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20 questions sur le bail emphytéotique

Tout ce qu’il faut savoir sur le bail emphytéotique

02/04/2010

En dépit de l’origine ancestrale du bail emphytéotique, ce contrat de longue durée portant sur un immeuble que le preneur s’engage à mettre en valeur connait aujourd’hui un véritable regain dans les opérations immobilières, notamment dans les projets éoliens et photovoltaïques. Contrairement au bail de droit commun, il confère au preneur un droit réel immobilier sur le fonds loué et sur les constructions érigées, permettant ainsi la constitution d’hypothèques qui peuvent en faciliter le financement. Décodage en 20 questions/réponses de cette technique juridique offrant aux parties une grande liberté contractuelle, mais non exempte de pièges comme celui de la disqualification du contrat.

1. Quelles sont les caractéristiques essentielles du bail emphytéotique ?
2. L’intérêt pour l’emphytéose réside-t-il dans son champ d’application étendu ?
3. Des biens urbains peuvent-ils faire l’objet d’un bail emphytéotique ?
4. La libre destination des immeubles, nouvel attrait de l’emphytéose ?
5. Pourquoi privilégier le bail emphytéotique au bail ordinaire ?
6. Quelles différences avec le bail à construction expliquent le recours accru au bail emphytéotique ?
7. Le recours au bail emphytéotique est-il restreint par la qualité du bailleur ?
8. Ce que peut édifier l’emphytéote : une liberté attractive ?
9. La possibilité d’imposer une amélioration initiale à l’emphytéote : un atout à redécouvrir ?
10. La conclusion d’un bail emphytéotique impose-t-elle des formalités lourdes ?

11. Quelle marge de manoeuvre pour aménager la durée du bail emphytéotique ?
12. Quelles sont les modalités de cession du bail emphytéotique ?
13. Quelles obligations pèsent sur le preneur ?
14. Quel est régime fiscal applicable lors de la conclusion du bail ?
15. Quel est le régime fiscal en cours de bail ?
16. La stabilité attachée à l’impossibilité de stipuler une clause de résiliation : avantage déterminant ?
17. L’absence de régime fiscal attractif à la fin du bail est-il toujours un inconvénient ?
18. Quelle flexibilité présente le bail emphytéotique à son issue ?
19. Le bail emphytéotique, instrument d’externalisation des opérations immobilières ?
20. Projets éoliens et photovoltaïques: bail emphytéotique ou bail à construction ?

1. Quelles sont les caractéristiques essentielles du bail emphytéotique ?

Le bail emphytéotique, né sous l’Empire romain et employé à l’origine pour mettre en valeur des immeubles ruraux, confère au preneur (l’emphytéote) pour une durée comprise entre plus de 18 ans et 99 ans, un droit réel immobilier spécial (l’emphytéose) sur un immeuble. La libre hypothèque, la libre cession, la possibilité de consentir certaines servitudes et le caractère saisissable en sont la conséquence directe. Il s’ensuit que ce contrat confère des prérogatives plus étendues que le louage ordinaire d’immeuble. Le preneur est en outre propriétaire des améliorations réalisées et des constructions édifiées. Il doit les conserver en bon état d’entretien et en supporter les charges et réparations.

Les articles L451-1 à L451-13 du code rural énoncent les principales caractéristiques de l’emphytéose, ses règles de passation et de fonctionnement qui s’appliquent à défaut de conventions contraires (art. L451-3 du code rural). En théorie, les parties peuvent librement fixer le contenu de leur contrat mais, comme les attributs inhérents à la titularité d’un droit réel immobilier doivent être préservés, faute de quoi le bail est susceptible de requalification, les possibles adaptations contractuelles demeurent extrêmement limitées. Le bail emphytéotique opère donc un démembrement temporaire de la propriété : le preneur est investi de l’essentiel des attributs de la propriété durant le bail.

