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Covid-19 : traitement fiscal des réquisitions

Modalités de détermination et régime fiscal

09/04/2020

L’article 2 de la loi n°2020-290 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, publiée le 24 mars 2020 permet à l’Etat, d’« ordonner la réquisition de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire ainsi que de toute personne nécessaire au fonctionnement de ces services ou à l'usage de ces biens » (nouvel article L.3131-15 -7° du Code de la santé publique, CSP).

De telles réquisitions ne peuvent avoir lieu que dans les circonscriptions où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, par l’intermédiaire du Premier ministre agissant par décret et aux seules fins de garantir la santé publique.

Jusqu’alors, l’article L.3131-8 du CSP prévoyait la possibilité pour l’Etat de procéder à des réquisitions de biens et de services mais uniquement de nature médicale et dans l’hypothèse où « l’afflux de patients ou de victimes ou si la situation sanitaire le justifie ».

La loi d’urgence a donc considérablement élargi le champ d’application de telles réquisitions en permettant à l’Etat de réquisitionner tout bien - quelle qu’en soit sa nature (meuble ou immeuble) et l’identité de son propriétaire (personne physique ou personne morale) - et de tout service (personnel d’une entreprise et matériel attaché, réseaux de transport …) nécessaire pour lutter contre l’épidémie actuelle de covid-19.

Au regard de la rédaction générale de ce texte, il semble que ces réquisitions peuvent intervenir à titre temporaire (réquisition d’usage) ou définitive (réquisition de propriété).

On pense en premier lieu aux établissements hôteliers qui pourraient faire fait l’objet d’une réquisition temporaire aux fins de subvenir à certains besoins urgents de logement (personnes sans-abris ; soignant ; personnel militaire ; famille de personnes hospitalisées, etc.) voire pour une conversion temporaire en salles de soins.

Réquisition des biens et services : quelles sont les modalités d’indemnisation ?

Les mesures issues de la loi n°2020-290 prévoient de leur octroyer une indemnité compensatrice dont le texte précise que les modalités de calcul sont régies par le Code de la défense (CD).

Ainsi, pour déterminer le montant de l’indemnité accordée suite à la réquisition d’un bien ou d’un service, il conviendra de se reporter aux articles L.2234-1 et suivants du Code de la défense qui fixaient déjà les indemnités prévues pour les réquisitions existantes, à savoir pour assurer les besoins de la défense (art. L.2211-1 CD) ou des forces armées (art. L.2221-1).

Aux termes de ces dispositions, le montant de l’indemnité - qui devra être évaluée au jour de la dépossession définitive ou temporaire du bien ou au premier jour de l’exécution de la prestation de service - sera déterminé, en application, de différents critères tenant compte, notamment :

  • de la perte matérielle et des dépenses exposées en raison de la réquisition (art. L.2234-1, al 1) ;
  • du caractère temporaire ou définitif de la dépossession (art. L.2234-1, al 5) ;
  • de l’existence, ou non, d’une exploitation en activité au sein du bien réquisitionné et, le cas échéant, de la perte effective au regard, notamment, des possibilités de transfert et de reprise ultérieure de l’activité et des résultats des trois dernières années (art. L.2234-2, al 1 et 2) ;
  • de bases législatives ou règlementaires permettant la détermination des prix ou des loyers ou, à défaut au moyen de tous les éléments, compte tenu de l’utilisation habituelle antérieure des biens requis (art. L.2234-1, al 5) ;
  • de tarifs ou des barèmes d'indemnisation, établis dans le cadre de la législation sur les prix définis par le pouvoir exécutif dès que les circonstances le permettent (art. L.2234-5) ;
  • des prix normaux et licites des prestations fournies en cas de réquisition de services ou à défaut, d'après le prix de revient obtenu en ajoutant à l'indemnité de dépossession temporaire, le montant des charges et frais normaux d'exploitation supportés par le prestataire (art. L.2234-1, al 8).

Aucune indemnité n’est cependant octroyée pour la privation du profit qu’aurait procuré la libre disposition du bien ou la continuation, en toute liberté, de l’activité professionnelle (art. L.2234, al 3).

