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Négociation d'un accord collectif dans une entreprise à établissements multiples

15/10/2009

La négociation collective est depuis quelques années au coeur des débats juridiques, notamment dans le cadre des bouleversements afférents à l'appréciation de la représentativité syndicale.

L'époque où les accords collectifs étaient considérés comme valablement conclus, dès lors qu'ils étaient signés par l'employeur et au moins une organisation syndicale représentative, est révolue depuis la loi du 4 mai 2004 dite loi Fillon.

Les insuffisances de cette loi ont donné lieu en particulier au fameux arrêt ADECCO (1), écartant toute nécessité de dépouiller les votes, faute de quorum et assimilant cette situation à une carence au sens de l'article L. 2232-12 du Code du travail.

C'est dans ce contexte qu'est intervenue la déjà célèbre loi du 20 août 2008 de laquelle il résulte en particulier, depuis le 1er janvier 2009, que la validité d'un accord d'entreprise est subordonnée « à sa signature par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins 30 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants (…) » (article L. 2232-F34 du Code du travail).

Ce nouveau texte conduit donc, en matière de négociation collective :

  • à instituer une condition de représentativité de 30 % au premier tour des élections professionnelles pour la signature d'un accord collectif ;
  • à abandonner la jurisprudence ADECCO, l'audience devant se mesurer quel que soit le nombre de votants.

Notons que la loi de simplification et de clarification du droit du 12 mai 2009 a prolongé le recours au référendum institué à titre temporaire par la loi du 20 août 2008 en cas de carence de candidats au premier tour ou en cas d'absence de quorum dès lors qu'il n'y aurait pas eu de dépouillement. Cette disposition est applicable jusqu'aux résultats des premières élections professionnelles dont la date fixée pour la négociation du protocole préélectoral est postérieure au 21 août 2008.

Mais force est de constater que ces lois successives n'ont jamais envisagé la situation des entreprises disposant d'établissements distincts au sens des institutions représentatives du personnel.

Or, la représentativité des organisations syndicales étant mesurée au regard des résultats électoraux du premier tour, le calcul peut devenir particulièrement délicat, pour ne pas dire impossible à réaliser dans une entreprise à établissements multiples.

Cette situation impose en effet de s'interroger sur le niveau d'appréciation de la majorité et les modalités de décompte lorsque seulement un ou quelques établissements n'ont pas eu de candidat ou n'ont pas atteint le quorum requis au premier tour des élections professionnelles.

Un vide juridique demeure malgré les nombreuses interventions législatives.

En effet, aucun texte ne définit ni dans quel périmètre géographique doit alors être apprécié le caractère majoritaire d'un syndicat signataire d'un accord ni comment mesurer cette majorité.

La Cour de cassation ne s'est pas, semble-t-il, davantage prononcée à ce jour sur cette question, alors même qu'elle se pose non seulement pour définir la majorité d'engagement, mais aussi, depuis de nombreuses années, à travers le droit d'opposition qui nécessite tout autant de mesurer l'audience syndicale au premier tour. A défaut de trouver une réponse expresse soit dans le Code du travail, soit dans une décision de la Haute Juridiction, plusieurs solutions sont envisageables en partant cependant d'un postulat qui semble difficilement contournable : le caractère majoritaire doit s'apprécier globalement au niveau de l'entreprise, puisque c'est le périmètre de l'accord, et non dans chaque établissement individuellement. Il s'agira donc, pour le moins, de l'addition de résultats.

Mais même dans cette logique, les règles de décompte à retenir restent incertaines et la doctrine est partagée.

Recherche d'une solution à la fois cohérente et juridiquement fondée

Une première solution pourrait consister à subordonner, dans ce cas, la validité d'un accord collectif à deux conditions cumulatives :

  • sa signature par des organisations syndicales majoritaires dans les établissements où une représentativité de premier tour peut être constatée,
  • et son approbation par une majorité de salariés dans les établissements où aucune représentativité de premier tour ne peut être constatée.

L'avantage de cette solution réside dans la prise en compte de l'expression de l'ensemble des salariés, directement ou par l'intermédiaire de leurs organisations syndicales.