2. L’intérêt pour l’emphytéose réside-t-il dans son champ d’application étendu ?

Le bail à construction, réglementé par le code de la construction et de l’habitation, est assez proche dans son régime et dans ses effets du bail emphytéotique. Néanmoins, à la différence du bail à construction qui emporte à titre principal l’obligation pour le preneur d’édifier un bâtiment, le bail emphytéotique permet au preneur de jouir d’une simple possibilité de construire sur le terrain du bailleur.

La nature et l’ampleur de ce que l’emphytéote envisage de faire sur le site sont donc indifférentes. En conséquence, le choix en faveur de l’emphytéose ne nécessite aucune appréciation et/ou qualification de ce qu’envisage de réaliser l’emphytéote. C’est un des atouts majeurs de l’emphytéose : l’absence d’incertitude sur son champ d’application et la sécurité qui en résulte militent désormais bien souvent en sa faveur.

3. Des biens urbains peuvent-ils faire l’objet d’un bail emphytéotique ?

En dépit de ses origines rurales et de sa codification dans le code rural, le bail emphytéotique n’est limité ni par le secteur d’implantation des constructions (urbain, rural, industriel…), ni par la nature et la destination des biens immeubles. Si le bail à construction a pu être, par simplification, présenté comme l’adaptation du bail emphytéotique en milieu urbain, ni l’un ni l’autre ne sont confinés dans leur seul terrain initial de prédilection. La qualification d’emphytéose ne peut être écartée au seul motif que l’immeuble serait à usage commercial et industriel. Ainsi, un arrêt de la cour d’appel de Bastia a été cassé pour avoir déduit de l’activité qui devait être exercée dans les lieux, l’immeuble étant en l’espèce à usage de fromagerie-laiterie, le caractère non emphytéotique du bail (Cour de cassation, 3e ch. civ., 3 décembre 1980, Juris-Data n° 035314).

4. La libre destination des immeubles, nouvel attrait de l’emphytéose ?

En matière de bail à construction, les textes sont muets sur la destination des constructions. Cela a conduit à admettre des clauses imposant des restrictions à l’activité du preneur (Cour de cassation, 3e ch. civ., 7 avril 2004, n° 02-16283), mais cela ne saurait être considéré comme transposable au bail emphytéotique. L’emphytéote se voit conférer des droits très étendus dans la jouissance et l’usage du bien (cour d’appel de Bordeaux, 21 avril 1983). Le bail emphytéotique est disqualifié en bail ordinaire s’il est porté atteinte à cette liberté. La Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler à plusieurs reprises cette nécessaire liberté d’usage et a disqualifi é le bail emphytéotique dans lequel :

  • le changement du type de commerce exercé à l’occasion de la cession était subordonné à l’accord préalable du bailleur (Cour de cassation, 3e ch. civ., 12 décembre 1978 et 10 avril 1991, n° 89-20276) ;
  • la possibilité d’exercer un autre commerce que celui initialement énoncé n’était pas générale (Cour de cassation, 3e ch. civ., 3 octobre 1991, n° 90-15889) ;
  • une clause limitait exclusivement l’usage auquel l’emphytéote pouvait affecter les biens loués (Cour de cassation, 3e ch. civ., 13 mai 1998, nos 96-13586 et 96-14076).

En revanche, l’emphytéote est tenu d’exploiter l’intégralité du bien. Seul un cas de force majeure est susceptible de le délier de cette obligation (Cour de cassation, 3e ch. civ., 16 juillet 1986, Juris-Data n° 1986-702177). La présence d’immeubles existants lors de la conclusion du bail n’est pas un obstacle : les parties peuvent librement convenir de leur sort en prévoyant que le bailleur les conservera, ou qu’ils seront loués ou transférés à l’emphytéote. Le transfert pendant la durée du bail au preneur ne s’analyse pas en une vente. En effet, permettre au preneur d’exercer pendant la durée de l’emphytéose des prérogatives attachées à sa qualité sur ces édifi ces n’emporte pas une mutation du droit de propriété perpétuelle avec tous les attributs attachés. Si le preneur a, sans aucune ambiguïté, entamé, en qualité d’emphytéote, avant la signature du bail écrit, l’exécution d’améliorations ou l’édification de constructions, cette absence de formalisation des relations contractuelles ne fait pas pour autant obstacle à la constatation du bail par un écrit postérieur à leur commencement. Néanmoins, une vérification attentive de l’historique des relations contractuelles s’impose alors.

