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Preuve de la normalité d’un taux d’intérêt

Retour au bon sens !

08/08/2019

Par un avis en date du 10 juillet 20191, très attendu par les contribuables, le Conseil d’Etat vient de replacer à juste titre le débat sur la normalité des taux d’intérêt intragroupe dans la sphère des prix de transfert.

L’administration fiscale, suivie par certaines juridictions, avait retenu une lecture particulièrement restrictive de l’article 212-I-a) du CGI qui permet à un contribuable de justifier qu’un taux d’intérêt intragroupe correspond au « taux que cette entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues». Cette justification permet à l’entreprise d’échapper au plafond à la déductibilité des intérêts qui résulte de l’article 39, 1, 3° du CGI.

Il était en effet soutenu par l’administration que seuls les taux pratiqués à raison de prêts bancaires pouvaient servir de comparables. Or, les banques n’émettant pas d’offres de prêt « pour des raisons fiscales », et les taux offerts par les banques pour une transaction particulière n’étant pas publics, les contribuables avaient majoritairement réalisé des études de taux fondées sur des référentiels obligataires. Ces études étaient systématiquement rejetées parce que, basées sur des référentiels obligataires, elles ne permettaient pas de justifier du taux auquel une banque aurait prêté. Pour peu que le contribuable ait émis des obligations, il tombait dans le champ de l’article 212 du CGI, sans jamais pouvoir apporter la preuve de la normalité du taux d’intérêt …

Pour le Conseil d’Etat, au contraire, « l'entreprise emprunteuse, à qui incombe la charge de justifier du taux qu'elle aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants pour un prêt consenti dans des conditions analogues, a la faculté d'apporter cette preuve par tout moyen. A ce titre, pour évaluer ce taux, elle peut le cas échéant tenir compte du rendement d'emprunts obligataires émanant d'entreprises se trouvant dans des conditions économiques comparables, lorsque ces emprunts constituent, dans l'hypothèse considérée, une alternative réaliste à un prêt intragroupe».

Le Conseil d’Etat considère donc qu’un taux d’intérêt intragroupe peut être justifié par la production d’une étude fondée sur des référentiels obligataires (1), sans toutefois donner d’indication claire sur la pertinence des comparables (2).

1. La recherche d’un taux de pleine concurrence

L’avis se situe dans le prolongement de la décision SNC Siblu4 du Conseil d’Etat, par laquelle le Conseil d’Etat avait jugé que « le taux d’intérêt auquel l’entreprise emprunteuse aurait pu s’endetter auprès d’organismes financiers indépendants doit être apprécié au regard, d’une part, des caractéristiques des prêts et, d’autre part, des caractéristiques propres de cette entreprise et non de celles du groupe de sociétés auquel elle appartient ».

Le Conseil d’Etat n’avait toutefois pas expliqué quels moyens de preuve pouvaient être utilisés. Dans l’affaire SAS Wheelabrator5, la question lui était clairement posée, et entre une lecture particulièrement restrictive de l’article 212, et une lecture économique, le Conseil d’Etat, sur la base des rapports parlementaires qui ne laissent pas la place au doute, replace la question de la justification du taux dans une démarche prix de transfert.

En effet, pour le Conseil d’Etat, « le taux que l'entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues s'entend, pour l'application de ces dispositions, du taux que de tels établissements ou organismes auraient été susceptibles, compte tenu de ses caractéristiques propres, notamment de son profil de risque, de lui consentir pour un prêt présentant les mêmes caractéristiques dans des conditions de pleine concurrence6 ». Le principe cardinal des prix de transfert, le principe de pleine concurrence, apparaît ici clairement.

On peut même s’interroger sur le fait qu’une question préjudicielle ait dû être posée au Conseil d’Etat tant les rapports parlementaires sur l’article 212 font clairement renvoi aux travaux de l’OCDE. Les rapports de la commission des finances de l’Assemblée Nationale7 et du Sénat8 indiquent en effet que le taux que « l’entreprise aurait pu obtenir d’établissements ou d’organismes financiers indépendants dans des conditions analogues » fait référence au principe de pleine concurrence explicité par les travaux de l’OCDE pour la détermination des prix de transfert. L’OCDE a pour sa part plus récemment précisé que « en fonction des faits et circonstances du cas d’espèce, une alternative réaliste à un prêt intragroupe peut être une émission obligataire9 ».

