Home / Actualités / Harcèlement moral et sexuel au travail : que dit...

Harcèlement moral et sexuel au travail : que dit la jurisprudence ?

Le harcèlement dans tous ses états

23/10/2019

Plus de deux ans après l’entrée en vigueur du barème des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, dit « barème Macron », le nombre de contentieux faisant état d’une situation de harcèlement connaît une nette augmentation.

Cette situation s’explique notamment par le fait que le barème est écarté par la loi en cas de nullité du licenciement consécutif à une situation de harcèlement : si le salarié, qui ne demande pas sa réintégration, bénéficie alors d’une indemnité légale minimale de six mois de salaire, le juge dispose d’une totale liberté pour fixer le montant de l’indemnité au-delà de ce minimum. Même si, dans ce contexte, la tentation d’invoquer une situation de harcèlement est grande, toute situation conflictuelle n’est pas constitutive d’un harcèlement. Retour sur la jurisprudence récente de la Cour de cassation dans ce domaine.

Jurisprudence du harcèlement moral : une définition légale floue aux contours dessinés par le juge

Aux termes des dispositions légales, le harcèlement moral est constitué par des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Si ce texte est en principe censé donner une définition du harcèlement moral, force est pourtant de constater qu’il ne définit pas les agissements en cause. Il se borne à exiger que ceux-ci soient « répétés » et « susceptibles » d’avoir un impact sur la santé et la sécurité du salarié, sans pour autant qu’il soit nécessaire que cette atteinte soit effective, ni même que l’auteur des agissements ait eu cette intention (Cass. soc., 10 juin 2015, n° 13-22.801). C’est donc au juge qu’il appartient d’apprécier si les faits invoqués sont constitutifs ou non d’un harcèlement moral, afin de protéger aussi bien les victimes de harcèlement que ceux qui en seraient accusés à tort.

Dans ces conditions, les comportements susceptibles d’être « incriminés » sont donc très divers. Pour apprécier l’existence d’un harcèlement moral, le juge se fonde sur les éléments de fait présentés par le salarié. Si l’employeur ne rapporte pas la preuve que ces faits sont fondés sur une raison objective, étrangère à tout harcèlement, la réalité de celui-ci est alors établie.

D’une manière générale, l’exercice par l’employeur de son pouvoir de direction ou de sanction ne peut en principe, à la condition d’être justifié, caractériser une situation de harcèlement moral. C’est ainsi qu’il a été jugé que ne constitue pas un harcèlement la surcharge ponctuelle du travail sur un mois liée à l’absence d’une personne et un refus de prise de congés payés commune à tous les salariés ayant pour seule finalité de permettre le fonctionnement du service (Cass. soc., 28 avril 2011, n° 09-72.778).

En revanche, caractérise une situation de harcèlement moral, le fait pour un employeur de s’opposer à ce qu’un salarié reprenne ses fonctions après un transfert d’entreprise, de l’obliger à prendre ses congés à compter d’une certaine date en s’affranchissant des règles relatives à la procédure de détermination des périodes de congés payés à seule fin de l’écarter de ses fonctions (Cass. soc., 12 juin 2019 n ° 17-13.636).

Plus récemment, la Cour de cassation a décidé que le retrait de certaines de ses attributions à un salarié ainsi que les injures et humiliations reçues de la part du nouveau gérant ou de salariés sans réaction de ce gérant caractérisaient l’existence d’un harcèlement moral. La Cour en a déduit que le licenciement du salarié, motivé par son « attitude de moins en moins collaborative », la création de dissensions au sein de l'équipe et le dénigrement du gérant, était nul dès lors que ce comportement était la conséquence du harcèlement subi (Cass. soc., 10 juillet 2019, n° 18-14.317).

Enfin, la Haute Cour a retenu que constituait un harcèlement moral le fait pour un employeur de ne pas avoir répondu à la réclamation d’une salariée concernant une prime, de lui avoir adressé un mail de recadrage sur ses horaires de travail, un mail concernant la façon de recevoir les clients ainsi qu’un avertissement injustifié (sur trois notifiés) dans un contexte tendu (Cass. soc., 29 mai 2019, n° 17-21.911). Au cas d’espèce, pour retenir l’existence d’un harcèlement moral, le juge semble s’être attardé davantage sur le caractère répété des actes de l’employeur que sur leur caractère justifié ou non. La prudence est donc de mise lorsque des remarques répétées, même justifiées, ont été adressées à un salarié car le risque de caractérisation d’un harcèlement moral ne peut alors être complètement écarté.   

Jurisprudence du harcèlement sexuel : le consentement en question 

La loi identifie deux types de situations susceptibles de constituer un harcèlement sexuel :

  • les propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à la dignité du salarié en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;
  • toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir du salarié un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers. 

Notons qu’il n’est pas exigé que de tels comportements s’inscrivent dans un rapport hiérarchique entre leur auteur et sa victime. Il en résulte que les actes constitutifs d’un harcèlement sexuel sont également sanctionnables lorsqu’ils émanent d’un collaborateur envers son supérieur hiérarchique, ou encore lorsqu’ils se produisent entre des collaborateurs.

Là encore, c’est au juge qu’il appartient de dire si les faits sont constitutifs ou non d’un harcèlement sexuel. A cet égard, l’analyse de la jurisprudence permet de dresser une typologie des comportements susceptibles de caractériser un harcèlement sexuel.

