Afin de tenter de limiter les conséquences économiques liées à la crise sanitaire, le gouvernement français a mis en place de nombreuses mesures de soutien à l’économie et notamment un dispositif d’exonération de cotisations sociales au bénéfice des entreprises appartenant aux secteurs les plus touchés. Compte-tenu de l’ampleur sans précédent de la crise, ce dispositif, qui avait certainement été conçu pour ne durer que quelques mois, s’est prolongé dans le temps.
Dans la mesure où il exempte du paiement de certaines charges les entreprises de certains secteurs d’activités, ce dispositif[1] relève de la notion d’aide d’Etat dont le régime posé par la réglementation européenne est clair et surtout dont le respect s’impose aux Etats membres dans le cadre des mesures mises en place pendant cette crise sanitaire.
Un dispositif d’exonération relevant des aides d’Etat, encadré par le droit de l’Union européenne
Il convient en effet de garder à l’esprit que les différentes aides que les Etats membres ont pu mettre en place dès le début de la crise sanitaire ont été encadrées par la Commission européenne qui a publié dès le mois de mars 2020 une communication présentant les différentes mesures d’aides temporaires que les Etats membres pouvaient mettre en place. L’objectif étant à la fois d’assouplir le cadre existant pour permettre aux Etats membres de distribuer plus largement des aides, lesquelles sont normalement strictement encadrées par le droit de l’Union européenne (UE), et de tenter de proposer aux Etats membres des outils communs auxquels ils pouvaient ensuite avoir recours au niveau national.
Ces dispositifs, dont l’exonération de cotisations sociales, ont la nature juridique « d’aides d’Etat » au sens du droit de l’Union européenne[2] et leur légalité est subordonnée au respect de l’encadrement temporaire sur les aides d’Etat adopté par la Commission européenne qui prévoit notamment la possibilité, pour les Etats membres, de verser des aides sous quelque forme que ce soit (subventions, exonérations fiscales ou sociales, etc.) dans la limite d’un plafond (qui était initialement de 800 000 euros et a ensuite été étendu à 1,8 million d’euros) par « entreprise ».[3]
Pour permettre l’application en France de ces dispositions, les autorités françaises ont notifié à la Commission européenne un régime-cadre temporaire pour le soutien aux entreprises, que celle-ci a autorisé par une première décision en date du 20 avril 2020, avant d’être modifié le 20 mai 2020 pour être étendu aux aides sous forme d’avantages fiscaux et sociaux (notamment d’exonération de contributions et cotisations sociales associées).
La loi n° 2020-935 du 30 juillet 2020 et le décret n° 2020-1103 du 1er septembre 2020 s’inscrivent dans le cadre de cette réglementation : l’article 7 du décret, dans sa version initiale, précisait ainsi que « le montant total des exonérations et aides au paiement perçues par l'entreprise dont relève l'établissement ne peut excéder 800 000 euros ».
La nécessaire interprétation du dispositif français au regard des règles européennes
Il convient toutefois de rappeler qu’en droit européen des aides d’Etat et plus généralement de la concurrence, la notion d’entreprise renvoie à la notion « d’entreprise unique » définie par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)[4] et codifiée dans le règlement (UE) n° 1407/2013[5] dont l’article 2 dispose qu’une « entreprise unique » se compose de toutes les entreprises qui entretiennent entre elles au moins l’une des relations suivantes :
a) une entreprise a la majorité des droits de vote des actionnaires ou associés d’une autre entreprise ;
b) une entreprise a le droit de nommer ou de révoquer la majorité des membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance d’une autre entreprise ;
c) une entreprise a le droit d’exercer une influence dominante sur une autre entreprise en vertu d’un contrat conclu avec celle-ci ou en vertu d’une clause des statuts de celle-ci ;
d) une entreprise actionnaire ou associée d’une autre entreprise contrôle seule, en vertu d’un accord avec d’autres actionnaires ou associés de cette autre entreprise, la majorité des droits de vote des actionnaires ou associés de celle-ci.
Cette définition correspond également à celle des « entreprises liées » prévue par le règlement (UE) n° 651/2014[6] également applicable en matière d’aides d’Etat.
Il résulte donc clairement des exigences du droit européen que la notion « d’entreprise », visée par la Commission européenne dans son encadrement temporaire sur les aides liées à la crise sanitaire et donc le plafond de ces aides, doit s’apprécier dans le périmètre de « l’entreprise unique », entendue comme visant toutes les entreprises entretenant entre elles l’un des liens visés aux points a) à d) ci-dessus, ce qui correspond globalement à la notion de « groupe » telle qu’elle est couramment appréhendée, notamment en matière de consolidation comptable.
Des difficultés nées de l’imprécisions des textes français
Le 3 mai 2021, l’URSSAF a mis à jour son site Internet dédié aux mesures exceptionnelles liées à la crise sanitaire et a indiqué expressément que « le montant cumulé perçu par l’employeur au titre exonérations et aide au paiement ne peut excéder 1 800 000 euros.
La vérification du plafond s’effectue au niveau de l’entreprise. S’agissant d’une aide d’Etat, la notion d’entreprise s’apprécie au regard de la règlementation de l’Union européenne (règlement de 2013 relatif aux aides de minimis). Pour les holdings, il convient d’apprécier le respect du plafond en totalisant les exonérations et aides au paiement dont peuvent bénéficier la holding et les sociétés qu’elle contrôle. »
La position de l’URSSAF est conforme au principe de primauté[7] du droit de l’UE et de l’obligation d’interpréter les textes de droit national de manière à assurer leur conformité au droit de l’UE auquel leur validité est subordonnée.
Toutefois, cette précision est intervenue très tardivement et les textes français régissant ces exonérations se limitaient à faire référence à « l’entreprise dont relève l’établissement » sans le moindre renvoi à la définition européenne de l’entreprise ou à la nécessaire prise en compte des aides perçues par les autres sociétés du groupe, contrairement au fonds de solidarité pour lequel le législateur avait précisé que le plafond s’appréciait au niveau du groupe[8].
Cette absence de référence expresse au groupe a pu générer des difficultés d’application du dispositif dans la mesure où l’article 7 du décret n°2020-1103 du 1er septembre 2020 prévoyait que le plafond s’applique au montant total des exonérations et aides au paiement perçues par « l'entreprise » tandis que le décret n°2021-75 du 27 janvier 2021 relatif à l'application des mesures concernant les cotisations et contributions sociales des entreprises, travailleurs indépendants et artistes-auteurs mentionnées à l'article 9 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021 faisait référence dans son article 8 au montant cumulé perçu par « l'employeur ».
Ainsi, une lecture littérale de ces textes, et plus particulièrement du second,pouvait conduire à considérer que le plafond s’appréciait uniquement au niveau de l’entité juridique qui bénéficiait de l’aide sans prendre en compte les aides perçues par les autres entreprises du groupe auquel elle appartient.
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Bien que la position exprimée par l’URSSAF ait pu paraître extrêmement sévère et que l’on puisse regretter qu’elle ne soit intervenue qu’assez tardivement, elle est malheureusement nécessaire pour assurer la validité de ces aides au regard du droit de l’UE. Dans cette perspective, il convient aussi d’avoir à l’esprit que, dans ce plafond d’1,8 million, les entreprises devraient aussi inclure d’autres aides qui y sont soumises comme le fonds de solidarité ou encore les exonérations de CFE/CVAE, voire certains dispositifs du FNE Formation.
Article paru dans Les Echos le 30/07/2021
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