Un des inconvénients d’une telle solution est cependant de constituer un droit de véto des salariés dans les établissements sans quorum. La non validité d'un accord pourrait même, à l'extrême, être imposée par la situation d'un seul établissement, le cas échéant, le plus petit de l'entreprise ! A défaut de « seuil » législatif, toute référence à un pourcentage minimum de salariés par exemple, n'aurait aucun fondement juridique.

Il serait tout aussi contestable de modifier le périmètre initial de l'accord, en considérant qu'au terme de ce processus, l'accord ne s'applique que dans les établissements où une signature ou un vote majoritaire des salariés est constaté.

Un autre obstacle ne peut être négligé eu égard au « mélange » des modalités de conclusion pour un seul et même accord. Ce « cocktail » issu de deux types de démocratie (représentative et directe) risque ainsi à l'évidence de susciter des débats quant à la nature juridique de cet acte hybride et donc notamment quant à sa valeur et aux modalités de sa remise en cause éventuelle (2).

Une deuxième solution pourrait sembler plus « juste » à certains car elle mettrait à égalité l'ensemble des établissements. Il s'agirait de considérer que faute de résultats utilisables dans l’ensemble des établissements, les accords doivent faire l’objet - dans tous les établissements- d’une approbation majoritaire par le personnel. Une telle position s'avère toutefois radicale, puisqu’elle conduit à ignorer, le cas échéant totalement, les résultats électoraux d’établissements importants, au seul prétexte qu’une petite entité n’a pas eu de candidats ou n’a pas atteint le quorum et, pour ce motif, elle apparaît en totale contradiction avec la logique même des dernières dispositions législatives.

Elle soulèverait nécessairement un tollé, au demeurant légitime, des organisations syndicales qui subissent déjà un bouleversement des règles de représentativité.

On ne peut dès lors qu'envisager une troisième solution qui pourrait s'inspirer de la solution proposée par le ministère du Travail en cas d’accord de groupe. La circulaire DRT n° 9 du 22 septembre 2004 prévoit, en effet, dans cette hypothèse que : « En cas de carence d’élections professionnelles dans une entreprise ou un établissement couvert par l’accord de groupe, cette entreprise ou cet établissement n’est pas pris en compte pour l’appréciation du caractère majoritaire des organisations syndicales dans le périmètre de l’accord. »

Monsieur Bernard Boubli - conseiller doyen honoraire de la Chambre sociale de la Cour de cassation - préconise cette solution, en cas d’absence de candidat au premier tour, estimant que l’appréciation de la représentativité de chaque organisation syndicale au niveau de l'entreprise devrait être faite à partir des seuls résultats des établissements dans lesquels il n'y a pas eu carence au premier tour (3).

L’avantage d’une telle option est de permettre la détermination d’une majorité, sans avoir alors recours à l’organisation d’une consultation du personnel, nécessairement contraignante à mettre en oeuvre.

Mais il peut apparaître choquant, sur le plan juridique, que le caractère majoritaire s'apprécie sur un périmètre différent, puisque plus restreint, de celui de l'accord lui-même.

Cette « contamination » de la représentativité à l'ensemble de l'entreprise reste pour autant l'option la plus simple. Devant cet imbroglio juridique, les parties se trouvent donc dans une impasse qui rend, à l'évidence, difficile, la conclusion d'accords collectifs dans les entreprises à établissements multiples.

Seule une nouvelle intervention du législateur permettrait de faire échec à cette situation de blocage qui fait peser sur les chefs d'entreprise un risque non négligeable de nullité ou d'inopposabilité de l'accord, d'autant qu'une telle remise en cause pourrait intervenir à tout moment à défaut de tout régime de sécurisation. Les enjeux peuvent donc être considérables et ne doivent pas être négligés.


1 Arrêt Cass. Soc. 20 décembre 2006. 
2 Même si cette solution existe expressément pour l'épargne salariale. 
3 Semaine Sociale LAMY du 10 avril 2007.

Marie-Pierre Schramm, Avocat Associée

Article paru dans la revue Décideurs - Stratégie, Finance & Droit d'août 2009

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Marie-Pierre Schramm