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Temps de trajet des salariés itinérants : la loi nationale l’emporte sur le droit communautaire

15/06/2018

Cass. soc., 30 mai 2018, n°16-20.634

Depuis 2015, il existe une contradiction entre le droit français et le droit communautaire pour apprécier le temps de trajet des salariés itinérants entre leur domicile et le site du premier et du dernier de leurs clients :

  • aux termes de l’article L.3121-4 du Code du travail : "le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif. Toutefois s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l’objet d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière" ;
  • par un arrêt du 10 septembre 2015 (aff. C-266/14), la Cour de justice de l’Union européenne a jugé, en ce qui concerne les salariés itinérants espagnols, qu’en l’absence de lieu de travail fixe, le temps de déplacement quotidien entre leur domicile et le premier et dernier lieu d’intervention doit être considéré comme du temps de travail, au sens de la directive européenne n°2003/88/CE du 4 novembre 2003 sur le temps de travail.

En revanche, il y a consensus pour considérer que les déplacements dans la journée entre clients doivent être considérés comme du temps de travail effectif.

La Cour de cassation vient de trancher cette contradiction en faveur du droit national par un arrêt du 30 mai 2018 (n°16-20.634) rendu en formation plénière et qui sera publié.

Un salarié employé en qualité de technicien après-vente itinérant sur la base d’un forfait hebdomadaire de quarante-deux heures bénéficiait pour la rémunération de ses temps de déplacement d’une contrepartie sous la forme d’un forfait rémunéré de seize heures par semaine. Il a contesté ce forfait en faisant valoir que ses temps de trajet devaient être considérés comme du temps de travail effectif conformément à la jurisprudence européenne.

Plus précisément, il a présenté deux demandes : 

  • une demande de paiement de ses temps de trajet comme du temps de travail effectif ;
  • une demande de dommages et intérêts pour non-respect des repos compensateurs et de la durée maximale du travail.

Sur la première demande, la Cour de cassation a jugé qu’en dehors du congé annuel payé, la directive de 2003 "se borne à réglementer certains aspects de l’aménagement du temps de travail, de telle sorte que, en principe, elle ne trouve pas à s’appliquer à la rémunération des travailleurs et que, partant, le mode de rémunération des travailleurs dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle les travailleurs n’ont pas de lieu de travail fixe ou habituel et effectuent des déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites du premier et du dernier client désignés par leur employeur, relève non pas de ladite directive, mais des dispositions pertinentes du droit national".

Cette décision est intéressante car elle juge de façon formelle, conformément d’ailleurs à la jurisprudence de la Cour elle-même (CJUE, 1er déc. 2005, aff. C-14/04), que la directive sur le temps de travail ne régit pas, en dehors du congé annuel payé, la rémunération des travailleurs. Dès lors, était seul applicable l’article L.3121-4 et la Cour de cassation a constaté qu’une contrepartie financière était bien prévue sous la forme du forfait de seize heures.

Sur la seconde demande, la Cour de cassation a jugé "qu’aux termes de l’article L.3121-4 du Code du travail dans sa rédaction applicable au litige, les temps de déplacements professionnels pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas du temps de travail effectif".

La Cour en a déduit que le temps de déplacement ne pouvait être additionné au forfait horaire hebdomadaire et pris en compte pour le calcul des durées quotidiennes et hebdomadaires maximales.

La Cour a donc fait prévaloir la loi nationale sur la directive communautaire telle qu’interprétée par la CJUE. Cette solution repose, nous semble-t-il, sur deux motifs qui ne sont pas explicités dans l’arrêt : 

  • le premier est que l’article L.3121-4 du Code du travail étant d’une clarté absolue pour dire que le temps de trajet n’est pas du temps de travail effectif, la Cour était dans l’impossibilité de retenir une autre interprétation qui aurait été contra legem ;
  • la seconde raison, fondamentale, est que les directives régissent les relations entre l’Union européenne et les Etats membres qui doivent les transposer. En revanche, elles n’ont pas d’effet horizontal : les dispositions de la directive temps de travail ne peuvent donc être invoquées dans un litige entre particuliers comme un litige entre un employeur et son salarié. Cette absence d’effet horizontal des directives résulte à la fois de la jurisprudence de la Cour de l’Union européenne et d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui a jugé "que la directive n°2003/88/CE ne peut permettre dans un litige entre les particuliers d’écarter les effets d’une disposition de droit national contraire" (Cass. soc, 13 mars 2013, n°11- 22.285) ou encore qu’un article du Code du travail, quoi qu’incompatible avec le droit de l’Union, ne peut être écarté par le juge judiciaire dans un litige entre particuliers au profit d’une directive communautaire (Cass. soc., 9 juill. 2014, n°11-21.609).

Cette absence d’effet horizontal des directives, que cette affaire illustre de façon spectaculaire, est un facteur de sécurité juridique important pour le droit national par rapport au droit communautaire.