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Droit et innovation

Le contrat « designé »

16/03/2020

Depuis quelques années, on parle énormément de l’innovation appliquée au droit. On en parle même trop, puisque beaucoup d’articles annoncent sans plus de précaution des révolutions imminentes (« les avocats vont être remplacés par des robots »), ou mieux, déjà survenues (« des avocats licenciés et remplacés par un logiciel »). Ces annonces produisent leur effet mais si l’on tente de connaître le suivi de l’innovation, on reste souvent sur sa faim. C’est qu’il est plus rapide d’écrire un article sur une possible innovation et les conséquences qu’elle pourrait avoir, quitte à forcer un peu le trait pour faire rêver les lecteurs (« vous serez bientôt jugés par des robots »), que d’attendre que les innovations soient réellement opérationnelles ou d’interroger les entreprises sur l’état réel d’avancement de l’innovation sur laquelle elles travaillent.

Toutes les innovations juridiques ne passent pas par des logiciels complexes, cependant. Il est possible d’innover, par exemple, en transformant les contenus juridiques bruts en documents plus compréhensibles par leur utilisateur. C’est ce que l’on appelle le legal design. L’idée de design appliqué au droit étonne un peu, d’autant qu’elle donne lieu à des réalisations vraiment originales, comme celle du contrat en bande dessinée1. Les mots « legal design » sonnent bien, mais ils désignent en réalité, dans beaucoup de cas, une infographie juridique.

Les contenus juridiques des documents contractuels sont souvent, indéniablement, difficiles à comprendre. Le legal design appliqué au contrat donne accès à des innovations simples et variées à la fois.

Des contenus souvent difficiles à comprendre.

Le droit est fréquemment rapproché de la médecine, pour différentes raisons. Un rapprochement auquel on ne pense pas souvent concerne les notices des médicaments et les documents contractuels. La notice médicale et le contrat ont l’une comme l’autre vocation à donner des informations importantes à leur utilisateur. Dans les deux cas, il peut y avoir des conséquences graves, que l’on ingère un médicament qui n’est pas le bon ou qui est contre-indiqué, ou que l’on contracte sans le comprendre réellement des obligations lourdes.

Qui a cherché dans une notice médicale les risques allergiques ou les effets secondaires a pu s’étonner de ce que ces passages n’étaient pas davantage mis en évidence. Une observation identique doit être faite s’agissant des documents contractuels - contrat proprement dit ou conditions générales. Il est assez rare que l’on prenne le temps de lire les conditions générales du service bancaire, téléphonique, de transport ou autre auquel on est en train d’accéder. Même en prenant ce temps, il n’est pas sûr que l’on comprenne véritablement la portée des différentes clauses contenues dans les conditions générales écrites souvent très petit.

Dès lors, ne devrait-on pas imposer dans tout document contractuel que soient mises en avant les principaux droits et obligations souscrits par les parties ?

Le droit de la consommation le fait parfois. L’article R. 312-10 du Code de la consommation se préoccupe ainsi de la taille des caractères du contrat de crédit à la consommation : leur hauteur « ne peut être inférieure à celle du corps huit ». Un encadré, inséré au début du contrat, doit informer l’emprunteur sur les « caractéristiques essentielles du crédit » (art. L. 312-28) : type de crédit, montant, durée, échéances de remboursement, etc.

Ces exigences sont réservées à des contrats particuliers ou à des stipulations spécifiques, ce qui multiplie les textes spéciaux. Il faut ainsi qu’un article L. 224-60 du Code de la consommation prenne la peine d’exiger que « Les offres de contrat faites dans les foires et les salons mentionnent l'absence de délai de rétractation, en des termes clairs et lisibles, dans un encadré apparent ». Mais pourquoi les clauses les plus importantes ne seraient-elles pas systématiquement rendues plus apparentes dans tous les contrats ?

Des solutions diverses et simples.

Le design peut se définir comme la conception d’un objet, afin que son utilisation soit la plus adaptée à ses fonctions. Si la fonction du contrat (au sens du document contractuel) doit être d’éclairer chacune des parties sur l’étendue de ses engagements et sur l’étendue des engagements de la ou des autres parties, la majorité de la pratique actuelle a indéniablement une marge de progression !