5. Pourquoi privilégier le bail emphytéotique au bail ordinaire ?

Un bail ordinaire permet d’envisager d’occuper un immeuble pour une longue durée, notamment supérieure à 18 ans, d’avoir la faculté de l’améliorer, plus ou moins librement, ou même l’obligation de l’édifier (cour d’appel de Paris, 19e ch. sect. A, 26 septembre 2000, n° 26-9-2000). Il présente donc de prime abord des fonctionnalités identiques à celles d’un bail emphytéotique. Mais, dès lors que l’opération envisagée présente une certaine importance, le fait que ce type de bail ne confère qu’un droit personnel et ne présente donc pas les caractéristiques d’un droit réel immobilier, s’avère un écueil. Les financeurs de projets, notamment éoliens et photovoltaïques, imposent souvent en effet de disposer d’une sûreté réelle, donc de recourir au bail emphytéotique. Par ailleurs, à la différence du bail emphytéotique, le bail ordinaire peut interdire, totalement ou partiellement, la cession et/ou la sous-location (art. 1717 du code civil) et imposer une destination voire une exploitation personnelle de l’activité. À noter toutefois qu’un bail commercial de terrain nu avec faculté ou obligation de construire est susceptible de relever du statut des baux commerciaux. En pareil cas, les limitations aux prohibitions de cession édictées par l’article L145-16 du code de commerce viennent tempérer les possibilités d’interdiction de cession. En outre, il est susceptible d’ouvrir enfin de contrat à son titulaire des prérogatives, droit au renouvellement par exemple, que n’offre pas le bénéfice d’un bail emphytéotique.

6. Quelles différences avec le bail à construction expliquent le recours accru au bail emphytéotique ?

Le bail emphytéotique et le bail à construction sont soumis à de nombreuses règles communes : durée minimale (18 ans pour le bail à construction et plus de 18 ans pour le bail emphytéotique), caractère réel du droit conféré, possibilité de l’hypothéquer (même si le régime du bail à construction présente des spécificités), libres cession et apport en société, etc. Le montant du loyer ne différencie plus fondamentalement ces deux types de contrats. Le canon emphytéotique ou loyer emphytéotique n’est plus nécessairement modique, et l’éventuel loyer périodique du bail à construction, fixé en numéraire, peut être modique voire inexistant.

D’autres éléments expliquent la préconisation croissante du bail emphytéotique :

  • la libre faculté, et non pas l’obligation, dont dispose l’emphytéote de procéder à des améliorations sous de multiples formes : de la réhabilitation légère à la construction (Cour de cassation, 3e ch. civ., 11 juin 1986 n° 84-17222 et cour d’appel de Paris, 24 février 2005, n° 04/09190, voir ci-dessous la question 9) ;
  • l’impossibilité d’imposer une destination à l’emphytéote sur le terrain et sur les immeubles existants ou édifi és (un bail emphytéotique ne peut pas prévoir une clause limitant l’usage auquel le preneur peut affecter les lieux loués (Cour de cassation, 3e ch. civ., 13 mai 1998, n° 96-3586) ;
  • la situation du bailleur lors de la résiliation du bail au regard des sûretés alors existantes.

7. Le recours au bail emphytéotique est-il restreint par la qualité du bailleur ?

Le bail emphytéotique ne peut être consenti que par le propriétaire du bien (qu’il soit une personne privée, physique ou morale) et s’il a la capacité d’aliéner. Il doit passer le bail sous les mêmes conditions, comme dans les mêmes formes qu’une aliénation (art. L451-2, al. 1er du code rural). Le bail emphytéotique peut porter sur un terrain nu ou bâti, en vue d’une démolition/reconstruction ou d’une surélévation, mais il peut aussi avoir pour assiette un lot de volume. En revanche, il a été jugé qu’il ne pouvait pas porter sur un lot de copropriété d’un immeuble bâti (cour d’appel de Pau, 22 janvier 1982, n° 1992-042360).

