Les textes d’application de MICA ont pour objet de préciser les conditions de mise en œuvre des dispositions de ce règlement applicable aux crypto-actifs, mais ils présentent en outre l’intérêt d’éclairer certains des concepts communs avec la directive 2014/65/UE sur les marchés d’instruments financiers.
Si le règlement (UE) 2023/1114 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mai 2023, sur les marchés de crypto-actifs (« MICA ») est pour partie applicable depuis le 30 juin 2024 (dispositions concernant les jetons se référant à un ou plusieurs actifs ou les jetons de monnaie électronique1), ce nouveau texte a trouvé a pleinement s’appliquer le 30 décembre dernier. Et c’est dans cette perspective que l’ESMA a adopté, le 17 décembre dernier, pas moins de six textes normatifs visant à préciser certains concepts clés de MICA (les « Orientations »).
Si ces textes ont pour objet de préciser les conditions de mise en œuvre des dispositions de ce règlement applicables aux crypto-actifs, ils présentent en outre l’intérêt d’éclairer certains des concepts communs avec la directive 2014/65/UE sur les marchés d’instruments financiers (« MIF 2 ») et son corpus2. En particulier, on observera d’abord que l’une de ces Orientations vient préciser la distinction entre crypto-actifs et instruments financiers (1). Au-delà, d’autres Orientations de l’ESMA applicables aux jetons sont également susceptibles d’affecter l’interprétation du corpus réglementaire de MIF 2 (2).
1. Différence entre crypto-actifs et instruments financiers
Tout d’abord, l’ESMA a adopté parmi les Orientations celles explicitant la qualification des crypto-actifs en tant qu’instruments financiers. Elles constituent un élément déterminant du corpus réglementaire actuel en ce qu’elles clarifient la délimitation entre les champs d’application respectifs de MICA et de MIF 2.
A cet égard, l’ESMA rappelle que le choix de MIF 2 d’adopter une approche énumérative et descriptive plutôt que qualificative pour définir ce que sont les instruments financiers s’expliquait par la volonté de tenir compte de la diversité des concepts existants dans l’Union. Sur cette base, le régulateur européen énonce un certain nombre de principes.
Le premier principe est que la qualification d’instrument financier est indépendante de la technologie adoptée.
En effet, il est précisé qu’un crypto-actif entre dans le champ de la définition de valeur mobilière (transferable security3) s’il répond à trois critères cumulatifs :
– ne pas être un instrument de paiement ;
– faire partie d’une « catégorie de titres », c’est-à-dire être fongible et avoir été émis par le même émetteur que les instruments avec lesquels il est fongible ; et
– être négociable sur le marché des capitaux.
Un second principe développé par l’ESMA est le suivant : que l’investissement dans cette typologie de jeton soit spéculatif ou encore que des droits de vote lui soient attachés en matière de gouvernance du protocole n’a pas pour effet de soumettre l’instrument à la qualification de valeurs mobilières.
Pour autant, le régulateur européen rappelle que de tels actifs peuvent également relever de la catégorie des « autres valeurs », telle que mentionnée à l’article 4, paragraphe 1, point (44), point (c) de MIF 2, à savoir, celles qui donnent lieu à un règlement en espèces déterminé par référence à des valeurs mobilières, des devises, des taux d’intérêt ou des rendements, des matières premières ou d’autres indices ou mesures.
S’agissant de la différence avec les parts ou actions de fonds, ces Orientations apportent des précisions utiles mais qui peuvent soulever des inquiétudes au regard des positions passées. En effet, l’ESMA confirme certes qu’il n’y a pas de gestion collective si, dans le cadre du stacking, les utilisateurs conservent le contrôle quotidien de leurs jetons et peuvent les négocier librement.
Toutefois, en obligeant les régulateurs locaux à s’attacher à la découverte d’une réelle politique d’investissement pour caractériser l’existence d’un fonds d’investissement, l’ESMA fragilise la capacité desdits régulateurs à requalifier de fonds d’investissement alternatifs les véhicules dont la stratégie d’investissement est purement discrétionnaire puisqu’il leur est alors permis de soutenir qu’il n’y a justement pas de stratégie.
Enfin, s’agissant de la requalification en contrats financiers, l’ESMA apporte deux indications intéressantes. D’abord, elle reconnaît que les crypto-actifs, comme les instruments financiers ou les marchandises, peuvent constituer des sous-jacents à des instruments financiers. A cet égard, l’ESMA confirme que les futures perpétuels doivent être considérés comme des instruments financiers.
