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Erreur sur la rentabilité dans le contrat de franchise

Précisions sur les éléments pris en considération par les juges pour écarter la nullité

06/05/2022

Dans deux arrêts similaires, les juges du fond apportent un éclairage sur l’appréciation de l’erreur sur la rentabilité économique dans le contrat de franchise. Ils mettent en évidence les éléments qui conduisent les juges à écarter la nullité (CA Pau, 22 juillet 2021, n°18/03703 et CA Limoges, 18 mai 2020, n°19-00189).

La première affaire

Les faits

Dans cette affaire, une société conclut en juin 2014 un contrat de franchise pour l’exploitation d’un restaurant.  

Préalablement, elle fait réaliser un prévisionnel, sur les conseils du franchiseur, par une société spécialisée dans les études de marché qui délivre des "avis sur site". Bien que n’ayant aucun lien juridique avec le franchiseur, cette société est chargée de la plupart des études prévisionnelles du réseau de franchise.  

En 2016, la société franchisée est mise en liquidation ; le liquidateur se prévaut alors de la nullité du contrat de franchise pour erreur sur la rentabilité.

Ce dernier considère que c’est l’étude de marché réalisée par la société spécialisée qui a déterminé le franchisé à conclure le contrat de franchise. Or, il constate un écart de 30 % entre le chiffre d’affaires prévisionnel établi par celle-ci et celui réalisé pour l’année 2015, encore dégradé par la suite.

Confirmant la décision des juges de première instance, la cour d’appel de Pau rejette sa demande.

Pas d’erreur pour le franchisé averti qui se contente d’un "avis sur site" sans consulter un expert-comptable

La Cour relève avant toute chose que le seul fait que la société d’études soit chargée de la plupart des études prévisionnelles du réseau ne signifie pas qu’il y ait un quelconque lien avec le franchiseur et encore moins une collusion pour tromper ou induire en erreur le franchisé.

  • Le caractère avisé du franchiseur

Pour écarter la nullité, la Cour d’appel commence par observer que le franchisé est "un homme d’affaires avisé" qui "connaît parfaitement le monde des affaires" puisqu’il a conclu un autre contrat de franchise pour le même réseau dans une autre région.

Elle relève par ailleurs que le franchiseur a fourni un document d’information précontractuelle (DIP) conforme aux dispositions des articles L.330-3 et R.330-1 du Code de commerce et que ce document n’a pas fait l’objet de critiques. Elle rappelle en outre que ces dispositions n’obligent pas le franchiseur à fournir de prévisions budgétaires au futur franchisé. 

Le caractère averti du franchisé est pris en compte de façon récurrente par les juges. Selon eux, le franchisé averti, bénéficiant d’une certaine expérience, peut plus difficilement prétendre avoir été victime d’une erreur.

Pour être averti, le franchisé doit avoir de l’expérience dans le secteur concerné par la franchise. Ainsi, n’est pas averti le franchisé dont l’expérience relève d’un autre secteur d’activité (CA Orléans, 7 mai 2020, n° 19/01891).

En l’espèce, le caractère averti du franchisé ne faisait aucun doute, ce dernier exploitant déjà un restaurant au sein du même réseau.

  • Les stipulations du DIP et du contrat

La Cour d’appel s’intéresse ensuite aux stipulations du contrat de franchise.

A ce titre, elle constate que le contrat de franchise indiquait expressément que le franchisé était "informé de la nécessité pour lui de réaliser une véritable étude du marché local sans se contenter du simple état local de ce marché transmis par le franchiseur, de rédiger avec beaucoup d'attention et de conseils un budget prévisionnel". En outre, le franchisé était invité "à soumettre, à titre confidentiel ses réflexions et l'information précontractuelle à des conseils juridiques et comptables maîtrisant les systèmes de franchise".

En conséquence, le franchisé aurait dû, comme l’y invitait le contrat, recourir à un expert-comptable, soit pour faire établir un budget prévisionnel, soit, a minima, pour contrôler les données établies par la société d’études.

Plus précisément, la cour d’appel de Pau considère que pour établir le prévisionnel, le franchisé ne pouvait se contenter du seul "avis sur site" de la société spécialisée et qu’il aurait dû recourir à un expert-comptable maîtrisant le système de franchise. Elle en déduit qu’aucun élément ne permet d’établir que les chiffres mentionnés dans l’avis sur site étaient entachés d’une erreur grossière susceptible d’entraîner la nullité.

Cela étant, il convient d’indiquer que l’erreur peut également être écartée lorsque le prévisionnel résulte de données établies par un expert-comptable. En effet, la Cour de cassation ne semble désormais admettre la nullité que pour des données "établies et communiquées par le franchiseur" (Cass. com., 24 juin 2020, n° 18-15.249, Inédit).

La seconde affaire

Les faits

Les faits du second arrêt sont assez similaires : un franchisé conclut en 2013 un contrat de franchise en vue de l’exploitation d’un concept de restauration. Puis en 2016, avant sa mise liquidation judiciaire, il assigne le franchiseur en nullité du contrat de franchise pour erreur sur les qualités substantielles.