Un tel bail ne peut pas être consenti sur le domaine public, en raison du caractère inaliénable de ce dernier. En revanche, une personne publique peut en consentir sur son domaine privé (pour un exemple d’affirmation de ce principe en matière de bail à construction, transposable au bail emphytéotique, voir la décision de la cour administrative d’appel de Nancy du 29 novembre 2007, Société Atac, n° 06NC01189). Il est à souligner que le tribunal administratif de Paris a jugé, dans une décision de 2007, que si le bail emphytéotique ne constitue en l’espèce ni un marché public ni une délégation de service public (ville de Paris transférant à un Opac 16 000 logements appartenant à son domaine privé), il a pour objet la gestion d’un service de nature économique et, à ce titre, lui sont applicables les règles du droit communautaire. Tout acte par lequel un pouvoir adjudicateur confie la prestation d’une activité économique à un tiers doit être examiné à la lumière des principes de publicité et de mise en concurrence, dès lors que ce tiers peut être regardé comme étant un opérateur économique engagé sur le marché (tribunal administratif de Paris 1re ch., 30 mai 2007, Préfet de Paris, n° 0516131).

Dans une autre espèce, la cour d’appel juge qu’un bail conclu pour restaurer le bâti, créer des espaces commerciaux et réaliser une résidence de tourisme n’a été conclu ni en vue de l’accomplissement pour le compte de la ville d’une mission de service public, ni pour la réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de cette dernière. Il constitue donc un bail emphytéotique de droit commun, nonobstant la sous-location à la ville d’un local à l’intérieur de l’ensemble immobilier, et non un bail emphytéotique administratif, une délégation de service public, un marché public ou un contrat de partenariat. Le juge précise que, si la ville a suivi une procédure de publicité et de mise en concurrence en l’espèce, elle n’était pas pour autant tenue de le faire (CAA Nancy, 11 octobre 2007, Association Aubette Demain, n° 06NC00733).

8. Ce que peut édifier l’emphytéote : une liberté attractive ?

L’emphytéote peut librement construire un bâtiment neuf sur un terrain nu, surélever un bâtiment, réaliser des ouvrages souterrains, rénover lourdement un immeuble, que sa propriété lui soit ou non transmise. Il peut aussi opérer toutes transformations sur les bâtiments, tous changements de destination ou de culture de la chose louée. La seule limite qui s’impose à l’emphytéote est de ne pas porter atteinte à la valeur du fonds (art. L451-7 al. 1 du code rural).

9. La possibilité d’imposer une amélioration initiale à l’emphytéote : un atout à redécouvrir ?

La faculté de libre amélioration de l’emphytéote en cours de bail est souvent mise en exergue pour l’opposer à l’obligation essentielle d’édifier qui incombe au preneur à construction. Le contrat qui comprend comme obligation d’améliorer la propriété du bailleur, celle d’édifier sur celle-ci des bâtiments substantiels, constituant ainsi l’obligation essentielle du contrat, ne peut être qu’un bail à construction. Indépendamment de la possibilité totalement libre de réaliser, au cours du bail, tous autres travaux d’amélioration, dès lors qu’ils ne portent pas atteinte au site, il apparaît possible de stipuler des obligations contractuelles d’amélioration sous forme de plantations, d’aménagements ou de constructions (autres que des actes essentiels d’édifi cation) sans que le contrat puisse encourir une disqualification (Cour de cassation, 3e ch. civ., 3 octobre 1991, n° 90-15889 refusant la qualification de bail emphytéotique à un bail de locaux au motif que « la modicité du loyer n’était que relative et n’avait pas pour contrepartie la prise en charge d’améliorations par le preneur »).

