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Prime de partage des profits : contrainte ou opportunité ?

20/10/2011


Présenté au Conseil des ministres du 25 mai 2011, définitivement adopté par le Parlement le 13 juillet 2011, le régime de la prime figure à l’article 1er de la loi du 28 juillet 2011. Il procède de la volonté des pouvoirs publics de promouvoir le partage de la valeur ajoutée et d’associer les salariés aux résultats de l’entreprise. Le régime retenu laisse aux entreprises une certaine liberté, mais ses difficultés d’application restent réelles.


Toute hausse du montant des dividendes attribués aux actionnaires induit, sous les conditions visées par le texte, le versement, à tous les salariés, d’une prime exonérée, compte tenu de son caractère spécifique, de cotisations sociales. Souligner que la prime de partage des profits voulue par les pouvoirs publics ne fait pas l’unanimité relève de l’euphémisme tant elle a été stigmatisée par des critiques de nature diverses, parfois contradictoires, et tenant notamment à l’immixtion qu’elle caractérise dans les politiques de rémunération des entreprises, au nombre limité de ses bénéficiaires potentiels, à la création d’une nouvelle « niche sociale », à la complexité du régime, au risque de détournement de celui-ci, etc.

Quelles que soient les appréciations qu’appelle en opportunité le régime de la prime de partage des profits, son application commande, pour les entreprises employant au moins cinquante salariés et se trouvant dans le champ des dispositions légales à raison de la condition tenant à la distribution de dividendes, d’ouvrir des négociations. Face à cette obligation, le nouveau régime constitue-t-il pour les entreprises une contrainte ou une opportunité ?

Un particularisme affecte les sociétés appartenant à un groupe

La loi prévoit que lorsqu’une société appartient à un groupe tenu de constituer un comité de groupe, elle verse une prime à l’ensemble de ses salariés dès lors que la condition, et elle seule, tenant à l’augmentation du montant des dividendes attribués par la société dominante est satisfaite. Il s’agit plus précisément selon le législateur du « groupe tenu de constituer un comité de groupe en application du I de l’article L. 2331-1 du Code du travail ». Les sociétés intéressées sont donc celles qui ont leur siège social sur le territoire français.

La lettre du texte invite à considérer que le champ se définit exclusivement par référence aux critères de détermination du périmètre du groupe visé et amène les entreprises à réexaminer le périmètre du groupe qu’elles auraient pu de facto retenir pour constituer leur comité de groupe, ce pour en apprécier la pertinence. À cet égard la question de l’exacte identification de la société dominante est essentielle. En un même sens, une société appartenant à un groupe « tenu » de constituer un comité de groupe se trouve dans le champ de l’obligation, ce quand bien même, et quelle qu’en soit la raison, un tel comité n’aurait pas été mis en place.

Enfin, et surtout, il semble que le texte ait entendu déterminer un régime autonome s’agissant des sociétés appartenant à un groupe. L’exposé des motifs du projet de loi ainsi que les débats parlementaires semblent plaider en ce sens : lorsqu’une société appartient à un groupe, ce serait l’augmentation du montant des dividendes attribués par la société dominante - et elle seule - qui constituerait la condition tenant à l’obligation de verser la prime dans l’ensemble des sociétés du groupe. C’est cette augmentation qui commanderait le versement de la prime à l’ensemble des salariés, y compris ceux employés par des sociétés n’ayant pas augmenté le montant des dividendes qu’elles ont elles-mêmes attribués, et au demeurant quelle que soit leur situation économique. À l’inverse, l’absence de l’augmentation en cause au niveau de la société dominante exonérerait de toute obligation de versement de la prime, y compris au sein des sociétés ayant augmenté le montant des dividendes qu’elles ont attribués.

Si cette interprétation semble être la plus communément admise (celle notamment retenue par la circulaire du 29 juillet 2011), elle doit cependant être confirmée. La lettre du texte ne l’autorise en effet pas de façon parfaitement claire, laissant place selon certains à une analyse concluant à une obligation de versement de la prime au sein de chaque société augmentant ses dividendes nonobstant toute considération tenant à son appartenance à un groupe.

Dérogation : attribution d’un avantage pécuniaire non obligatoire

Les entreprises peuvent s’exonérer du versement de la prime de partage des profits. Elles pourront le faire en attribuant, non par décision unilatérale mais accord d’entreprise, un avantage pécuniaire non obligatoire en application de dispositions législatives en vigueur ou de clauses conventionnelles, dès lors que les parties à l’accord considèrent que celui-ci est accordé en tout ou partie en contrepartie de l’augmentation des dividendes.

Le champ laissé en cette matière aux négociateurs est particulièrement vaste tant, notamment, sont nombreux les dispositifs conduisant à l’attribution d’avantages permettant le partage des résultats de l’entreprise et à titre d’exemple : supplément d’intéressement ou de participation au titre d’un exercice clos, mise en oeuvre d’un régime d’intéressement ou de participation dérogatoire, attributions d’actions gratuites, etc.

De manière générale, les entreprises pourraient être amenées, dans le cadre de leur politique sociale et des ressources humaines, à étudier la mise en oeuvre de tout autre avantage éligible au régime dérogatoire et relevant non seulement des régimes d’intéressement, de participation et d’actionnariat salarié, mais également, le cas échéant, de tout régime de protection sociale ou de rémunération globale ou différée.

Rappelons à cet égard que les dispositions en cause, par la généralité des termes employés par le législateur (« avantage pécuniaire qui n’est pas obligatoire en application de dispositions législatives en vigueur ou de clause conventionnelles ou contractuelles ») laissent aux acteurs de la négociation une large place à la créativité pour permettre la mise en oeuvre du régime dérogatoire.

En ce sens, la liberté des parties à la négociation leur permet de définir librement l’avantage substitutif au versement de la prime de partage des profits, à la condition que l’avantage soit attribué « au titre de l’année en cours » et « au bénéfice de l’ensemble des salariés », selon les conditions légales propres aux régimes juridiques qui encadrent l’avantage retenu. Il est d’évidence que la mise en oeuvre de l’obligation tenant au versement de la prime de partage des profits ou à l’attribution d’un avantage pécuniaire non obligatoire doit s’inscrire dans le cadre plus général de la politique de rémunération de l’entreprise et de la gestion de sa masse salariale. Si le versement de la prime constituera une obligation à défaut d’accord, force est de reconnaître que l’entreprise bénéficie de la faculté d’en déterminer le montant et les modalités de répartition entre ses bénéficiaires (uniforme, ou fonction du salaire, ou de la durée de présence) et de l’insérer dans le cadre de sa politique globale de rémunération.


Laurent Marquet de Vasselot, avocat associé
Article paru dans le magazine Décideurs N°131 d'Octobre 2011

Auteurs

Portrait deLaurent Marquet de Vasselot-Final
Laurent Marquet de Vasselot
Associé
Paris