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Concession de licence de droits incorporels : quelques développements récents sur le traitement fiscal des redevances

30/06/2011


Les redevances versées pour l’utilisation de droits incorporels sont déductibles sous réserve que la société versante ne puisse pas être considérée comme ayant acquis des droits, cessibles, lui assurant dans la durée une source régulière de profits. Analyse des récents développements jurisprudentiels en la matière.


Les redevances versées par une société en contrepartie de l’utilisation d’un droit incorporel (tel une marque, un brevet ou encore un procédé de fabrication) cessent d’être admises en déduction du résultat imposable lorsqu’elles représentent le coût d’acquisition d’un élément d’actif immobilisé, c’est-à-dire lorsque le contrat qui les cause confère à l’entité versante des droits constituant pour elle une source régulière de profits, dotés d’une pérennité suffisante et susceptibles de faire l’objet d’une cession ou d’une concession. Ces règles sont celles qui se dégagent d’un arrêt SIFE du Conseil d’Etat du 21 août 1996(1) qui a codifié une jurisprudence apparue longtemps auparavant.

Malheureusement, l’application de ce principe fiscal fait de nombreuses victimes.

Que le versement de redevances permettant de bénéficier temporairement de prérogatives que le concédant va retrouver pleinement au terme de l’exécution du contrat puisse être constitutif d’un incorporel fiscal a de quoi surprendre. Pourtant, les rectifications de ce type sont fréquentes et souvent mal vécues dans les entreprises par les responsables de l’établissement des déclarations fiscales qui n’avaient pas conscience d’appliquer un traitement fiscal inapproprié en maintenant en charges les redevances concernées.

Certes, l’effet d’un tel redressement peut-être partiellement limité dans la mesure où l’administration admet que la variation d’actif net qui en résulte soit compensée par l’amortissement que l’entreprise aurait pu pratiquer si elle avait spontanément traité les redevances comme le coût de revient d’un élément d’actif. Mais l’impact financier du redressement n’est pas négligeable lorsque l’actif n’ouvre pas mécaniquement droit à un amortissement corrélatif (cas de concessions de marques notamment), étant entendu que l’intégration fiscale ne peut neutraliser les effets d’un tel redressement, quand bien même les sociétés concédantes et concessionnaires feraient partie d’un même groupe intégré. Enfin, et ce n’est pas là le moindre des inconvénients, le redressement a des répercussions en matière de contribution économique territoriale (CET) : la non-déduction de la dépense emporte augmentation de la valeur ajoutée de l’entreprise et par suite de sa CVAE (quand bien même il existerait des arguments pour conclure à une prise en compte des seules corrections comptables et non fiscales pour le calcul de la valeur ajoutée de l’entreprise).

L’importance pratique du sujet appelle donc une mise au point portant sur les deux critères les plus discutés que sont la cessibilité et la pérennité des droits générateurs de la rémunération dont la déductibilité est en jeu.

1. Le critère de cessibilité dépend de la capacité du concessionnaire à céder ou concéder ses droits

La question s’est longtemps posée de savoir si un contrat est cessible du seul fait qu’il ne comporte pas expressément l’interdiction d’être cédé ou si l’on doit, au contraire, interpréter le silence du contrat à cet égard comme s’opposant à sa cessibilité.

Il est aujourd’hui établi que le silence du contrat, et donc l’absence d’interdiction expresse pour le concessionnaire de le transmettre, établit sa cessibilité (arrêt CE du 14 octobre 2005, Laboratoires Fournier).

La Haute Juridiction a par ailleurs précisé plus récemment (par un arrêt du 16 octobre 2009, Société Pfizer Holding France) que si l’agrément du concédant est nécessaire pour pouvoir transmettre le droit et que s’il s’agit d’un agrément purement discrétionnaire, cette double circonstance entraîne une restriction telle à la cessibilité du contrat que les droits qui en sont l’objet ne constituent pas un élément d’actif incorporel pour le cessionnaire. En l’espèce, le concédant pouvait s’opposer à toute cession des droits par le concessionnaire à une société ne faisant pas partie du même groupe, sauf cas d’une reprise d’activité. Pour une telle hypothèse, il a donc été considéré que le contrat n’était pas librement cessible. On était en effet loin de l’hypothèse du silence du contrat (ou du cas voisin où le concédant est seulement tenu d’informer le concédant en cas de cession, clause qui n’altère pas la libre cessibilité du contrat).