10. La conclusion d’un bail emphytéotique impose-t-elle des formalités lourdes ?

La preuve de l’emphytéose s’établit conformément aux règles du code civil en matière de baux (art. L451-3 al. 1er du code rural). Néanmoins, aucune forme solennelle n’est exigée quant à sa validité. En revanche, l’efficacité de ce bail, constitutif d’un droit réel immobilier et consenti pour une durée supérieure à 12 ans, est soumise à sa publication à la conservation des hypothèques (décret du 4 janvier 1955, portant réforme de la publicité foncière, n° 55- 22, art. 28-1° a et b) aux fins d’opposabilité aux tiers au sens de la publicité foncière. Il est donc indispensable de l’établir par acte notarié ou par un écrit sous seing privé déposé ensuite au rang des minutes d’un notaire, avec reconnaissance d’écriture et de signature.

11. Quelle marge de manoeuvre pour aménager la durée du bail emphytéotique ?

Le bail emphytéotique doit être conclu pour plus de 18 ans et ne peut dépasser 99 ans. Classiquement, la durée du bail est fi xée en tenant compte de la durée du financement hypothécaire projeté. En pratique, la durée du bail excède le plus souvent de 20 ans celle du financement. Autre option : le droit conféré à son titulaire présente a minima au cours des premières années du contrat une valeur d’actif minimale (l’approche du terme du bail venant ensuite réduire mécaniquement cette valeur). Si les possibilités de congé en cours de bail par le preneur ou le bailleur et la tacite reconduction sont impossibles (art. L451-1 al. 2 du code rural), rien ne s’oppose en revanche à la stipulation d’une prorogation expresse. Elle bénéficie usuellement au preneur, sur la base d’une manifestation unilatérale et formelle de sa part, dans un délai assez long avant la fin du contrat. Bien entendu, une prorogation peut aussi être convenue en cours de bail. Un arrêt a énoncé que, si un bail emphytéotique ne peut se prolonger par tacite reconduction, l’article L451-1 du code rural n’interdit pas formellement aux parties de prévoir sa reconduction dans certaines conditions. (cour d’appel de Limoges, 1re ch. civ., 26 juin 2003, n° 01/00753). Cette décision n’emporte cependant pas la conviction. Dans tous les cas, aucun principe n’impose qu’une telle prorogation s’accompagne de l’engagement d’édifier de nouvelles constructions ou d’apporter des améliorations aux constructions initiales. L’éventuelle augmentation du loyer prévue en pareil cas n’implique pas une novation du bail (contra en matière fi scale, voir tribunal administratif de Toulouse, 2e ch., 31 mai 2005, Drimmer c/ ministre de l’Économie, n° 01-1696).

12. Quelles sont les modalités de cession du bail emphytéotique ?

Pendant toute la durée du contrat, l’emphytéote possède la liberté incontournable et irréductible de céder ses droits ou de les apporter en société (art. L451-1 al. 1 du code rural). Toute stipulation organisant, limitant ou prohibant la cession est exclue, sauf à entraîner la disqualification en bail ordinaire, le cas échéant en bail statutaire si les conditions d’application du statut des baux commerciaux s’avèrent remplies. Selon un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 10 avril 1991 (n° 89- 20276), un bail non librement cessible ne peut pas être emphytéotique compte tenu du caractère essentiel présenté par la libre cession dans un tel contrat (en ce sens également, voir Cour de cassation, 3e ch. civ., 29 avril 2009, n° 08-10944). En revanche, la cession partielle ne pourra intervenir que si elle est autorisée par le bailleur dans le contrat d’origine ou ultérieurement.

13. Quelles obligations pèsent sur le preneur ?

L’emphytéote doit faire du bien un usage en bon père de famille, il est tenu de conserver le bien objet de l’emphytéose en bon état d’entretien et de réparation de toute nature (art. L451-8 al. 2 du code rural). Ce principe ne semble pouvoir souffrir aucune dérogation, totale ou partielle. Ainsi, justifie légalement sa décision la cour d’appel qui annule un contrat de bail, qualifi é de bail emphytéotique conférant un droit réel à l’emphytéote, aux motifs que, malgré la longue durée du bail, son loyer et sa dénomination, la convention interdisait au preneur tous gros travaux et mentionnait qu’il s’engageait à souffrir que le bailleur fasse exécuter les travaux de réparations nécessaires (Cour de cassation, 3e ch. civ., 7 octobre 1992, n° 89-19227). Toutefois, le preneur n’est pas tenu de reconstruire en cas de perte des immeubles par cas fortuit ou force majeure et chacune des parties peut alors demander la résiliation du bail (art. L451-8 al. 2 du code rural). L’emphytéote peut démolir les bâtiments existants à charge de les reconstruire (art. L451-7 al. 1 du code rural).

