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Ressources humaines. De l'invalidité à l'inaptitude

05/07/2011


En étendant l'obligation pour l'employeur d'organiser une visite d'aptitude pour les salariés en invalidité, la Cour de cassation entend mettre fin à des incertitudes pour les salariés concernés. Les entreprises devront s'y conformer à l'avenir. Mais comme tout revirement, cette décision crée un risque qu'il convient de mesurer et des situations délicates que les entreprises vont devoir gérer.


Les questions de santé au travail prennent une place de plus en plus importante parmi les problématiques du droit social. Dans deux arrêts des 25 janvier et 15 février 2011(1), la Cour de cassation vient de procéder à un revirement assorti des signaux de publicité maximale (P+B+R) en étendant l'obligation pour l'employeur d'un salarié classé en invalidité 2e catégorie de faire procéder par le médecin du travail à la visite d'aptitude dite « de reprise ».

Au-delà d'un problème technique complexe, cet arrêt traduit l'influence des systèmes de prévoyance sur les solutions du droit du travail et pourrait déboucher sur un risque financier significatif pour certaines entreprises.

Il convient de replacer ces décisions dans leur contexte avant de tenter d'en mesurer la portée, tant pour les cas futurs que pour les situations déjà constituées.

Des décisions replacées dans leur contexte

La loi et la jurisprudence de la Chambre sociale ont, depuis plus de vingt ans, soigneusement distingué l'invalidité, notion de sécurité sociale conditionnant le droit à des prestations légales et conventionnelles, et l'inaptitude, qui obéit aux dispositions du Code du travail(2) et peut aboutir au reclassement ou à la rupture du contrat de travail.

Ceci étant, il serait illusoire d'ignorer que la reconnaissance par le médecin-conseil de la CPAM de l'incapacité à exercer une activité professionnelle quelconque (classement en invalidité 2e catégorie), s'accompagne, le plus souvent, lorsque le médecin du travail est saisi, d'un avis d'inaptitude et, à défaut de possibilité de reclassement, de l'engagement d'une procédure de licenciement. C'est sans doute ce constat d'évidence qui a conduit la Chambre sociale à créer puis ici à renforcer la passerelle qui mène de l'invalidité à l'inaptitude.

Jusqu'à présent, le salarié placé en invalidité 2e catégorie était, à défaut d'une demande contraire de sa part, considéré comme en absence régulière ne justifiant donc pas de prendre l'initiative d'une visite de reprise, ce que confirmait encore un arrêt récent(3) de la Haute Juridiction. La décision du 25 janvier 2011 renverse le principe : l'engagement du processus de contrôle d'aptitude s'impose de manière générale, sauf si le salarié « manifeste la volonté de ne pas reprendre le travail ».

Comme souvent en cas de revirement, les conséquences à en tirer sont plus claires pour les situations futures que pour celles déjà acquises.

Quelle portée pour les cas futurs?

Il résulte de l'arrêt du 25 janvier 2011 que le salarié peut « manifester la volonté de ne pas reprendre le travail ». Il dispose donc toujours d'un choix préalable. Encore faut-il qu'il ait bien conscience de sa portée en fonction de sa situation personnelle comme du régime de prévoyance en vigueur dans l'entreprise.

  • Il peut ainsi être de son intérêt de rester en situation d'inactivité indemnisée. En pareil cas, il lui faudra énoncer clairement sa décision de ne pas reprendre le travail, car sinon, l'employeur aura l'obligation d'organiser la visite de reprise.
  • Son intérêt peut être, à l'inverse, de provoquer la visite de reprise qui, dès lors qu'il serait effectivement hors d'état de travailler, pourra aboutir à la rupture de son contrat de travail et au versement des indemnisations correspondantes. Il pouvait, certes, déjà l'obtenir en sollicitant lui-même le médecin du travail ou en notifiant sa demande à l'employeur ; mais désormais cette solution s'imposera aussi à l'employeur si le salarié s'abstient de prendre position. Et, comme dans tout dossier d'inaptitude, il faut rappeler que, au-delà de cet aspect formel, l'obligation de l'employeur est d'abord une obligation de reclassement, assortie de sanctions spécifiques particulièrement fortes.

Quelle portée pour les salariés déjà en invalidité ?

Par hypothèse, la question ne se pose pas pour les entreprises qui ont opté pour la rupture indemnisée des contrats des salariés inaptes.Mais ce revirement fait peser un risque sur les entreprises qui, par abstention ou par choix de politique sociale, ont conservé ces salariés invalides dans leurs effectifs en situation d'inactivité, alors même qu'elles n'auront fait que se conformer à la jurisprudence alors en vigueur.

Faute d'avoir fait procéder à cette visite de reprise, l'employeur a en effet été condamné dans le premier arrêt à indemniser le préjudice résultant pour le salarié de ce retard. Dans le second, la Cour de cassation n'a pas hésité, au même motif, à approuver la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur.

L'extrapolation de ces décisions au cas de salariés en invalidité de 2e catégorie depuis plusieurs années et/ou ayant beaucoup d'ancienneté pourrait représenter un enjeu financier significatif... et susciter des actions contentieuses de pure opportunité {notamment dans l'hypothèse de salariés ayant cumulé une longue période en invalidité et qui pourraient avoir intérêt prochainement à sortir de ce régime pour bénéficier de leur retraite par exemple mais tout en percevant les indemnités de licenciement).

L'analyse des arrêts fait cependant apparaître des circonstances particulières qui permettent d'espérer que les employeurs de bonne foi ne seront pas systématiquement condamnés. En effet, dans l'arrêt du 25 janvier 2011, l'employeur n'avait pas mis en oeuvre la visite malgré la demande du salarié. De même, dans la décision du 15 février 2011, l'employeur n'avait pas pris de mesure après l'avis d'inaptitude faisant suite à une visite initiée par le salarié. Par ailleurs, l'on relève que dans l'un des deux cas susvisés, la décision de la Cour d'appel, approuvée par la Cour de cassation, rejetait déjà une demande « manifestement exagérée » en termes d'indemnisation.

Il importe, malgré tout, que les entreprises concernées prennent, sans précipitation - qui pourrait être perçue comme choquante -, mais rapidement à l'issue d'un examen de chaque dossier, l'initiative d'actions pertinentes pour clarifier la situation et les choix des salariés concernés et engager s'il y a lieu, au cas par cas, le processus de la visite médicale.


1. Cass. soc. 25 janvier 2011, n°09-42766, 1er moyen, RJS 4/2011, n°314 ; Cass. soc. 25 février 2011, n°09-43172

2. Sous réserve des articles L 351.7 et R 351.21 et suivants du Code de la sécurité social sur la pension pour inaptitude au sens de la sécurité sociale.

3. Cass.soc. 6 octobre 2010, n°09-13149


par Marie-Pierre Schramm, avocat associé

Article paru dans la revue Décideurs de mai 2011

Auteurs

Marie-Pierre Schramm