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Les nouvelles incitations à révéler les dons manuels introduites par la loi de finances rectificative pour 2011

26/09/2011


La loi de finances rectificative pour 2011 entrée en vigueur le 31 juillet dernier a été remarquée pour le durcissement du régime fiscal des donations (alourdissement du barème des transmissions en ligne directe et suppression des réductions de droits sauf en ce qui concerne les transmissions d’entreprise). Les mesures prises par cette même loi et destinées à éviter que des dons manuels échappent à la taxation ou bénéficient d’une assiette de taxation réduite ont été en conséquence moins remarquées et l’ont été d’autant moins que leur motivation et leur contenu sont peu lisibles.

On sait que le don manuel constitue à côté de la donation notariée, une forme valable de donation qui se réalise par la « tradition » du bien donné. A une remise de la main à la main portant sur des biens corporels, la jurisprudence a peu à peu étendu le domaine du don manuel à des biens immatériels qui se transfèrent par virement de compte à compte comme l’argent ou les actions de sociétés (Cass. Com. 19 mai 1998).

Sur le plan fiscal, et jusqu’à la loi de finances rectificative pour 2011, les dons manuels étaient taxables aux droit de mutation à titre gratuit dans les trois hypothèses suivantes prévues à l’article 757 du CGI qui constituaient autant de « faits générateurs » d’assujettissement à l’impôt :

  • Lorsqu’un acte renfermait la déclaration du don par le donataire ou ses représentants
  • Dans l’hypothèse d’une reconnaissance judiciaire du don survenant par exemple à l’occasion d’un contentieux entre les parties
  • En cas de révélation du don par le donataire à l’administration fiscale, soit spontanément, soit à la suite d’une demande de renseignements.

En outre, l’obligation de rappel fiscal des donations antérieures lors d’une nouvelle transmission à titre gratuit, donation ou décès, entre les mêmes parties prévue à l’article 784 du CGI, aboutissait, selon l’administration fiscale, à un quatrième fait générateur de taxation. Lors de ce rappel, l’administration fiscale exigeait la taxation du don manuel jusqu’alors non taxé.

Dans l’hypothèse de la révélation d’un don manuel à l’administration fiscale, la déclaration du don manuel devait intervenir dans le mois suivant la date de la révélation (article 635 A du CGI) et l’administration fiscale considérait que l’assiette de l’impôt était égale à la valeur du bien donné au jour du fait générateur de l’impôt c’est-à-dire au jour de sa révélation.

La loi de finances rectificative prend deux types de mesures complémentaires pour renforcer l’incitation à une révélation anticipée des dons manuels :

Positivement, elle permet au donataire de différer le paiement des droits au décès du donateur. Lors de la révélation du don à l’administration fiscale, le donataire a désormais la possibilité pour les dons supérieurs à 15.000 euros de ne pas acquitter immédiatement les droits de donation en optant expressément pour une taxation dans le mois du décès du donateur.

Négativement, elle sanctionne les révélations tardives en permettant à l’administration de retenir comme assiette de taxation la plus forte des deux valeurs du bien donné au jour de la donation ou au jour de la déclaration ou de l’enregistrement.

Ces règles sont en réalité d’une faible portée pratique.

1. Une assiette de taxation fixée à la plus forte des deux valeurs du bien donné au jour de la donation ou au jour de la déclaration à l’administration

Modifiant la règle générale posée par la doctrine administrative aux termes de laquelle l’assiette de taxation était constituée par la valeur du bien donné à la date du fait générateur de l‘imposition du don manuel, l’article 757 du CGI prévoit désormais que « les droits sont calculés sur la valeur du don manuel au jour de sa déclaration ou de son enregistrement ou sur sa valeur au jour de la donation si celle-ci est supérieure ».

Ainsi si l’on raisonne sur une transmission d’actions de société valorisées 100 au jour du don manuel et 50 au jour de la révélation de ce don, l’assiette taxable sera désormais de 100 et non plus de 50.

