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Déductibilité d’une provision pour dépréciation de créance détenue sur une filiale en difficulté

06/06/2023

La déductibilité d’une telle provision anticipe-t-elle nécessairement un abandon de créance non déductible ? Point sur la jurisprudence actuelle.

Par une décision en date du 20 février 2023, le Conseil d’Etat a refusé d’admettre le pourvoi dirigé à l’encontre d’un arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Lyon du 31 mars 2022 (n°20LY01253, Nambudo), selon lequel une provision destinée à couvrir un risque de non-recouvrement de créances détenues sur une filiale ne peut être regardée comme constituant par elle-même une aide à caractère financier. Cette décision de non-admission de pourvoi intervient dans un contexte où des positions divergentes de Cour administratives d’appel s’opposent sur la question de la déductibilité des provisions pour dépréciations d’avances consenties à des filiales en difficulté. Bien que le Conseil d’Etat ne se prononce pas sur le fond, cette décision de non-admission rend néanmoins l’arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Lyon définitif et permet d’espérer un assouplissement de la position de l’administration fiscale lors des contrôles, position qui était particulièrement restrictive au cours de ces dernières années.

1.  Cas fréquents de remise en cause par l’administration fiscale de la déductibilité des provisions pour dépréciation de créance détenue sur des filiales

Sur le plan des principes, une provision pour dépréciation d’une avance consentie à une filiale est déductible chez la société mère créancière dès lors que la situation financière de la filiale rend improbable le recouvrement de la créance. La provision doit être justifiée par la situation notoirement difficile du débiteur et le caractère improbable de son redressement (CE, 20 juin 1997, n° 99429 9ème et 8ème s-s. ministre c/ Sté Maison Laproste Diapar).

De nombreux services vérificateurs entendent toutefois contester cette approche, remettant en cause le principe de la déductibilité fiscale de telles provisions, alors même que la mauvaise situation financière de la filiale pouvait être démontrée. 
L’analyse de l’administration fiscale part généralement du constat qu’une provision n’est déductible que si la perte ou la charge qu’elle anticipe est elle-même déductible. Ce postulat posé, elle considère que la seule perte probable qu’une telle provision puisse anticiper est un abandon de créance à caractère financier. Or pour les exercices clos depuis le 4 juillet 2012, les dispositions de l’article 39.13° du CGI interdisent, sauf exceptions, la déduction des aides à caractère financier.

En outre, sur le terrain du contrôle fiscal, l’administration dispose de quelques années de recul pour apprécier l’évolution de la situation financière de la filiale débitrice.

Pour corroborer cette analyse, l’administration fiscale s’appuie régulièrement, lors des contrôles, sur un arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Nancy du 18 mars 2021. Cette affaire a également donné lieu à une décision de non-admission de pourvoi du Conseil d’Etat du 6 décembre 2021 (n° 452721, Sté Amadeus Immobilier et Environnement). La Cour avait ici rejeté la déduction des provisions, en jugeant que les avances consenties par une société mère à ses filiales avec lesquelles elle n’entretient pas de relations commerciales sont des aides à caractère financier et ne sont dès lors pas déductibles des bénéfices imposables à l'impôt sur les sociétés en vertu des dispositions de l’article 39,13° du CGI. La portée de cet arrêt était toutefois limitée car en l’espèce, les conditions générales de déductibilité des provisions n’étaient pas démontrées, en l’absence d’éléments suffisamment probants pour prouver les difficultés financières de la filiale. Dans ses conclusions sous la décision du Conseil d’Etat, la rapporteure publique, Karin Ciavaldini, a estimé que l’arrêt de la Cour était entaché d’une maladresse de rédaction, et que « le pourvoi souligne à juste titre la différence entre un abandon volontaire de créance, qui a la nature d’une libéralité si la société qui le consent n’y trouve pas de contrepartie équivalente, et l’anticipation, par une provision, d’une perte que la société subira de manière contrainte ».

2.  Critique de cette analyse : dissociation entre un risque de non-recouvrement et un abandon de créance à caractère financier

Cette analyse peut toutefois sembler critiquable dans la mesure où la dépréciation d’une créance financière détenue sur une filiale constitue avant tout une dépréciation d’actif et non l’anticipation d’un abandon de créance. Elle couvre un risque de non-recouvrement de l’avance consentie et non un risque pour le créancier d’avoir à abandonner sa créance.

En outre, les éléments caractérisant un abandon de créance (BOI-BIC-BASE-50-140 n° 30 et 40) ne sont pas réunis : l’élément matériel, reposant sur l’existence d’une perte définitive chez le créancier et d’un profit chez le débiteur fait défaut, de même que l’élément intentionnel, le créancier n’ayant pas renoncé à sa créance.

Gilles Bachelier, qui s’était exprimé en 2015 lors d’un échange avec l’administration fiscale publié au Feuillet Rapide 48/15, rappelait qu'il existe, d'une part un texte général, l'article 39, 1-5° du CGI, d'autre part un texte spécial, l'article 39, 13° du CGI. S'il comprenait la vigilance de l'administration sur l'application effective de la volonté du législateur d'interdire la déduction des aides financières à caractère financier autres que celles consenties à des filiales placées sous une procédure collective, il estimait toutefois que la référence au critère intentionnel de l’administration fiscale n’était pas évidente. Lorsqu'une entreprise constitue une provision pour créances douteuses, elle a en effet toujours la possibilité d'espérer le retour à meilleure fortune du débiteur. Alors qu'en cas d'abandon de créances, la perte est définitive.

Par ailleurs, l’abandon à caractère financier non déductible de la créance provisionnée ne constitue pas la seule issue probable : la créance peut en effet être cédée, devenir irrécouvrable dans le cadre d’un processus de liquidation, être abandonnée dans le cadre de relations commerciales ou dans les conditions prévues par l’alinéa 2 de l’article 39.13° du CGI (société débitrice engagée dans une procédure collective). Dans ces situations, une perte déductible des résultats imposables apparaîtrait.

Le Tribunal administratif de Montreuil avait approuvé cette analyse dans une décision du 30 octobre 2017 (n°1607367, SAS Promaffine). Conformément à ce jugement devenu définitif, une provision destinée à couvrir le risque de non-remboursement d’une créance détenue par une société sur sa filiale est valablement constituée compte tenu de la situation nette négative de cette dernière. Contrairement à ce que soutient l’administration, la provision ne peut être regardée comme constituant une aide au sens des dispositions du premier alinéa de l’article 39, 13 du CGI en l’absence de toute intention de la société de consentir un abandon de créances.

Cette position a récemment été confirmée par la Cour Administrative d’Appel le 31 mars 2022 (20LY01253, SARL Nambudo), qui précise que la seule inscription dans la comptabilité de la société mère de provisions destinées à couvrir un risque de non-recouvrement de créances ne peut être regardée comme constituant par elle-même une aide au bénéfice de la filiale, au sens des dispositions de l'article 39,13° du CGI, à supposer même qu'à la date de leur inscription, la société requérante ait déjà eu l'intention avérée d'abandonner ultérieurement les créances.

Quoi qu’il en soit, la déduction d'une dépréciation d’avances consenties à des filiales doit être envisagée avec une certaine prudence et être justifiée par les difficultés financières rencontrées par cette filiale (situation nette négative, pertes cumulées, difficultés de trésorerie, etc.).

Bien qu’étant toujours en attente d’une décision du Conseil d’Etat qui trancherait définitivement la question, la décision Nambudo vient écarter, et à notre avis à juste titre, une confusion possible entre provision pour dépréciation de créance et abandon de créance à caractère financier.

Article paru dans Option Finance le 30/05/2023


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