En conclusion, dans les contrats conclus entre entités d’un même groupe, la recherche de la déductibilité immédiate des redevances devra conduire à prévoir un droit de regard contraignant du concédant sur la transmission des droits par le concessionnaire.

2. Le critère de pérennité ne se réduit pas à la durée même du contrat

Dans une décision plus récente encore, la Cour administrative d’appel de Paris apporte un éclairage intéressant sur ce qu’il convient d’entendre par contrat pérenne (arrêt Société Beauté Créateurs du 3 février 2011).

Il convient de préciser d’emblée que, saisie une première fois, la Cour avait jugé le contrat litigieux pérenne, au vu de sa durée jugée longue. Mais la Cour a subi la cassation de sa décision par le Conseil d’Etat au motif que les juges ne doivent pas apprécier la pérennité en se fondant uniquement sur la durée du contrat, sans examiner les modalités de sa résiliation.

Finalement, pour persister à conclure à la non pérennité du contrat – et donc à la déduction des redevances rémunérant les droits qui en résultent – la Cour a retenu un faisceau d’indices comprenant la résiliation possible du contrat à l’issue de sa durée initiale et à tout moment une fois entamée la phase de sa reconduction tacite, bien que sous condition de la non-réalisation d’un certain chiffre d’affaires, l’absence de stipulation d’une indemnité de résiliation et la brièveté du délai de résiliation lui-même (six mois maximum).

Ce faisant, cet arrêt s’éloigne encore un peu plus des décisions antérieures à l’arrêt SIFE précité qui semblaient assoir principalement l’appréciation de la pérennité du contrat sur sa durée même, sans considération des éléments de précarité qu’il pouvait intrinsèquement receler. A ce sujet, il est intéressant de constater que, dans certains cas, les éléments retenus par l’administration et par le contribuable pour arguer de la pérennité ou non du contrat étaient identiques, le Ministre du budget considérant qu’un préavis de six mois est long et contraignant (en tout cas assez pour conclure à la pérennité du contrat) là où les représentants de la société avaient plaidé qu’une telle durée de préavis ne caractérisait pas une contrainte particulière. Mais d’autres éléments ont pu témoigner d’une certaine précarité, le concédant pouvant se dégager relativement facilement de son engagement contractuel de sorte que le concessionnaire ne puisse bénéficier d’un droit activable.

En l’espèce, on peut se réjouir du pragmatisme de la Cour. Mais le raisonnement par faisceau d’indices peut être problématique en termes de sécurité juridique : un contrat d’un an, renouvelable par tacite reconduction ne créera à l’évidence pas un élément d’actif incorporel pour son concessionnaire dès lors que sa résiliation est prévue comme s’opérant sans préavis et sans droit à indemnité.

Mais quid d’un contrat court renouvelable par tacite reconduction et assorti d’un préavis de plus de six mois (et/ou d’une indemnité substantielle en cas de résiliation)? A l’opposé, quid d’un contrat à la résiliation sans contrainte et sans rémunération mais d’une durée par exemple supérieure à vingt ans ?

Autant de situations qui devront être analysées au cas par cas.

En tout état de cause, au plan pratique, on ne pourra là encore qu’inciter les cocontractants membres d’un groupe à conclure un accord précarisant la relation, c’est-à-dire prévoyant autant que possible des facultés de désengagement le moins contraignantes possibles pour le concédant. On notera d’ailleurs à ce propos que les liens capitalistiques entre le concédant et le concessionnaire ne devront pas être pris en compte pour apprécier la pérennité du contrat, seule la relation juridique telle qu’elle découle des termes de l’accord étant à analyser.

En conclusion, au regard des conséquences substantielles qu’emporte l’analyse de l’accord conclu entre le concédant et le concessionnaire de droits incorporels, il est plus que jamais primordial d’en soigner les termes et, si l’objectif poursuivi est d’obtenir la reconnaissance du caractère immédiatement déductible des redevances servies par le concessionnaire, d’y introduire des dispositions marquant la précarité de sa relation avec le concédant et/ou entravant la libre cessibilité de ses droits.


1. Bien qu’il s’agisse d’une décision de rejet.


Par Dimitri Leboff, avocat

Article paru dans la revue Option Finance du 16 mai 2011

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Dimitri Leboff
Associé
Paris