Des indemnités complémentaires peuvent néanmoins être allouées dans certaines circonstances, sur justifications, pour compenser certains préjudices ou rembourser des frais directement motivés par la réquisition, ainsi que des charges inévitables incombant normalement à l'usager mais acquittées par le prestataire (art. L.2234-3).

Réquisition des biens et personnes : qualification et traitement fiscal des indemnités

Concernant les indemnités perçues par des personnes physiques :

  • En cas de réquisition à titre temporaire de biens immeubles, la doctrine administrative, reprenant une réponse ministérielle ancienne[1], indique que cette indemnité doit être comprise dans le revenu de l'année de son versement.

Son montant fera donc partie des recettes brutes imposables pour la détermination du revenu foncier[2].

  • En cas de réquisition, à titre définitif de bien meubles ou immeubles, ni la loi ni la doctrine ne semble prévoir un traitement fiscal spécifique. Il convient donc, selon nous, d’appliquer les règles afférentes aux plus ou moins-values en rapprochant l’opération de réquisition à titre définitive d’une expropriation pour cause d’utilité publique dont les conséquences sont strictement identiques.

Concernant les indemnités perçues par les personnes morales soumises à l’impôt sur les sociétés en cas de réquisition à titre temporaire ou définitif de biens meubles ou immeubles, la doctrine administrative précise qu’elles constituent une recette imposable sous déduction des charges visées à l'article 39 du Code général des impôts, CGI, (frais généraux divers, etc.) et de l'amortissement des immeubles dont l’exploitant est propriétaire[3]. Pour cela, elle s’appuie notamment sur une décision ancienne du Conseil d'État ayant jugé que la réquisition des immeubles commerciaux, du mobilier et du matériel figurant à l'actif d'un hôtel équivaut à la poursuite de son exploitation et que les indemnités perçues en contrepartie devaient donc être considérées comme des bénéfices commerciaux, sans qu'il y ait lieu de distinguer entre la partie des indemnités de réquisition correspondant à la privation de jouissance et celle destinée à compenser les pertes résultant d'un arrêt de l'exploitation[4].

De plus, lorsque la réquisition entraîne la perte de propriété d'un élément de l'actif immobilisé, le régime des plus-values d'actif est applicable mais, au regard du champ d'application du régime des plus-values à long terme[5], les indemnités perçues sont toujours comprises dans les résultats soumis au taux normal, quelle que soit la nature du préjudice compensé par l'indemnité (temporaire ou définitif).

Les indemnités de réquisition doivent dès lors être rattachées aux résultats de l'exercice au cours duquel elles ont acquis le caractère de créances certaines dans leur principe et dans leur montant.

En matière de TVA

Du point de vue de la TVA, la taxation de l’indemnité versée pour compenser une réquisition temporaire ou définitive est retenue si l’indemnité s’analyse comme le prix d’une livraison de bien ou d’une prestation de services réalisée à titre onéreux (1) par un assujetti (2) agissant en tant que tel, à condition que cette opération ne soit pas exonérée (3).

  1. Une livraison de bien ou d’une prestation de services à titre onéreux : la réquisition temporaire du bien, entraînant un transfert de sa jouissance pendant la durée où s’opère la réquisition, s’analyse comme un service comparable à celui d’une mise à disposition ou d’une location du bien concerné. La réquisition définitive entraine pour sa part un changement de propriété du bien et constitue donc une livraison au sens de la TVA. L’article 256 I 3° a) du CGI prévoit du reste expressément que le transfert de propriété d’un bien meuble corporel opéré en vertu d’une réquisition de l’autorité publique constitue une livraison. Il n’y a pas de raison de penser qu’il en aille différemment pour un immeuble ainsi du reste que le confirme la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne[6] ;
  2. réalisée par un assujetti agissant en tant que tel : un assujetti est une personne physique ou morale qui réalise une activité économique de manière indépendante. Si l’objet de la réquisition est un bien détenu dans un cadre purement patrimonial, l’opérateur n’agit pas en qualité d’assujetti et l’indemnité qui lui est versée n’est jamais soumise à la TVA. En revanche, lorsque le bien concerné est affecté à une activité économique, la qualité d’assujetti de la personne est présumée ;
  3. non exonérée : il convient notamment de rappeler à cet égard que de nombreuses opérations portant sur les immeubles sont exonérées de TVA comme la location nue (sauf option du bailleur) ou la livraison d’un immeuble achevé depuis plus de cinq ans (sauf, là aussi, option du vendeur).

