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La rémunération de la propriété intellectuelle des professionnels de santé

passée au crible des exigences du Code de la santé publique

25/06/2021

La rémunération des professionnels de santé dans le cadre d’activités de recherche est strictement encadrée par différents textes. Bien comprendre leur cadre est indispensable dans un contexte d’innovation technologique exponentielle dans le domaine médical et pharmaceutique.

"Brevets européens : la santé, principal moteur de l’innovation en 2020" titrait l’Office européen des brevets (OEB) dans un communiqué du 16 mars 2021. Les statistiques publiées par l’OEB montrent, en effet que les innovations dans le domaine de la santé ont largement contribué à l’augmentation du nombre de demandes de brevets en 2020. Les technologies médicales sont le domaine qui a enregistré le plus grand volume d'inventions, tandis que les produits pharmaceutiques et les biotechnologies sont les secteurs qui ont connu la croissance la plus rapide (respectivement + 10,2 % et + 6,3 %).

De telles innovations sont souvent le fruit de recherches impliquant des professionnels de santé. Or, en France, la rémunération des professionnels de santé par des entreprises produisant et/ou commercialisant des produits de santé est strictement réglementée par les lois dites "loi Anti-cadeaux" et "loi Transparence" (articles L.1453-1 et suivants du Code de la santé publique), dont il convient de respecter les exigences.

L’encadrement de la rémunération de la propriété intellectuelle des professionnels de santé par la loi Anti-cadeaux

L’article L.1453-5 du Code de la santé publique (CSP) interdit à "toute personne assurant des prestations de santé, produisant ou commercialisant des produits faisant l'objet d'une prise en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale ou des produits mentionnés au II de l'article L. 5311-1" d’offrir ou de promettre des avantages, sous quelque forme que ce soit, d’une façon directe ou indirecte, à l’ensemble des personnes exerçant une profession de santé réglementée[1], aux étudiants qui se destinent à l’une de ces professions, aux associations qui les regroupent, etc.

Cette notion d’"avantage" doit être comprise largement. Elle ne se limite pas aux simples cadeaux mais concerne tout avantage en nature ou en espèces octroyé à un professionnel de santé, même lorsqu’il s’agit d’un prix de cession ou de la contrepartie d’un service.

Ainsi, une rémunération versée par une entreprise soumise à la loi Anti-cadeaux à un professionnel de santé au titre d’une cession ou d’une licence de droits de propriété intellectuelle peut certainement être considérée comme un "avantage" au sens de ce dispositif. Concrètement, il s’agit par exemple des prix de cession de brevets ou des redevances de licences concédées par un professionnel de santé.

Si l’interdiction demeure le principe, certains "avantages" sont néanmoins exclus de la version de la loi Anti-cadeaux issue de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 (article L.1453-6 du CSP), tandis que d’autres bénéficient de dérogations (article L.1453-7 du CSP).

  • L’octroi d’un avantage dérogatoire est soumis à la conclusion d’une convention entre le professionnel de santé et l’entreprise. Cette convention contenant un certain nombre de mentions obligatoires doit être soumise à une procédure de déclaration ou d’autorisation devant l’autorité compétente.
  • L’avantage exclu échappe lui à tout formalisme.

L’octroi d’un avantage en violation du dispositif "Anti-cadeaux" ainsi que le non-respect des procédures de déclaration et d’autorisation susmentionnées sont sanctionnés par deux ans d'emprisonnement et 150 000 € d'amende. Cette somme peut être multipliée par 5 pour les personnes morales.

Il est donc essentiel pour les entreprises qui développent des produits ou des solutions innovantes en collaboration avec des professionnels de santé de se familiariser avec ce cadre juridique qui a été réformé récemment[2].

Or l’application de ces règles nécessite de tenir compte des spécificités du droit de la propriété intellectuelle. En effet, les innovations relevant du champ de compétences des professionnels de santé peuvent être de natures variées : il peut s’agir d’inventions brevetables ou de savoir-faire (know-how) mais aussi de logiciels protégés par le droit d’auteur (logiciels d’aide à la prescription, d’aide au diagnostic, etc.).

  • Dans le cas d’une invention brevetable qui a vu le jour dans le cadre de l’exécution d’un contrat de travail comportant une mission inventive au sens de l’article L.611-7 du Code de propriété intellectuelle (i.e. une invention de mission), l’employeur sera automatiquement investi des droits de propriété intellectuelle du professionnel de santé, sous réserve du versement d’une rémunération supplémentaire à son salarié.