Dans cet exemple, la règle nouvelle pourrait passer comme étant une arme contre la fraude qui consisterait à différer la révélation du don manuel d’actions pour « bénéficier » d’une assiette réduite de taxation en cas de perte de valeur de l’entreprise. Ce serait gravement méconnaître la pratique en ce domaine. En effet, en matière de transmission d’entreprise tout incite déjà à une révélation immédiate et spontanée du don manuel d’actions en portant à l’enregistrement l’acte de reconnaissance du don manuel ou le formulaire administratif 2735 :

  • Le régime Dutreil (exonération d’assiette des droits de donation de 75% pour les transmissions d’entreprises) implique des engagements de conservation des titres et le respect d’une obligation de direction dont les parties à la donation ont intérêt à anticiper le point de départ afin d’en être libérés dans les meilleurs délais.
  • La révélation immédiate permet de figer le coût fiscal de la transmission car non seulement l’assiette des droits est égale à la valeur des actions données au jour de la révélation (or, pour reprendre notre exemple, si la participation vaut 150 au jour d’une révélation tardive du don, c’est cette valeur qui sera retenue) mais également les tarifs, abattements et réductions de droits sont ceux applicables au jour de la révélation.
  • Le régime du paiement différé et fractionné des droits de donation pourra être revendiqué.

Plus généralement, l’enregistrement du don manuel donne à ce dernier date certaine et permet de faire courir le délai de rappel fiscal au terme duquel une nouvelle transmission pourra avoir lieu entre les mêmes parties en bénéficiant de nouveau des abattements et tranches basses du barème fiscal. Rappelons que ce délai a été allongé par la loi de finances rectificative à dix ans au lieu de six ans avec un régime transitoire pour les donations réalisées depuis le 1er août 2001.

La règle nouvelle risque aussi de se heurter à des difficultés pratiques liées à la détermination de l’assiette pour valoriser le bien donné au jour du don manuel. Si le don est révélé 10 ans après la donation, comment sera-t-il possible d’évaluer les titres de l’entreprise transmise 10 ans auparavant compte tenu des nécessaires modifications que celle-ci aura connues dans son organisation ou ses activités ?

Elle est enfin sans portée pour les dons manuels de sommes d’argent pour lesquels la Cour de cassation considère que l’assiette de taxation est le montant nominal du don sans tenir compte de la valeur des biens acquis avec ces sommes au jour de la révélation (Cass. Com. 20 octobre 1998, CA Dijon, 20 mai 2003).

2. Une option pour une taxation dans le mois du décès du donateur

Cette option est présentée comme une mesure de faveur qui incite le donataire à révéler immédiatement un don manuel pour lequel, s’il en manifeste expressément la volonté lors de cette révélation, il ne sera taxé que dans le mois qui suit le décès du donateur. Le donataire a ainsi le choix entre un paiement des droits au jour de la révélation ou dans le mois du décès.

La règle nouvelle répond à l’objectif de taxer les dons manuels qui ne sont pas soumis à l’obligation de rappel fiscal de l’article 784 du CGI lors d’une succession car le donataire n’est ni héritier ni légataire du donateur.

L’option pour une taxation différée dans le mois du décès risque d’être peu utilisée car le coût fiscal sera incertain : le tarif et les abattements seront ceux applicables au jour du décès. Quant à l’assiette de taxation ce sera la plus forte des deux valeurs du bien donné au jour du don ou au jour du décès, sauf l’hypothèse d’un don manuel de sommes d’argent (article 757 al. 1). En outre les règles de prescription de l’article L 181 A du LPF ont été modifiées pour permettre à l’administration d’exercer son droit de reprise jusqu’à l’expiration de la sixième année suivant le décès du donateur.

On peut également s’interroger sur les difficultés pratiques nées de cette nouvelle option dans l’hypothèse non théorique où le donataire ne serait pas informé du décès du donateur alors que les droits seraient devenus exigibles dans le mois dudit décès faisant alors courir les intérêts de retard au profit de l’administration fiscale. Le délai d’un mois semble bien court, sachant que l’administration aura elle six ans pour agir.

En conclusion, ces nouvelles mesures n’affectent en rien l’intérêt du recours au don manuel qui ne doit pas être considéré comme un outil destiné à échapper à l’impôt. Elles renforcent l’idée qu’il est conseillé, pour pouvoir contrôler le coût fiscal de la transmission et bénéficier des différents régimes de faveur, notamment en matière de transmission d’entreprise, de révéler spontanément et sans tarder le don manuel à l’administration avec acquittement des droits.


Par Sylvie Lerond, avocat

Article paru dans la revue Option Finance le 26 septembre 2011

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