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Dénigrement fautif

Le cas de la communication d’éléments concernant une action judiciaire en cours

28/03/2019

Peut-on communiquer sans risque sur le lancement d’une assignation en justice à l’encontre d’un concurrent, même indirect ? Réponse négative pour la Cour de cassation.

Le principe : la divulgation doit être justifiée et mesurée - La Cour de cassation vient en effet d’énoncer au visa des articles 1240 du Code civil (responsabilité délictuelle) et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (liberté d’expression) que : « même en l'absence d'une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l'une, d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure ».

Les faits : la divulgation d’une action en contrefaçon en cours - Une société vendant ses produits par l'intermédiaire d’un agent commercial a assigné en contrefaçon de ses modèles communautaires une société de droit italien.

L’agent commercial a divulgué l’existence de cette action en justice aux clients de la société italienne, laquelle l’a alors assigné en paiement de dommages-intérêts pour concurrence déloyale. Elle lui a reproché d'avoir ainsi organisé à son encontre, alors qu’aucune décision de justice n’était encore intervenue, une campagne de dénigrement, ce qui avait conduit plusieurs de ses clients à renoncer à des commandes.

La décision : la reconnaissance d’un dénigrement fautif - La Cour d’appel a rejeté cette demande, considérant que le caractère non objectif, excessif ou dénigrant, voire mensonger, des informations communiquées visant la société italienne ou celui menaçant des propos tenus à l'égard des distributeurs, seul susceptible de caractériser un procédé déloyal, n'était pas démontré.

La Cour de cassation censure la Cour d’appel pour violation des dispositions précitées du Code civil et de la CEDH (Cass. com., 9 janvier 2019, n° 17-18.350). En effet, la divulgation à la clientèle d'une action en contrefaçon constituait un dénigrement fautif. Et ce pour la simple raison que n’ayant pas donné lieu à une décision de justice, elle était dépourvue ainsi de base factuelle suffisante en ce qu'elle ne reposait que sur le seul acte de poursuite engagé par le titulaire des droits.

La portée : un tempérament et un alignement jurisprudentiel - En admettant que la divulgation d’une information jetant le discrédit sur les produits d’un concurrent puisse être justifiée par la liberté d’expression qui emporte le droit de libre critique, la Chambre commerciale tempère la solution qu’elle retenait jusqu’alors selon laquelle « la divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent constitue un dénigrement, peu important qu'elle soit exacte » (Cass. com., 24 septembre 2013, n° 12-19.790).

Ce faisant elle rejoint la position de la 1re chambre civile qui a récemment jugé « que, même en l'absence d'une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l'une, d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre, peut constituer un acte de dénigrement ; que, cependant, lorsque l'information en cause se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, cette divulgation relève du droit à la liberté d'expression, qui inclut le droit de libre critique, et ne saurait, dès lors, être regardée comme fautive, sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure » (Cass. 1re civ.,11 juillet 2017 n° 17-21.457).

Le principe restant la qualification de dénigrement, pour échapper à celle-ci, l’information divulguée doit impérativement respecter trois conditions cumulatives :

  • se rapporter à un sujet d’intérêt général ;
  • reposer sur une base factuelle suffisante (comme une décision de justice) ; et
  • être exprimée avec une certaine mesure (respect des limites admissibles à la liberté d’expression).

Nécessité de maintenir un juste équilibre entre responsabilité délictuelle et liberté d’expression - A défaut, même la publicité donnée à une décision de justice favorable serait susceptible de constituer un dénigrement. En ce sens, si la victime d’une contrefaçon peut, sauf abus, procéder, à ses propres frais, à toute autre mesure de publicité de la condamnation prononcée à son bénéfice, la substitution à la publication ordonnée par le juge d’une mise en ligne sur son site Internet est constitutive de concurrence déloyale car elle augmente l'impact de la publicité donnée au jugement au-delà des limites résultant des termes mêmes de son dispositif (Cass. com., 18 octobre 2017, n° 15-27.136).

A chacun donc de veiller à respecter un juste équilibre entre responsabilité délictuelle et liberté d’expression lorsqu’il entend communiquer, même en l’absence de concurrence directe et effective, sur les produits ou services d’un autre opérateur économique. 


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Cet article a été publié dans notre Lettre des affaires commerciales de Mars 2019. Cliquez ci-dessous pour découvrir les autres articles de cette lettre.

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Lettre des affaires commerciales Décembre 2018

Auteurs

Portrait deElisabeth Flaicher-Maneval
Elisabeth Flaicher-Maneval
Counsel
Paris