En définitive, admettre le recours aux référentiels obligataires, outre le fait que le texte ne les exclut pas par principe, permet avant tout de garantir que le contribuable puisse apporter la preuve requise par l’article 212-I-a) du CGI, alors que la position retenue par l’administration et certaines juridictions vidait totalement de portée cet article.

2.  La recherche des comparables

Le Conseil d’Etat n’a pas listé clairement les critères de pertinence des comparables, seuls quelques indices peuvent être trouvés dans l’avis. Or, on sait que l’administration a contesté la méthodologie des études, avant de les rejeter sur le principe même des référentiels obligataires. Afin de déterminer le taux de pleine concurrence, il convient de raisonner en deux temps, déterminer le risque de crédit que présente la société emprunteuse, et étudier les caractéristiques du prêt.

S’agissant du risque de crédit, l’administration reprochait aux contribuables le recours à des outils de « scoring » mis à disposition par des agences de notation, et non de véritables notations, car ces outils n’intègrent pas de données qualitatives. Outre qu’exiger un rating serait sans doute là encore un obstacle injustifié à la preuve exigée du contribuable (le Conseil d’Etat évoquant le « profil de risque »), on relèvera que le « scoring », est utilisé par de nombreux intervenants, à commencer par les banques et qu’il intègre de nombreuses informations financières sur la société emprunteuse. Le fait que le modèle ne comporte pas d’éléments qualitatifs sur la société ne devrait pas affecter une recherche de comparables sur cette base. L’OCDE reconnaît en effet parfaitement qu’une étude de prix de transfert n’est pas une science exacte, et que l’existence éventuelle de situations pour lesquelles les informations ne sont pas totalement exhaustives est corrigée par des méthodes statistiques10. L’objet d’une étude de prix de transfert n’est pas de prouver qu’une opération conclue avec une société liée serait conclue dans des conditions strictement identiques avec des tiers. L’étude doit simplement prouver que le « pricing » de l’opération intra-groupe se situe à l’intérieur d’un intervalle (« interquartile ») basé sur les conditions observées pour des opérations non pas identiques mais suffisamment comparables.

Une fois déterminé le « scoring » de l’emprunteur, les logiciels des agences financières permettent de déterminer une courbe des taux à partir de divers critères (la devise de l’emprunt, le risque de crédit de la société émettrice, la maturité, le secteur, la période) et ainsi, de déterminer le taux d’intérêt réel que le marché serait prêt à offrir à une société donnée à un instant t sur la base de l’ensemble des informations disponibles sur la société concernée. Les logiciels ne se limitent donc pas à sélectionner un taux facial des obligations, mais ils déterminent leur taux de rendement effectif. Le Conseil d’Etat dans son avis nous semble avaliser cette méthode puisqu’il fait référence au « rendement d'emprunts obligataires ».

Tout semble donc réuni pour que les contribuables puissent enfin gagner en sérénité lorsqu’ils concluent un prêt intragroupe.

Article paru dans le magazine Option Finance le 29 juillet 2019


1 Avis du Conseil d’Etat, 10 juillet 2019, n° 429426.
2 Article 212, I-a) du CGI.
3 Point 7 de l’avis.
4 Conseil d’Etat, 18 mars 2019, n°411189, SNC Siblu.
5 CAA Paris, 31 décembre 2018, n°17PA03018, SAS WB Ambassador.
6 Point 5 de l’avis.
7 Rapport n° 2568 établi au nom de la commission des finances de l’Assemblée Nationale par M. Gilles Carrez, tome III, page 460.
8 Rapport n° 99 établi au nom de la commission des finances du Sénat par M. Philippe Marini, tome III, 364.
9 Projet pour commentaires de l’OCDE portant les actions BEPS 8-10 sur les transactions financières publié le 3 juillet 2018, page 25.
10 Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales 2017, §3.57.


Prêt intragroupe 

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