Home / Actualités / Epidémie de coronavirus (Covid-19)

Epidémie de coronavirus (Covid-19)

Est-ce un évènement de force majeure ?

02/03/2020

A ce jour, près de 90 000 cas confirmés et 3 000 décès ont été attribués au nouveau coronavirus (Covid-19) originaire de la ville de Wuhan (région du Hubei) en Chine.

Ces chiffres traduisent l’importance de l’épidémie qui sévit actuellement en Chine et dans le monde. 5 continents et plus d’une soixantaine de pays sont touchés.

Aux côtés de cette tragédie humaine qualifiée « d’urgence de santé publique de portée internationale » par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le 30 janvier 2020, se dessinent d’importantes difficultés économiques et logistiques.

En effet, pour enrayer la propagation de l’épidémie, les autorités chinoises ont pris des mesures radicales imposant l’arrêt de la majorité des activités publiques et économiques du pays et créant des difficultés importantes pour se déplacer en Chine et hors des frontières.

Dans ce contexte, de nombreuses entreprises françaises et internationales dont les sites de production ou les sous-traitants se situent en Chine ont annoncé la fermeture de leurs usines ou de certains magasins. Tous les secteurs industriels sont touchés par cette crise.

Il est donc évident que nombre d’acteurs économiques vont être tentés d’invoquer la force majeure pour excuser la non-exécution de leurs obligations contractuelles et essayer d’échapper à toute responsabilité à ce titre.

La question qui se pose alors est la suivante : cette stratégie sera-t-elle porteuse ou vouée à l’échec dans les contrats soumis au droit français ?

La force majeure en droit français

C’est l’article 1218 du Code civil qui définit la force majeure en droit français : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur. »

Tout évènement empêchant une partie à un contrat d’exécuter ses obligations peut donc être qualifié de force majeure lorsqu’il présente les trois caractères suivants :

  1. cet évènement doit échapper au contrôle de la partie qui ne peut plus exécuter ses obligations, c’est-à-dire être indépendant de sa volonté ;
  2. cet évènement doit avoir été raisonnablement imprévisible lors de la conclusion du contrat ;
  3. cet évènement doit être irrésistible lors de l’exécution du contrat. Cette irrésistibilité doit rendre l’exécution du contrat impossible et non pas seulement plus onéreuse ou plus compliquée.

En matière de vente internationale de marchandises, il est à noter que l’article 79 de la Convention des Nations unies sur les contrats de vente internationale de marchandises (« CVIM ») fait référence à un principe analogue à celui de la force majeure en édictant « Une partie n’est pas responsable de l’inexécution de l’une quelconque de ses obligations si elle prouve que cette inexécution est due à un empêchement indépendant de sa volonté et que l’on ne pouvait raisonnablement attendre d’elle qu’elle le prenne en considération au moment de la conclusion du contrat, qu’elle le prévienne ou le surmonte ou qu’elle en prévienne ou surmonte les conséquences. »1

Au titre de cet article, une partie peut donc s’exonérer de sa responsabilité en présence d’un empêchement présentant trois caractéristiques principales semblant relativement proches de celles de l’article 1218 précité : une indépendance par rapport à la volonté des parties, une imprévisibilité raisonnable au moment de la conclusion de contrat et une impossibilité raisonnable d’être prévenu ou surmonté.

En tout état de cause, l’appréciation du caractère de force majeure d’un évènement dépend malheureusement du bon vouloir du juge qui dispose d’une entière liberté en la matière.

En ce qui concerne les épidémies, l’étude de la jurisprudence française témoigne d’un rejet régulier de la notion de force majeure pour qualifier de tels évènements. Les juges français ont ainsi refusé de qualifier de force majeure les épidémies de grippe H1N1 de 20092, du bacille de la peste3, du virus la dengue4 ou du virus du Chikungunya5.

Pour chacun de ces cas, la décision des juges a été très fortement influencée par les circonstances d’espèce. A titre d’exemple, les juges ont considéré que l’épidémie de grippe H1N1 de 2009 ne pouvait pas constituer un évènement de force majeure dans la mesure où cette épidémie avait été largement annoncée et prévue, et ce, avant même la mise en place de la règlementation sanitaire. En ce qui concerne la peste, il a été jugé que l’épidémie n’était pas suffisamment certaine ou grave, qu’aucune instruction n’avait été donnée aux compagnies aériennes ou aux agences de voyage pour éviter la région (i.e. Inde) et, qu’en tout état de cause, une protection contre le risque de contagion pouvait être assurée par la prise préventive d’antibiotiques.

Le coronavirus (Covid-19)

L’ampleur inédite de l’épidémie de coronavirus (Covid-19), les mesures strictes et sans précédent édictées par les gouvernements chinois (mesures de confinement, suspension des transports, etc..), étrangers et français (le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères déconseille fortement tout déplacement à Wuhan et dans toute la province de Hubei, recommande de ne pas voyager en Chine sauf raisons essentielles, etc.) ainsi que les déclarations de l’OMS pourraient constituer des arguments pour soutenir que l’épidémie actuelle est constitutive d’un évènement de force majeure en droit français.

A contrario, la répétition des épidémies depuis le siècle dernier dont un bon nombre venaient de l’Asie (grippe espagnole en 1918, grippe asiatique de 1956 à 1958, SRAS en 2002) sont autant de précédents qui affaiblissent cette qualification.

