Il est assez courant que les mandataires sociaux souscrivent une assurance « responsabilité civile », dont les primes sont prises en charge par la société. Le contrat a vocation à les couvrir contre le risque de mise en cause de leur responsabilité personnelle en qualité de dirigeants et ce, notamment s’ils sont poursuivis par le liquidateur pour insuffisance d’actif. Rappelons que, lorsque la liquidation judiciaire d’une société fait apparaître une insuffisance d’actif, les dirigeants (de droit ou de fait) peuvent être condamnés à supporter tout ou partie de cette insuffisance, s’il est possible d’établir qu’ils ont commis une faute de gestion ayant contribué à celle-ci (C. com., art. L. 651-2).
La Cour de cassation a rendu récemment un arrêt fort intéressant en prenant position, pour la première fois à notre connaissance, sur la situation de l’assureur dans le cas où la responsabilité du dirigeant assuré est recherchée à ce titre (Cass. com., 10 mars 2021, n° 19-12.825 et 19-17.066, FB).
En l’espèce, il s’agissait de savoir si était recevable l’action du liquidateur qui avait assigné et le dirigeant et la compagnie d’assurance pour les voir solidairement condamner au paiement de l’insuffisance d’actif. L’assureur avait formé un pourvoi devant la Haute juridiction contre l’arrêt ayant retenu la recevabilité de la demande. Deux arguments étaient présentés à l’encontre de la solution des juges du fond : le premier fondé sur la nature de l’action en comblement de l’insuffisance d’actif ; le second, articulé sur la nature de la mission du liquidateur.
Une première critique partait de l’idée que l’action en cause est une action « attitrée », en ce sens que seules certaines personnes limitativement énumérées par la loi (en particulier, le liquidateur) sont autorisées à la mettre en œuvre afin d’obtenir le prononcé d’une sanction patrimoniale contre le dirigeant. Selon l’assureur, le liquidateur ne serait donc pas habilité, dans le cadre de l’action en comblement de l’insuffisance d’actif, à exercer contre la société d’assurance l’action directe, dont dispose la victime d’un dommage à l’encontre de l’assureur du responsable de ce dommage (C. Ass., art. L. 124-3). Si on comprend bien, du caractère limitatif de la liste des personnes admises à exercer l’action devait être déduit le champ exclusif de l’action du liquidateur.
Un second argument s’appuyait sur le rôle dévolu au liquidateur. Il est exact que sa mission est très large, puisqu’il agit à la fois en tant que représentant de l’intérêt collectif des créanciers et en tant que représentant du débiteur, chargé d’exercer, à la place du représentant légal de la société ou de l'entrepreneur individuel, ses droits et actions sur son patrimoine pendant toute la durée de la liquidation. Aussi, selon l’assureur, le liquidateur ne pouvait prétendre exercer l’action directe, c’est-à-dire prétendre à la fois être un tiers victime et le représentant des intérêts du débiteur.
Ces deux arguments sont écartés par la Cour de cassation, qui valide vigoureusement le raisonnement de la cour d’appel. L’action directe contre l’assureur suppose seulement, indique la Haute juridiction, que le tiers lésé établisse l’existence du contrat d’assurance et la responsabilité de l’assuré. Dès lors que les conséquences de la responsabilité pour insuffisance d’actif n’étaient pas exclues par ce contrat et qu’aucune disposition législative ou réglementaire n’interdit au liquidateur de joindre, dans la même instance, à sa demande de condamnation du dirigeant celle de l’assureur, les conditions étaient réunies pour que l’action directe exercée par le liquidateur contre l’assureur soit recevable.
Dans le contexte actuel, où l’on peut craindre que les liquidations judiciaires se multiplient, on conviendra que les conséquences pratiques de la solution ainsi énoncée sont potentiellement considérables. Il faut toutefois apporter deux nuances. En premier lieu, le débat a porté ici uniquement sur la recevabilité de l’action, sans rien dire de son bienfondé. Or, l’assureur est susceptible d’invoquer divers motifs de non-garantie, par exemple le caractère intentionnel de la faute commise par le dirigeant poursuivi en paiement. En second lieu, l’arrêt commenté suggère que, peut-être, le tribunal saisi de la procédure de liquidation judiciaire ne serait pas compétent pour connaître de l’action directe exercée contre l'assureur, car, est-il indiqué, les juges n’avaient pas à relever d'office l’incompétence du tribunal.
Bref, les compagnies d’assurance liées par un contrat assurance « responsabilité civile » à des dirigeants poursuivis pour insuffisance d’actif disposent encore, même après l’arrêt du 10 mars 2021, de quelques arguments à opposer aux liquidateurs…
Article paru dans Option Finance le 12/04/2021
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