Dans un contexte de crise économique liée au Covid-19, les autorités de concurrence françaises et européennes vont vraisemblablement être amenées à utiliser les outils à leur disposition pour adapter leur procédure de contrôle des concentrations à la reprise d’entreprises en difficulté. Comment ? En accordant plus fréquemment des dérogations à l’effet suspensif du contrôle des concentrations, ou encore, en faisant davantage application de l’exception de l’entreprise défaillante (Failing Firm Defense) dans l’examen d’opérations qui, d’un point de vue purement concurrentiel, peuvent soulever des difficultés sérieuses.
Dérogation à l’effet suspensif du contrôle des concentrations sollicitée par une entreprise en difficulté
La réalisation d’une opération de concentration ne peut en principe intervenir avant son autorisation par l’autorité compétente (interdiction du gun jumping)1.
Il existe toutefois la possibilité de déroger à ce caractère suspensif, notamment lorsque l’opération consiste en la reprise d’une entreprise en difficulté : l’acquéreur peut demander à l’autorité compétente une autorisation exceptionnelle de procéder à la réalisation de l’opération sans attendre la décision finale afin de pallier la menace pesant sur la viabilité de la cible. Cette dérogation est notamment disponible lorsque la cible est soumise à une procédure collective, dès lors qu’une décision favorable de reprise du Tribunal de commerce pourrait la conduire à un gun jumping. L’octroi d’une telle dérogation peut être soumis à des conditions visant à préserver une concurrence effective sur le marché en cause (exemple : dérogation accordée par la Commission européenne au rachat de certains actifs d’Air Berlin par Lufthansa). Dans tous les cas, la dérogation accordée ne préjuge en rien de la décision finale de l’Autorité de la concurrence d’autoriser ou non l’opération exemple : décision ADLC n° 18-DCC-95 du 14 juin 2018 relative au secteur des plats cuisinés). Ainsi, dans l’attente d’une décision définitive, l’opération ne doit pas être mise en œuvre de façon irréversible, ni altérer la structure de la concurrence.
Exception de l’entreprise défaillante
D’origine américaine (Failing Firm Defense), cette exception a été consacrée par la Cour de justice (CJCE, 31 mars 1998, Kali et Salz, affaire C-68/94), avant sa transposition en droit interne (CE, sect., 6 février 2004, société Royal Philips Electronic). Souvent invoquée, elle n’a pourtant été acceptée pour la dernière fois qu’en 2013 devant la Commission européenne, dans le cadre de la reprise d’Olympic Air par Aegean Airlines (Commission européenne, 9 octobre 2013, Aegean/Olympic II, affaire n° Comp/M. 6796). Il s’agit de convaincre les autorités de concurrence de conclure que la prise de contrôle de l’entreprise défaillante, bien qu’elle conduise au renforcement ou à la création d’une position dominante, peut néanmoins être considérée comme compatible avec le marché commun dans la mesure où l’alternative, à savoir la disparition imminente de la cible, serait tout autant, voire davantage, préjudiciable pour la concurrence.
Trois critères cumulatifs doivent être démontrés pour prétendre au bénéfice de cette exception :
- en l’absence de reprise, l’entreprise défaillante est condamnée à disparaître rapidement du marché ;
- il n’existe aucune offre de rachat alternative moins dommageable pour la concurrence ;
- sans la réalisation de l’opération, la disparition des actifs de la cible serait tout autant dommageable pour la concurrence.
Ces trois critères faisant l’objet d’une analyse particulièrement fine de la part des autorités de concurrence, le recours à des experts économiques au soutien de cette exception est fortement recommandé.
1 Règlement 139/2004 relatif au contrôle des concentrations, article 7 (1) ; Code de commerce, article L.430-4, al.1.
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