Il évoque une erreur sur la rentabilité résultant d’une présentation erronée du réseau faite par le DIP, lequel ne reflèterait pas les difficultés rencontrées par la franchise.

Là encore, l’étude prévisionnelle est mise en cause, le franchisé dénonçant son caractère irréaliste. Il fait notamment état d’un différentiel important pour la seconde et la troisième année d’exploitation, le prévisionnel ayant prévu un chiffre d’affaires respectivement de 975 025 et 984 775 euros, alors qu’il n’avait été que de 802 796 et 671 823 euros.

Les juges limougeauds s’attachent aux mêmes éléments que ceux de Pau pour rejeter la nullité.

Rejet de l’erreur du franchisé averti qui a bénéficié d’un délai de réflexion de 16 mois

  • Le caractère averti du franchiseur

Pour qualifier le franchisé de professionnel de la restauration averti, la Cour d’appel retient qu’avant son intégration dans le réseau, le franchisé avait exercé son activité dans deux franchises de restauration en tant que gérant d’un restaurant qu’il avait créé en 2007, après avoir été directeur d’un restaurant dans un autre réseau pendant 7 ans.

Contrairement à l’arrêt précédent, le franchisé n’exerçait pas dans le même réseau, mais cette circonstance n’est pas, de toute évidence, de nature à écarter le caractère averti de l’intéressé.  

  • Les stipulations du DIP et du contrat

La Cour d’appel observe ensuite que le franchisé admet dans un "questionnaire suite à l’envoi du DIP" avoir conscience qu’"il lui appartenait de préciser la pertinence économique de la zone de chalandise qu'il avait choisie".

Elle ajoute que dans son préambule, le prévisionnel indique qu’il a été établi selon "les données fournies et/ou validées par le candidat à la franchise de l'enseigne la pataterie", de sorte que "ce document a donc été établi en fonction des options choisies par le candidat à la franchise, sous sa responsabilité".

Sur ce dernier point, on retrouve l’idée évoquée précédemment selon laquelle l’erreur ne peut provenir que de données "établies et communiquées par le franchiseur", et non pas de données établies par le seul franchisé (Cass. com., 24 juin 2020, n°18-15.249, Inédit).

  • Le délai de réflexion

L’article L.330-3 du Code de commerce prévoit un délai minimal de 20 jours entre la communication du DIP et la conclusion du contrat de franchise.

Les juges prennent souvent en compte le délai supérieur qui serait accordé au franchisé pour écarter l’erreur. Effectivement, plus le franchisé dispose de temps avant la conclusion du contrat, plus il est en mesure de s’informer et d’éviter l’erreur.

Pour ne citer qu’un exemple, les juges ont pu considérer qu’un délai de réflexion de deux mois permettait déjà au franchisé de s’informer de l’état du marché et de rechercher les bilans du franchiseur (CA Rouen, 15 avril 2021, n° 19/02774).

C’est donc logiquement que les juges relèvent que le franchisé a disposé d’un délai de réflexion de 16 mois avant la conclusion du contrat pour s’informer.

Dans cet arrêt encore, le franchisé est débouté de sa demande en nullité.

Les juges considèrent que le seul différentiel entre chiffre d’affaires projeté et chiffre d’affaires réalisé ne démontre pas à lui seul que les informations contenues dans les documents précontractuels étaient erronées et qu’il appartenait au franchisé de procéder à une étude de marché avant de s’engager plus avant dans le projet.

Ils ajoutent que les documents produits par le franchisé ne sont pas de nature à établir l’absence de viabilité du modèle économique ni l’existence d’un lien de causalité entre les résultats déficitaires de certains franchisés et des erreurs qui auraient été commises par le franchiseur dans la gestion de l’image de l’enseigne et de l’évolution du concept.

Conclusion :

De ces arrêts, on retient que la nullité pour erreur sur la rentabilité est écartée lorsque le franchisé a les moyens d’éviter l’erreur.

Même si le terme n’est cité à aucun moment, cette logique fait certainement référence au caractère inexcusable de l’erreur (C. civ., art. 1132).

On comprend alors que le franchisé qui commet une erreur "inexcusable" a plus de difficulté à obtenir la nullité. A ce titre, plusieurs éléments sont pris en compte par les juges pour rejeter sa demande :

  • premièrement, la qualité de professionnel averti, c’est-à-dire son expérience dans le secteur de la franchise (que ce soit dans le même réseau ou non) ;
  • deuxièmement, les stipulations du contrat qui invitent le franchisé à s’adresser à un expert (CA Pau, 22 juillet 2021, n°18/03703) ou à préciser lui-même les données fournies par le franchiseur (CA Limoges, 18 mai 2020, n° 19-00189) ;
  • troisièmement, le délai de réflexion supérieur à 20 jours (par exemple un délai de 16 mois) qui lui est accordé avant la conclusion du contrat (CA Limoges, 18 mai 2020, n° 19-00189).

On relèvera toutefois que ces éléments ne devraient être pris en compte que pour les demandes fondées sur l’erreur, le caractère inexcusable n’étant pas de nature à écarter le dol (Cass. com., 1er décembre 2021, n° 18-26.572, F-D).


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