Lorsque la réquisition porte sur le bien appartenant à une personne qui l’affectait jusqu’alors à une activité économique exercée de manière indépendante, savoir si l’indemnité constitue le prix d’une opération est donc déterminant.

La question est de savoir si l’indemnité constitue la contrepartie directe et individualisée de la livraison du bien (réquisition définitive) ou de la prestation de services (réquisition temporaire).

L’analyse peut s’avérer délicate car elle est en partie subjective puisqu’elle dépend de la perception qu’ont les parties du versement.

Commentant l’expropriation d’immeubles, l’administration écrit qu’il y a lieu de supposer qu’elle ne constitue pas en principe une opération économique pour l'exproprié dès lors que la contrepartie reçue a le caractère d'une indemnité. Il en va autrement, toutefois, dès lors que l'exproprié établit que cette livraison répond par ailleurs aux besoins de son entreprise (voir BOI-TVA-IMM-10-10-10-10-20120912, n° 100).

Il y a donc une sorte de présomption simple de non-assujettissement, que l’assujetti peut renverser en montrant l’intérêt de l’expropriation pour son activité.

L’approche est très pratique puisqu’elle offre, de fait, un choix à l’exproprié, mais elle est conceptuellement difficile à comprendre, sauf à admettre qu’une indemnité d’expropriation ne constitue pas en principe la juste rémunération de la dépossession du bien.

La solution n’est d’ailleurs pas générale puisque l’administration fiscale indique, s’agissant de la réquisition des installations des hôteliers, restaurateurs, garagistes, etc., qu’elle est assimilée à une location d’établissement commercial ou industriel muni du mobilier ou du matériel nécessaire à l’exploitation. Par suite, les indemnités perçues en contrepartie de cette réquisition sont soumises à la TVA alors même qu’elles seraient inférieures à la valeur réelle de location des locaux ou établissements réquisitionnés (voir BOI-TVA-CHAMP-10-10-50-20 n° 70).

Finalement, il semble donc que, pour l’administration fiscale :

  • l’indemnité versée en cas de réquisition définitive pourrait être présumée non assujettie, sauf à l’opérateur de montrer que cette expropriation répond par ailleurs aux besoins de son entreprise .
  • l’indemnité versée en cas de réquisition temporaire serait en revanche présumée constituer le prix d’un service, certes contraint et serait donc en principe taxable à la TVA, sauf bien entendu application d’une exonération.

On peut notamment penser aux immeubles non équipés qui feraient l’objet d’une réquisition temporaire s’analysant comme une location exonérée de TVA par l’article 260 D, 4° du CGI, sauf à ce que le bailleur ait exercé une option pour la taxation volontaire en application de l’article 260, 2° du même code.

Conclure à la taxation de l’indemnité à la TVA peut sembler défavorable aux intérêts de l’opérateur, car il est très vraisemblable que le montant de l’indemnité ne sera pas augmenté de celui de la TVA y afférente.

Il ne faut néanmoins pas perdre de vue que cette taxation élimine tout risque de répercussion de la réquisition sur les droits à déduction du réquisitionné.

Si la réquisition n’est pas analysée comme s’inscrivant dans le cadre de l’activité économique de la personne réquisitionnée, elle est susceptible d’entraîner des conséquences défavorables sur la situation du réquisitionné au regard des droits à déduction se traduisant, selon les cas, par une obligation de régularisation ou de taxation d’une livraison de biens ou de services à soi-même.

Tout sera affaire de circonstances et une approche au cas par cas s’imposera, sauf à ce que l’administration fiscale ne publie entre temps des commentaires dont les circonstances exceptionnelles laissent espérer qu’ils pourraient orienter la réflexion vers une absence de taxation des indemnités de réquisition et une absence de perte de droits à déduction malgré tout.


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