C’est donc peut-être moins l’épidémie de coronavirus (Covid-19) en tant que telle que les mesures prises par les autorités chinoises et internationales pour enrayer la propagation du virus qui pourraient permettre de donner la qualification de force majeure aux évènements actuels.

En l’espèce, il convient de constater que, contrairement à la situation qui prévalait lors de l'épidémie de SRAS en Chine en 2002, l’épidémie de coronavirus (Covid-19) a donné lieu à divers changements de positions du gouvernement chinois quant aux mesures préventives à adopter et à la mise en place de règles extrêmement sévères et radicales (isolement total ou quasi-total de plusieurs villes, interdiction de réunions dans des lieux publics et privés, mesures coercitives interrompant les flux logistiques, etc.). De ce fait, de nombreuses entreprises, notamment celles situées en Chine, rencontrent des difficultés importantes et relativement imprévisibles qui rendent la poursuite de leur activité économique impossible et la prolongation de la fermeture de leurs usines ou bureaux nécessaire bien au-delà des festivités du Nouvel An chinois.

La qualification de force majeure sera néanmoins toujours soumise à l’appréciation souveraine des juges français qui détermineront si l’épidémie de coronavirus (Covid-19) constituait un évènement de force majeure en fonction des faits de chaque espèce et de la possibilité de mettre en place des mesures appropriées pour en éviter les effets néfastes sur l’exécution du contrat (utilisation de sources d’approvisionnement alternatives, production dans d’autres sites, etc.).

Si une telle qualification est retenue, cette reconnaissance aura pour conséquences principales de suspendre l’exécution du contrat en cas d’empêchement temporaire (à moins que le retard résultant de cette suspension ne justifie la résolution du contrat) ou de provoquer sa résolution de plein droit et de libérer les parties de leurs obligations en cas d’empêchement définitif.

encart flèche droite 30x30
Lire également : Covid-19 et force majeure : questions-réponses

Que faire aujourd’hui si votre contrat est soumis au droit français ?

En pratique, si l’un de vos co-contractants ou si vous-même êtes empêchés d’exécuter vos obligations contractuelles en raison de l’épidémie de coronavirus (Covid-19) et de ses conséquences sur l’économie mondiale, nous vous conseillons de :

  1. vérifier l’existence d’une clause de force majeure dans votre contrat. La licéité d’une telle clause est reconnue par la doctrine et la jurisprudence française. Les parties à un contrat peuvent donc valablement modifier la définition donnée par l’article 1218 du Code civil pour l’étendre ou la restreindre ou même lister (de manière limitative ou indicative) les évènements constitutifs de force majeure ;
  2. déterminer si les « maladies », « épidémies » ou « mesures gouvernementales » sont expressément visées en tant qu’évènements de force majeure au titre de votre contrat ou si celui-ci contient une clause rédigée de telle manière que l’épidémie de coronavirus (Covid-19) pourrait constituer un évènement de force majeure (ex : simple liste indicative d’évènements constitutifs de force majeure) ;
  3.  identifier les conditions de mise en œuvre de la clause de force majeure. Celles-ci prennent le plus souvent la forme d’une obligation d’information, dans des délais et selon des formalités particulières, à la charge de la partie ne pouvant pas exécuter ses obligations ;
  4.  anticiper les conséquences contractuelles d’un évènement de force majeure : suspension, résolution de plein droit, etc. ;
  5. contacter votre co-contractant pour, selon votre situation, l’informer de l’impossibilité d’exécuter vos obligations (dans le respect des conditions contractuelles) ou lui demander de mettre en place des solutions de substitution raisonnables afin de continuer à exécuter le contrat.

Effectuer ces quelques vérifications paraît être un préalable nécessaire à la sécurisation de toute situation juridique car, à ce jour, la seule certitude qu’il est permis d’avoir est que les différends liés à l’épidémie de coronavirus (Covid-19) et à la notion de force majeure seront inéluctables.

Article à paraître au BRDA 6/20 du 15 mars 2020.


Dossier : les impacts du Covid-19 (Coronavirus)

Notre cabinet d'avocats vous propose son assistance juridique pour appréhender tous les impacts du Covid-19 (Coronavirus) sur votre entreprise. Découvrez notre dossier dédié ci-dessous.

coronavirus covid19 FR 800x300

Bouton inscription newsletter - 800x90

1Pour mémoire, ce texte a vocation à s’appliquer à tous les contrats de vente internationale de marchandises soumis au droit français dans lesquels l’application de la CVIM n’a pas été expressément exclue.

2CA Besançon, 8 janvier 2014 - n°12/02291

3CA Paris, 25 septembre 1998

4CA Nancy, 22 novembre 2010 – n°09/00003

5CA Basse-Terre,17 décembre 2018– n° 17/00739


En savoir plus sur notre cabinet d'avocats :

Notre cabinet d'avocats est l’un des principaux cabinets d’avocats d’affaires internationaux. Notre enracinement local, notre positionnement unique et notre expertise reconnue nous permettent de fournir des solutions innovantes et à haute valeur ajoutée dans tous les domaines du droit.

cabinet avocats CMS en France

A propos de notre cabinet d'avocats

Expertise : Droit commercial

nous contacter 330x220

Nous contacter

Vos contacts

Portrait deAlienor Fevre
Alienor Fevre
Counsel
Paris
Portrait deXinyu Hu
Xinyu Hu
Associé
Paris