quelconque rôle actif impliquant des choix éditoriaux de la part de Cdiscount ou, plus largement, la connaissance ou le contrôle des contenus litigieux par Cdiscount.

Les juges du tribunal de grande instance de Paris ont ainsi relevé que les fonctionnalités proposées par Cdiscount sur sa plateforme de marché ne constituent que des opérations techniques qui participent par essence de la prestation d’hébergement et n’induisent pas de sélection des contenus mis en ligne. Ces opérations ne servent qu’à rationaliser l’organisation du service et à en faciliter l’accès à l’utilisateur sans pour autant commander un choix concernant le contenu mis en ligne.

En appliquant ainsi le critère habituel de l’existence ou de l’absence de rôle actif sur les contenus, le tribunal de grande instance de Paris conclut que les services litigieux proposés par Cdiscount sur sa marketplace sont des services d’hébergement.

Ayant agi promptement pour rendre l’accès aux contenus litigieux impossible dès le moment où elle en avait eu connaissance, la société Cdiscount devait donc bénéficier du régime d’exonération de responsabilité de l’article 6-I de la LCEN.

A retenir également : le principe de hiérarchie à respecter pour formuler les demandes de retrait de contenus

Dans sa décision, le tribunal de grande instance de Paris insiste sur le fait que la demanderesse n’établissait pas les raisons pour lesquelles les vendeurs tiers n’avaient pas préalablement été mis en cause afin de solliciter le retrait des contenus litigieux. Il est ainsi opportunément rappelé qu’il existe une hiérarchie en matière de demandes de retrait de contenus litigieux en ligne ; l’hébergeur ne doit être contacté que de manière subsidiaire, c’est-à-dire que si l’auteur ou l’éditeur du contenu n’a pu être contacté ou si la demande de retrait adressée à l’auteur ou à l’éditeur est demeurée infructueuse.


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