Sont ainsi visés les abus d’autorité en vue d’obtenir des faveurs de nature sexuelle (Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 06-46.517 ; Cass. soc., 3 mars 2009, n° 07-44.082), les propos ou comportements inappropriés (Cass. soc., 1er décembre 2011, n° 10-18.920 ; Cass. soc., 12 février 2014, n° 12-26.652, ainsi que les gestes déplacés à connotation sexuelle.

L’existence ou non d’un consentement aux actes en cause de la part de leur destinataire constitue naturellement pour le juge un élément déterminant dans la caractérisation du harcèlement sexuel. La Cour de cassation a ainsi décidé que le comportement tendancieux d’un salarié vis-à-vis de l’une de ses subordonnées ne constituait pas un harcèlement sexuel dès lors que les seuls actes établis à son encontre s’inscrivaient « dans le cadre de relations de familiarité réciproques avec la personne qui s’en  plaignait » (Cass. soc., 10 juill. 2013, n° 12-11.787). Par un arrêt récent, la chambre sociale confirme cette solution à propos d’un responsable d’exploitation qui avait envoyé, de manière répétée et pendant deux ans, des SMS au contenu déplacé et pornographique avec son portable professionnel à sa subordonnée laquelle, après y avoir répondu pendant plusieurs mois, s’est finalement plainte de harcèlement sexuel. La Cour de cassation a refusé de retenir cette qualification en raison de l’attitude ambigüe de la salariée qui avait « volontairement participé à un jeu de séduction réciproque » (Cass. soc., 25 septembre 2019, n° 17-31.171).

La prise en compte du consentement est donc essentielle à la qualification des faits comme le rappelle d’ailleurs le guide pratique et juridique « harcèlement sexuel et agissements sexistes au travail : prévenir, agir, sanctionner », publié sur le site du ministère du travail, lequel précise que « le non consentement est l’un des éléments constitutifs du harcèlement qui suppose des actes imposés par leur auteur et donc subis et non désirés par la victime ».

Et les agissements sexistes ?

La loi du 17 août 2015 a introduit dans le Code du travail une nouvelle interdiction, celle des agissements sexistes définis comme « tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». Si cette rédaction rend à priori délicate la distinction entre ces agissements et le harcèlement sexuel, elle recouvre selon le guide précité du ministère du Travail, une toute autre réalité : sont ainsi visées les interpellations familières, les considérations sur la maternité ou les charges de famille, les remarques et blagues sexistes, les conduites verbales ou postures corporelles montrant de l’hostilité envers une personne en raison de son sexe consistant notamment à ne pas prendre ses compétences au sérieux, ou encore, la valorisation des qualités fondées sur des stéréotypes de genre.

Le Code du travail ne précise pas les conséquences attachées à l’existence d’agissements sexistes et la Cour de cassation n’a, à notre connaissance, rendu aucune décision à ce jour précisant la nature des faits susceptibles de caractériser de tels agissements.

Cette situation s’explique probablement par le fait que les personnes concernées agiront davantage sur le terrain du harcèlement sexuel compte tenu du régime de preuve qui y est attaché que sur celui des agissements sexistes. En effet, alors que le salarié qui invoque le harcèlement sexuel doit seulement présenter des faits laissant supposer son existence, à charge pour l’employeur de rapporter la preuve contraire, il appartient à celui qui fait état d’agissements sexistes d’en rapporter la preuve. 

Pour conclure, face à la multiplication des contentieux faisant état d’un harcèlement, les entreprises doivent nécessairement faire preuve d’une vigilance accrue. En effet, même si elles ont mis en œuvre tous les moyens nécessaires pour faire cesser les agissements en cause, leur responsabilité ne pourra être écartée que si elles ont adopté, en amont, une politique de prévention efficace conforme à leurs obligations légales (Cass. soc., 1er juin 2016, n° 14-19.702 ; Cass. soc., 5 oct. 2016 n° 15-20.140). Les entreprises doivent donc, sans attendre, s’emparer du sujet de la prévention du harcèlement moral et sexuel.

L’importance des obligations mises à la charge des entreprises en matière de prévention et de traitement du harcèlement ne doit pas, toutefois, occulter que soutenir être victime de harcèlement demeure une accusation grave, qui peut exposer son auteur - lorsqu’elle n’est pas établie - à des sanctions civiles et pénales.

Article paru dans Les Echos Exécutives le 24 octobre 2019


Harcèlement moral et sexuel au travail

Encart lire également bleu 220x220

Lire également :


Harcèlement moral ou sexuel et agissements sexistes : prévenir et agir

Afin de protéger votre entreprise de la mise en cause de sa responsabilité en cas d'harcèlement ou d'agissements sexistes, découvrez l'offre d'accompagnement de notre cabinet d'avocats : vous accompagner dans la lutte contre le harcèlement sous toutes ses formes et agissements sexistes

brochure harcèlement 800x300

En savoir plus sur notre cabinet d'avocats :

Notre cabinet d'avocats est l’un des principaux cabinets d’avocats d’affaires internationaux. Notre enracinement local, notre positionnement unique et notre expertise reconnue nous permettent de fournir des solutions innovantes et à haute valeur ajoutée dans tous les domaines du droit.

cabinet avocats CMS en France

A propos de notre cabinet d'avocats

actualité droit du travail 330x220

Toute l'actualité du droit du travail

nous contacter 330x220

Nous contacter

Vos contacts

Portrait deRodolphe Olivier
Rodolphe Olivier
Associé
Paris
Portrait deBéatrice Taillardat-Pietri
Beatrice Taillardat-Pietri
Adjoint du responsable de la doctrine sociale
Paris