Cette rémunération supplémentaire ne semble pas être concernée par le dispositif dès lors que l’article L.1453-6 alinéa 1 du CSP dispose que ne sont pas constitutifs d’avantages "la rémunération, l'indemnisation et le défraiement d'activité prévus par un contrat de travail ou un contrat d'exercice, dès lors que ce contrat a pour objet l'exercice direct et exclusif de l'une des professions prévues à l'article L.1453-4".

  • Dans le cas d’une invention dite "hors mission attribuable", l’employeur peut décider de se faire attribuer la propriété de cette invention à condition d’en payer le "juste prix" au salarié.

Même si cette situation est proche de celle de l’invention de mission, il n’est pas certain que la rémunération suive le même régime : le juste prix pourrait ne pas être considéré comme une "rémunération de l’exercice de la profession du salarié" puisque - justement - cette invention a été réalisée en dehors de toute mission inventive.

Pour cette rémunération, comme pour d’autres types de rémunération (notamment en cas de cession de droits d’auteur), il semble possible de s’appuyer sur l’article L.1453-6 alinéa 2 du CSP qui précise que ne sont pas non plus constitutifs d’avantagesles produits de l'exploitation ou de la cession des droits de propriété intellectuelle relatifs à un produit de santé".

Cette exclusion devrait pouvoir être appréhendée dans son sens le plus large dès lors que la note d’information N° DGOS/RH2/2020/157 du 11 septembre 2020 relative à la mise en œuvre du dispositif "Anti-cadeaux" se contente de préciser que "sont ici concernés les produits de l’exploitation ou de la cession des droits, tels que définis par le Code de la propriété intellectuelle et qui sont relatifs à un produit de santé".

  • Cette exclusion pourrait donc aussi être applicable au prix de cession et aux redevances versés par une entreprise concernée à un professionnel de santé en l’absence de contrat de travail. Il s’agit ainsi, par exemple, de la rémunération versée en application des contrats de cession de brevets déposés par un professionnel de santé ou encore de licences relatives à des technologies développées par des professionnels de santé.

Compte tenu de cette exclusion spécifique du champ d’application de la loi Anti-cadeaux. les entreprises qui mènent des projets de recherche auront tout intérêt à conclure deux contrats distincts : le premier contrat couvrant les prestations de recherche ; le second concernant la cession ou la concession en licence des droits de propriété intellectuelle issus du programme de recherche.

  • Le contrat rémunérant les droits de propriété intellectuelle ne serait soumis à aucune formalité au titre de la loi Anti-cadeaux par application de l’exclusion de l’article L.1453-6 alinéa 2 du CSP.
  • Quant au contrat relatif aux prestations de recherche, il serait soumis à une procédure de déclaration ou d’autorisation en fonction de son montant par application de la dérogation de l’article L.1453-7 du CSP.

Loi Transparence : l’obligation de déclaration des conventions conclues, des rémunérations versées et des avantages octroyés

Parallèlement au dispositif "Anti-cadeaux", il convient de se conformer à l’obligation de déclaration de la loi Transparence qui s’applique à l’ensemble des contrats et des rémunérations, sans exception ou dérogation. 

Ainsi, conformément à l’article L.1453-1 du CSP, doivent notamment être déclarés par l’entreprise, sur le site internet www.transparence.sante.gouv.fr :

  • le contrat de licence ou de cession des droits de propriété intellectuelle, qu’il soit conclu à titre onéreux ou gratuit, et
  • toute rémunération versée au professionnel de santé dans le cadre ou non de ce contrat (prix de cession fixe ou forfaitaire, redevances, indemnisation des frais de recherche, etc. dès lors que ces rémunérations sont supérieures à 10 €).

Si les autorités semblent avoir fait preuve jusqu’ici d’une certaine mansuétude concernant le respect des lois Transparence et Anti-cadeaux, les entreprises répondant à la définition de l’article L.1453-5 du CSP ont tout intérêt à s’approprier rapidement les règles à respecter afin d’éviter d’exposer leur responsabilité dans le cadre de leurs relations avec des professionnels de santé. 

[1] Ainsi que les ostéopathes, les chiropracteurs et les psychothérapeutes.

[2] Les dernières évolutions résultent de l’ordonnance n°2017-49 du 19 janvier 2017, ratifiée et modifiée par la loi n°2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, puis de nombreux décrets et arrêtés (décret n° 2020-730 du 15 juin 2020 relatif aux avantages offerts par les personnes fabriquant ou commercialisant des produits ou des prestations de santé, arrêtés du 7 août 2020 fixant les montants à partir desquels une convention stipulant l'octroi d'avantages est soumise à autorisation et fixant les montants en deçà desquels les avantages en nature ou en espèces sont considérés comme d'une valeur négligeable, etc.), l’ensemble étant entré en vigueur le 1er octobre 2020.

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