Par ailleurs, le preneur a l’obligation d’acquitter les charges, taxes et impôts relatifs tant aux constructions qu’au terrain (art. L451-8 al. 1 du code rural). Le preneur peut consentir des servitudes (art. L451-9 du code rural), ainsi qu’une hypothèque sur ses droits (art. L451-1 al. 1 du code rural). Mais, contrairement à la résiliation amiable ou judiciaire du bail à construction, celle du bail emphytéotique entraîne l’extinction des hypothèques grevant le bail résilié (Cour de cassation, 3e ch. civ., 7 octobre 2009, n° 08-14962). Le bailleur emphytéotique n’est donc pas dans la même situation que le bailleur à construction qui doit subir la survie des hypothèques grevant les droits de son ex-preneur jusqu’à la date conventionnellement prévue (sur ce point, voir dossier « 20 questions sur le bail à construction », Opé. Immo. n° 9, octobre 2008, p. 25, questions 4 et 11). Le preneur dispose enfin d’une entière liberté de location du terrain d’assiette et des constructions existantes ou édifiées par ses soins. En revanche, il ne peut pas consentir un sous-bail emphytéotique ou un bail à construction.

14. Quel est régime fiscal applicable lors de la conclusion du bail ?

Le bail emphytéotique est passible de la taxe de publicité foncière, lors de sa publication au fichier immobilier sur une base constituée par le montant cumulé des redevances prévues pendant toute la durée du bail. Le taux de cette taxe est fi xé à 0,60 %. Depuis le 1er janvier 2006, elle comporte une majoration de 0,10 %, soit un taux effectif à 0,70 % (art. 678 bis du code général des impôts). Son taux passera à 0,70 % et la majoration de 0,10 % sera corrélativement supprimée pour les opérations réalisées à compter du 1er janvier 2011 (loi de fi nances pour 2010 du 30 décembre 2009, n° 2009-1673). Par exception, ceux qui concourent à la production d’immeubles neufs peuvent être assujettis à la TVA sur option, échappant à la taxe de publicité foncière. L’emphytéote doit alors prendre, au plan fi scal, un engagement de construire dans les 4 ans. Les règles applicables dans cette hypothèse sont celles prévues pour les baux à construction (dossier « 20 questions sur le bail à construction », Opé. Immo. n° 9, octobre 2008, p. 25, question 15).

15. Quel est le régime fiscal en cours de bail ?

Sauf option pour l’assujettissement du bail à la TVA, les redevances sont soumises à la contribution sur les revenus locatifs dans le cas où le bail porte sur des immeubles achevés depuis 15 ans au moins (art. 234 nonies du code général des impôts). Le redevable en est le bailleur. Depuis le 1er janvier 2006, les bailleurs personnes physiques sont exonérés de cette contribution. Quant à la taxe foncière sur les propriétés bâties, elle est établie au nom de l’emphytéote, qui en est l’unique et direct redevable pendant la durée de l’emphytéose.

