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Principe d’égalité et présomption de justification de certaines différences de traitement : les dernières précisions de la Cour de cassation

22/06/2018

Par plusieurs arrêts récents concernant le principe d'égalité de traitement, la Chambre sociale de la Cour de cassation continue de bâtir sa jurisprudence dans la lignée des arrêts du 27 janvier 2015 (n° 13-22.179) par lesquels elle a reconnu une présomption de justification des différences de traitement entre catégories professionnelles instaurées par voie d’accord collectif d’entreprise. Elle a ainsi apporté plusieurs précisions relatives, d’une part, au champ d’application de cette présomption (1) et, d’autre part, à la validité de certaines différences de traitement instaurées en l’absence d’accord collectif (2).

1. L’extension du champ de la présomption de justification aux différences de traitement instaurées par un accord de fin de conflit

La nature de l’accord de fin de grève, aussi appelé "protocole de fin de conflit", est variable. En effet, il peut, selon ses modalités de conclusions, être qualifié ou non d’accord collectif au sens du Code du travail.

Avant l’intervention de la loi du 20 août 2008 (n° 2008-789) et l’introduction des nouvelles conditions de représentativité, la jurisprudence considérait que le protocole de fin de conflit avait la nature d’accord collectif dès lors qu’il était conclu "après négociation avec les délégués syndicaux" et par au moins l’un d’entre eux (Cass. soc., 8 avr. 2009, n° 08-40.256).

Sans surprise, dans un arrêt du 30 mai 2018 (n° 17-12.782), la Cour de cassation indique que, s’agissant des protocoles de fin de conflit conclus sous le régime issu de la loi du 20 août 2008, ces derniers ont la nature d’accord collectif dès lors qu’ils ont été signés par des organisations syndicales représentatives dans les conditions de droit commun prévues par l’article L.2232-12 du Code du travail.

Pour rappel, depuis le 1er mai 2018, pour être valable, un accord collectif doit être signé par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants. Par exception, un accord conclu par une ou plusieurs de ces organisations représentant 30 % de ces suffrages peut être validé par le personnel de l’entreprise à la majorité des suffrages (C. trav., art. L.2232-12).

Au surplus, la Cour de cassation apporte une précision inédite : elle retient que les différences de traitement instaurées par voie de protocole de fin de conflit ayant valeur d’accord collectif sont présumées justifiées, de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle.

Elle opère ainsi une distinction logique avec les différences de traitement opérées par voie de protocole de fin de conflit n’ayant pas la valeur d’accord collectif qui, elles, doivent être justifiées par des raisons objectives et pertinentes (Cass. soc., 13 déc. 2017, n° 16-12.397).

Ainsi, au fil de la jurisprudence, le champ d’application de la présomption de justification est désormais étendu aux différences de traitement instaurées :

  • entre des salariés exerçant, au sein d’une même catégorie professionnelle, des fonctions conventionnelles distinctes (Cass. soc., 8 juin 2016, n° 15-11.324) ;
  • entre des salariés d’une même entreprise mais relevant d’établissements distincts (Cass. soc., 3 nov. 2016, n° 15-18.444 ; Cass. soc., 4 oct. 2017, n° 16-17.517) ;
  • entre des salariés dont le contrat de travail a été transféré en application d'une garantie d'emploi instituée par voie conventionnelle, et les salariés du repreneur, dès lors que cette différence résulte de l'obligation à laquelle est tenu ce dernier de maintenir au bénéfice des salariés transférés les droits qui leur étaient reconnus chez leur ancien employeur au jour du transfert (Cass. soc., 30 nov. 2017, n° 16-20.540) ;
  • par voie de protocole de fin de conflit ayant la valeur d’accord collectif (Cass. soc., 30 mai 2018, n° 17-12.782).

En conclusion, il semble que, partie d’une présomption de justification des différences de traitement entre catégories professionnelles instaurées par voie d’accord collectif, la Cour de cassation ait progressivement étendu cette présomption à toutes les distinctions opérées entre salariés par voie d’accord collectif.

Rappelons que le législateur s’est également saisi du sujet par deux dispositions des ordonnances du 22 septembre 2017 qui prévoient, d’une part, que l’accord collectif autorisant le recours au travail de nuit est présumé négocié et conclu conformément aux dispositions du Code du travail (C. trav., art. L.3122-15) et, d’autre part, qu’il appartient à celui qui conteste la légalité d'un accord collectif de démontrer qu'il n'est pas conforme aux conditions légales qui le régissent (C. trav., art. L.2262-13).

2. Quelles raisons objectives justifient des différences de traitement en l’absence d’accord collectif ?

Il est de jurisprudence constante qu’une différence de traitement établie par engagement unilatéral ne peut être pratiquée entre des salariés placés dans une situation identique au regard de l'avantage en cause, que si elle repose sur des raisons objectives, dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence.

Parallèlement au développement de la présomption de justification des différences de traitement instaurées par voie d’accord collectif, la Cour de cassation continue à apporter des précisions sur ces raisons objectives et pertinentes à même de justifier une différence de traitement entre salariés exerçant un travail égal en l’absence d’un tel accord.

C’est ainsi qu’elle a reconnu qu’était une raison objective et pertinente justifiant une différence de traitement :

  • la disparité du coût de la vie entre les salariés d’un établissement situé en Île-de-France et ceux d’un établissement de province (Cass. soc., 14 sept. 2016, n° 15-11.386) ;
  • l’obligation de maintenir les droits que les salariés transférés en application de l’article L.1224-1 du Code du travail tiennent d’un usage en vigueur chez le cédant au jour du transfert (Cass. soc., 30 mai 2018, n° 17-12.282) ;
  • le fait qu’un accord ne peut être maintenu en vigueur lorsqu’une ou plusieurs organisations syndicales représentatives majoritaires exercent leur droit d’opposition (Cass. soc., 30 mai 2018, n° 16-16.484).

Dans cette dernière affaire, une entreprise était dotée de deux accords collectifs distincts relatifs à la durée du temps de travail, l’un concernant les cadres et l’autre les non-cadres. Une organisation syndicale majoritaire s’est opposée à l’entrée en vigueur de l’accord non-cadres, celui-ci ne pouvait donc être appliqué dans l’entreprise et devait même, en application de l'article L.2231-9 du Code du travail, être réputé non écrit. Pour autant, l’accord cadres, lui, subsistait, créant ainsi une disparité entre les salariés de l’entreprise. Ainsi, la Cour de cassation a logiquement considéré que l’accord non-cadres ne pouvant être maintenu en vigueur par l'effet de la loi, la différence de traitement était justifiée par une raison objective.

De la même manière, en cas de transfert d'entreprise, le maintien des usages et celui des avantages individuels acquis (devenus "maintien de la rémunération" depuis la loi Travail du 8 août 2016) sont des considérations objectives justifiant les différences de traitement créées par ces maintiens, dès lors qu'elles résultent de l'application de la loi.