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Le manquement contractuel

Source de responsabilité à l’égard des tiers au contrat

07/02/2020

S’il est bien un principe connu en droit, c’est celui de l’effet relatif des contrats, selon lequel : « la chose convenue entre les uns ne nuit ni ne profite aux autres »[1]. Les contrats sont effectivement censés n’avoir d’effet qu’entre les parties qui les ont conclus. Ce principe a été consacré à l’article 1165 ancien du Code civil devenu, depuis la réforme du droit des obligations de 2016, l’article 1199 du Code civil[2].

Le bon sens interdit, cependant, de prétendre qu’un contrat ne puisse avoir de répercussions à l’égard de tiers et ne puisse créer de situations préjudiciables à leur encontre. Très vite, en effet, des cas de manquements contractuels occasionnant des dommages à des tiers qui en réclament réparation se sont présentés devant les tribunaux.

Par un célèbre arrêt « Boot Shop » du 6 octobre 2006, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a alors considérablement amoindri la portée du principe de la relativité des contrats et affirmé, au double visa des articles 1165 et 1382 du Code civil, que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel, dès lors que ce manquement lui a causé un dommage »[3].

Dans le cas d’espèce, la société Boot Shop, locataire-gérant d’un fonds de commerce exploité au sein d’un local commercial loué par une autre société, la société Myr’ho, se plaignait du défaut d’entretien de l’immeuble et demandait réparation, auprès du bailleur, du préjudice en résultant pour elle. Son action à l’encontre du bailleur a été accueillie par la Haute juridiction, qui a considéré que le manquement aux obligations issues du bail, était source de responsabilité délictuelle à l’encontre du locataire-gérant. 

Cette décision Boot Shop a divisé les professionnels du droit et beaucoup d’auteurs ont relevé que par suite de cette jurisprudence, le débiteur contractuel pouvait voir son domaine de responsabilité très amplifié et faire face à des réparations inattendues, d’un montant parfois important[4]. Cela d’autant que les clauses contractuelles limitatives ou exonératoires de responsabilité ne peuvent être opposées qu’aux contractants.

La multiplicité des situations des tiers (qui pouvaient être plus ou moins intéressés à la relation contractuelle) et l’imprévisibilité des dommages qui pouvaient leur être causés ont conduit les juges du fond, suivis par certaines chambres de la Cour de cassation, à atténuer la portée de l’arrêt Boot Shop.

Plusieurs décisions de justice postérieures à cet arrêt ont en effet exigé, outre la simple violation d’une obligation contractuelle, que soit apportée la preuve d’une faute supplémentaire, assimilable au manquement à une obligation générale de prudence ou de diligence, de nature à engager la responsabilité délictuelle du contractant.

Dans ce contexte, lorsqu’en 2020 l’assemblée plénière de la Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur le maintien ou non de la solution dégagée dans son arrêt Boot Shop, un certain nombre d’observateurs ont parié sur un revirement de jurisprudence.

Les pronostics étaient à cet égard bien engagés : M. Jean-Richard de La Tour, Premier avocat général à la Cour de cassation, avait d’ailleurs « invité » la Haute juridiction dans son rapport à renoncer à la solution de l’arrêt Boot Shop et à « catégoriser la situation des tiers », selon qu’ils étaient plus ou moins intéressés à la relation contractuelle.

Pourtant, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a fait fi des critiques et des recommandations du Premier avocat général, et a choisi de maintenir la solution de 2006[5].

Plus encore, pour lever tout ambiguïté sur ses intentions, la haute juridiction prend le soin de préciser que « le tiers au contrat qui établit un lien de causalité entre un manquement contractuel et le dommage qu’il subit n’est pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement ». Dans ce type de situation, le débat devra donc se concentrer uniquement sur le lien de causalité entre la faute contractuelle et le dommage allégué par le tiers.

Pour la Cour de cassation donc, comme pour Albert Camus, « de toute façon, on est toujours un peu fautif »[6].


[1] « Res inter alios acta aliis nec nocere nec prodesse potest ».

[2] Article 1199 du Code civil : « Le contrat ne crée d'obligations qu'entre les parties ».

[3] Cass., Ass. Plein., 6 octobre 2006, n°05-13255, arrêt dit « Bootshop » ou « Myr’ho ».

[4] Cf. notamment Jean-Luc Aubert, Jacques Flour, Eric Savaux, Droit civil : les obligations, 3. Le rapport d’obligation, 7e éd., Sirey, 2011, n°183.

[5] Cass., Ass. Plein., 13 janvier 2020, n° 1719.963.

[6] L’étranger, Albert Camus, Gallimard, 1942.

Article paru dans Option Finance du 27 janvier 2020


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