16. La stabilité attachée à l’impossibilité de stipuler une clause de résiliation : avantage déterminant ?

L’emphytéote est assuré d’une particulière stabilité d’occupation. Ainsi, la stipulation d’une clause de résiliation de plein droit en faveur du bailleur en cas de non-paiement du loyer confère à la jouissance de l’emphytéote une précarité incompatible avec la constitution d’un droit réel, peu important que la précarité imposée au locataire trouve son origine dans son propre fait (Cour de cassation, 3e ch. civ., 14 novembre 2002, n° 01-13904). Le contrat peut donc seulement se contenter de rappeler la faculté qu’aura l’une ou l’autre des parties de solliciter une résiliation judiciaire en cas de manquement de son cocontractant. Cet attrait distingue ce type de contrat du bail de droit commun et du bail commercial statutaire (dans ce dernier, une telle clause est possible et d’ailleurs systématique, seules les modalités de sa mise en oeuvre étant encadrées par des règles d’ordre public contenues dans l’article L145-41 du code de commerce). En revanche, l’emphytéose ne se démarque pas, sur ce point, du bail à construction. En cas de résiliation, le bailleur accède à la propriété des immeubles construits avant l’expiration du bail (Cour de cassation, ch. com., 24 juin 1997, n° 95-13038).

17. L’absence de régime fiscal attractif à la fin du bail est-il toujours un inconvénient ?

Le bail emphytéotique ne présente pas un régime fiscal spécifique, contrairement au bail à construction pour lequel, lorsque les constructions reviennent sans indemnité au bailleur, la taxation présente des caractéristiques favorables. D’ailleurs, c’est très souvent la raison du choix affiché par le potentiel bailleur en faveur du bail à construction, avant même qu’il se soit assuré que les caractéristiques de celui-ci sont bien remplies : aucune imposition n’est due au titre de la remise des constructions si la durée du bail à construction est égale ou supérieure à 30 ans. Si elle est inférieure à 30 ans, le revenu brut foncier est égal au prix de revient des constructions, sous déduction de 8 % par année de bail au-delà de la 18e année. La perception du canon de l’emphytéose et le bénéfi ce de la remise des constructions et améliorations éventuellement réalisées par l’emphytéote constituent des revenus fonciers pour le bailleur. Ces revenus sont taxés dans les conditions de droit commun. Néanmoins, comme souligné dans la question 18 (ci-après), un certain nombre de baux stipulent à la charge de l’emphytéote l’obligation d’enlever les installations qu’il aura pu librement installer. Dès lors, le bailleur n’accédant à aucune amélioration, aucune taxation n’est encourue et le choix de recourir au bail à construction plutôt qu’au bail emphytéotique ne saurait en pareil cas reposer sur des considérations fiscales.

18. Quelle flexibilité présente le bail emphytéotique à son issue ?

Dans le silence du contrat, le bailleur devient propriétaire en fin de bail des constructions édifiées et profite des améliorations (art. L451-7 al. 2 du code rural). Le bail prévoit le plus souvent la remise des constructions contractuelles en fin de bail sans indemnité. Cette remise peut aussi s’effectuer moyennant indemnité. Mais le bail peut aussi prévoir une remise du terrain après démolition des aménagements que le preneur a pu néanmoins librement réaliser en cours de bail (clause de « nivellement »). Par contre, le preneur ne bénéficie ni d’un droit au maintien dans les lieux, ni de l’octroi préférentiel d’un bail, ni de la perception d’une indemnité. Cependant, la stipulation d’un droit préférentiel de location à son profit à l’issue du bail est tout à fait possible. En outre, les baux ou titres d’occupation qu’il a consentis s’éteignent : ces « sous-occupants » ne disposent d’aucune prérogative à l’égard de l’ex-emphytéote ou du propriétaire du site, et ce alors même que la location relevait du statut des baux commerciaux (Cour de cassation, 3e ch. civ., 14 novembre 2007, n° 06-18133 pour un bail à construction et aussi Cour de cassation, 3e ch. civ., 29 janvier 1992, n° 90-16346 et Cour de cassation, 3e ch. civ., 9 février 2005, n° 03-17065).