Ensuite, les Orientations apportent une clé d’analyse pour distinguer les jetons se référant à un ou plusieurs actifs des contrats financiers. Ainsi, lorsque la valeur d’un jeton est établie au moyen d’actifs réservés, ce jeton devrait être considéré comme un jeton de référence à un actif au sens de MICA et non comme un dérivé. En revanche, lorsque la valeur ou la performance du jeton est établie par référence synthétique à un autre actif ou droit ou à une combinaison de ceux-ci, ce jeton pourrait relever de la catégorie des instruments financiers.
2. Orientations sur MICA et impacts ou différences avec MIF 2
Au-delà de la détermination des champs respectifs des jetons et des instruments financiers, les autres Orientations de l’ESMA applicables aux jetons sont également susceptibles d’affecter l’interprétation du corpus réglementaire de MIF.
A cet égard, on peut souligner tout à la fois les précisions et différences suivantes relatives à :
– des lignes directrices sur l’adéquation applicables aux prestataires de services liés aux crypto-actifs (crypto-assets services providers ou « CASP ») qui fournissent des conseils ou des services de gestion de portefeuille sur crypto-actifs. Sur ce point, les Orientations précisent que l’objectif de l’ESMA a été d’aligner au maximum les règles sous MICA à celles sous MIF 2 mais en les adaptant aux spécificités des crypto-actifs. De ce point de vue, les CASP peuvent se référer à la doctrine existante sous MIF 2 en tenant compte des particularités liées aux activités concernant les jetons, qui imposeront une recherche plus fine et plus spécifique du niveau de familiarité des investisseurs aux crypto-actifs et leur acceptation d’interaction purement digitale ;
– des normes techniques réglementaires sur les abus de marché précisant les attentes en matière de prévention et de détection des abus de marché conformément à l’article 92, 1 de MICA, qui requiert que les personnes qui, à titre professionnel, organisent ou exécutent des transactions sur des crypto-actifs mettent en place des dispositions, des systèmes et des procédures efficaces pour prévenir et détecter les abus de marché. A cet égard, l’ESMA y précise que sont soumis à l’obligation d’alerte, en sus des opérateurs de plateformes et des CASP fournissant des services de réception ou d’exécution d’ordres sur crypto-actifs, les personnes négociant pour compte propre ou dans le cadre de leurs activités, une extension qui pourrait donc s’appliquer aux sociétés de gestion opérant des stratégies crypto en ce qu’elles agissent en tant que représentants légaux des véhicules dont elles assument la gestion ;
– des lignes directrices sur la sollicitation inversée (reverse sollicitation), c’est-à-dire les situations où le client est l’initiateur exclusif du service et pour lesquelles le prestataire n’est pas soumis à MICA. Sur ce sujet, si l’ESMA précise que l’approche devant être adoptée s’agissant des crypto-actifs ne saurait être étendue aux instruments financiers relevant de MIF 2, on ne peut considérer que les logiques sont éloignées4 et en ce sens, lesdites lignes directrices sont utiles pour interpréter le même concept sous MIF 2.
Il faut retenir à cet égard que les régulateurs locaux doivent s’attacher à découvrir si « l’entreprise du pays tiers a eu l’intention d’atteindre les clients potentiels de l’UE ou au moins est consciente qu’il est très probable que ses efforts de marketing atteindront un nombre significatif de clients de l’UE », consacrant l’idée que la simple conscience de la probabilité d’atteindre une clientèle de l’UE est suffisante pour invalider la reverse sollicitation.
1. Article 149 de MICA.
2. Par exemple, le règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché.
3. Annexe I, C1 de MIF 2. Voir également CJUE, 9 janv. 2025, Communes de Schaerbeek et de Linkebeek, aff. C-627/23 sur la notion de « valeurs mobilières » au sens de la réglementation Prospectus.
4. Et l’on pourra d’ailleurs lire dans les lignes directrices sur MICA des éléments de l’approche de l’autorité des marchés financiers en matière de commercialisation ou parts d’OPC de son instruction 2014-04.
A retenir
– Les règles d’application de MICA sont alignées sur celles de MIF 2 en tenant compte des particularités des crypto-actifs.
– La requalification de jeton en instrument financier est laissée à l’appréciation des autorités de tutelle locales qui doivent s’attacher in fine à la pure recherche d’une performance financière.
– Le fil conducteur de l’approche de l’ESMA est la réalité de la situation économique ou juridique plutôt que la forme adoptée, une approche qui conduit à considérer qu’il y a une offre de jetons dans l’UE dès lors que l’entreprise est consciente de l’impact de sa campagne de commercialisation.
Article paru dans Option Finance le 15/04/2025