Que les clauses les plus importantes soient écrites en caractères plus gros, ou soient soulignées, pourrait être une première étape. Bien sûr, on perçoit tout de suite le foyer de contentieux que cela pourrait allumer. Un contractant de mauvaise foi sera ainsi tenté de refuser d’exécuter telle obligation contractuelle, au motif que si la clause était réellement importante, le rédacteur du contrat aurait dû l’écrire de manière plus lisible : « je ne consens qu’à ce que je vois ! », en somme2. De manière moins outrancière, il pourra être soutenu que l’inexécution du contrat est plus ou moins grave, selon qu’elle concerne des obligations écrites de manière très apparente ou non, ou qu’une des parties aurait dû informer l’autre sur l’importance de tel élément du contrat. La demande de résolution du contrat pour inexécution ne devrait ainsi être accueillie par le juge que si l’obligation était réellement importante pour le créancier. Le fait qu’elle soit écrite en petits caractères démontrerait que ce n’était pas le cas. Confronté à ce risque, le rédacteur de contrat sera tenté de tout écrire en caractères gigantesques !

Le recours à un code couleur est aussi envisageable.

En droit de la concurrence comme en droit de la consommation, il est d’usage de parler de clauses « blanches », « grises » ou « noires » pour identifier le risque d’invalidité de la stipulation. La clause blanche n’est jamais contestable, la clause noire l’est toujours, et la clause grise comporte un risque de contestation. On pourrait élargir la palette des couleurs et mettre, par exemple, les clauses qui prévoient des obligations à la charge d’une partie d’une couleur et celles faisant peser des engagements sur l’autre partie d’une autre couleur. Les clauses qui me donnent des droits seraient par exemple en vert, tandis que celles qui m’imposent des obligations seraient en rouge (et le document remis à l’autre partie inverserait les couleurs). Se posera la question de la couleur à retenir pour les clauses imposant des obligations aux deux parties.

Autre suggestion simple : on pourrait aussi imaginer l’emploi de pictogrammes dans les contrats. Pour revenir aux médicaments, ils comportent souvent, comme beaucoup de produits, des icones destinés à avertir de la somnolence provoquée ou de ce que la femme enceinte ne doit pas prendre le médicament. Le droit de la consommation impose déjà, dans les publicités pour un crédit à la consommation, de faire figurer la mention « Un crédit vous engage et doit être remboursé. Vérifiez vos capacités de remboursement avant de vous engager ». Mais quels pictogrammes pourrait-on utiliser pour mettre ce danger davantage en évidence ? Doit-on s’inspirer des « émoticones » de nos téléphones et utiliser, par exemple, le symbole de la liasse de billets avec des ailes, qui permettrait à l’emprunteur de comprendre que de l’argent va quitter sa poche à un moment donné ?

Dernière observation : les écrans et particulièrement ceux des smartphones pourraient être sollicités pour faciliter la compréhension du contrat par les parties. Plutôt qu’une liasse de dizaines de pages, le contrat pourrait se présenter sous la forme de plusieurs pages d’écran, qui n’apparaîtront que progressivement, au fil de la prise de connaissance par l’utilisateur du contenu de la convention. On pourra au choix privilégier un design donnant progressivement accès à l’intégralité du contenu du document contractuel, ou bien un design privilégiant l’accès aux informations essentielles.

Le legal design est donc riche de possibilités. Reste à s’assurer que le design du contrat n’est pas orienté par une partie, dans le but de donner à l’autre, en réalité, un moindre accès à ses droits. Mais ce sera l’objet d’une autre chronique.

Article paru dans le magazine Option Finance le 6 mars 2020


1 https://www.forbes.com/sites/katevitasek/2017/02/14/comic-contracts-a-novel-approach-to-contract-clarity-and-accessibility/#17cd6e747635.

Variante de « Il faut le voir pour le croire », étant rappelé ici que, étymologiquement, « créancier » a la même racine que « croyance ».


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