19. Le bail emphytéotique, instrument d’externalisation des opérations immobilières ?

La durée de l’emphytéose, certes longue, est limitée. La conclusion du bail et ses cessions ultérieures n’entraînent donc pas de transfert de droit perpétuel de propriété. Ces opérations présentent donc l’avantage déterminant de ne relever d’aucun droit de préemption. Elles ne doivent toutefois pas caractériser un montage frauduleux à l’égard de tels droits ou du droit de l’urbanisme (voir la conclusion concomitante d’un bail emphytéotique de 99 ans et d’un pacte de préférence considérée comme frauduleuse : Cour de cassation, 3e ch. civ., 27 novembre 2002, n° 01-11530). La conclusion d’un bail emphytéotique ne peut donc avoir pour objet de constituer une fraude à la loi, tel l’objectif exclusif de se soustraire au droit de préemption d’une commune ou à des prescriptions d’urbanisme (Conseil d’État, 30 décembre 2002, n° 232584). Mais, en dehors de l’hypothèse de la fraude, la conclusion d’un bail emphytéotique sur un immeuble soumis au droit de préemption n’est pas contestable par la commune titulaire de ce droit (Cour de cassation, 3e ch. civ., 2 juillet 1977, n° 76-10610).

Un autre facteur de l’usage plus fréquent du bail emphytéotique réside dans le fait que ce dernier puisse servir de support à des opérations d’externalisation, puisque les sociétés d’investissements immobiliers cotées (SIIC) et les organismes de placement collectif immobilier (OPCI) peuvent détenir des immeubles en qualité de preneur à construction ou emphytéotique (art. 208 C du code général des impôts pour les SIIC et art. L214-92 et R214-161 du code monétaire et financier pour les OPCI) avec, en pareil cas, le recours à des emphytéoses de très longue durée accompagnées d’un versement du loyer capitalisé en une seule fois à la signature (versement dit one shot). Enfi n, on observe qu’en pratique le montant de la redevance capitalisée payée à la signature d’un bail emphytéotique de 99 ans n’est pas substantiellement éloigné de ce que serait le prix de la vente du bien objet de l’emphytéose. Cela conduit certains détenteurs de foncier ou d’immeubles, parmis lesquels l’État, à conférer un tel bail plutôt que procéder à une vente.

20. Projets éoliens et photovoltaïques: bail emphytéotique ou bail à construction ?

Le développement technique de l’énergie photovoltaïque et les conditions tarifaires de l’achat de l’énergie (récemment modifi ées par un arrêté du 12 janvier 2010) incitent les propriétaires de terrains ou de bâtiments à concéder à des sociétés d’exploitation leur jouissance en vue de l’installation de panneaux. Les baux portent le plus souvent sur un lot de volume nécessaire à l’installation des panneaux et à leur entretien, avec constitution de servitudes. Le choix du bail à construction est très séduisant d’un point de vue fi scal (question 17), mais cette fiscalité avantageuse suppose que le contrat réponde bien à la définition du bail à construction. Or, même si les panneaux intégrés à la toiture revêtent le caractère d’immeubles par nature, l’obligation essentielle de construire un bâtiment n’est pas toujours remplie. Il en est de même de la pose de panneaux photovoltaïques reposant sur des dés de béton enfouis dans le sol. Ces raisons juridiques et fi scales expliquent pourquoi les fermes éoliennes ou les centrales photovoltaïques en toiture ou au sol sont le plus souvent édifiées sur le fondement de baux emphytéotiques et non à construction. Mais, le bail peut aussi prévoir une remise du terrain ou des immeubles après enlèvement des panneaux que le preneur aura installé (question 18). En pareil cas, l’argument fiscal n’est plus déterminant, faute d’accession d’une amélioration taxable. Le choix des propriétaires peut aussi se porter sur le bail ordinaire. Le contrôle qu’il permet (question 5) encourage les propriétaires d’immeubles ou de sites industriels à n’accepter un exploitant que s’il aménage une installation photovoltaïque (toiture, « ombrières » sur parkings…) en qualité de preneur ordinaire. En effet, pour des considérations très diverses, ces propriétaires entendent contrôler, sinon imposer, le détenteur et l’exploitant de cette installation jouxtant leurs propres locaux d’exploitation. Le choix du bail ordinaire de longue durée s’impose alors. Mais, cette exigence ne s’accorde alors pas avec celle des financeurs : le bail ne pourra pas faire l’objet d’une affectation hypothécaire.

Article paru dans la revue Opérations Immobilières n°22 de Février 2010


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Jean-Luc Tixier