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La renonciation à un droit d'usufruit doit être non équivoque

Cass. 3e civ., 6 mai 2021, no 20-15888, Mme C., veuve W. c/ M. W., F-D (cassation CA Dijon, 10 mars 2020), M. Chauvin, prés. ; Me Balat, SCP Piwnica et Molinié, av.

29/09/2021

Cass. 3e civ., 6 mai 2021, no 20-15888, Mme C., veuve W. c/ M. W., F-D (cassation CA Dijon, 10 mars 2020), M. Chauvin, prés. ; Me Balat, SCP Piwnica et Molinié, av.

Les conflits entre usufruitier et nu-propriétaire sont fréquents et l’arrêt commenté nous en fournit, une fois encore, une illustration.

Il est rendu au visa de l’article 578 du Code civil aux termes duquel l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à charge d’en conserver la substance.

Mais que se passe-t-il lorsque l’usufruitier ne jouit plus du bien ? Dans quelle mesure peut-on considérer qu’il a renoncé à son usufruit, consolidant ainsi la pleine propriété chez celui qui n’était jusqu’alors que le nu-propriétaire ?

La Cour de cassation réaffirme dans cet arrêt la force de l’usufruit qui tient à sa nature de droit réel : pour renoncer à un tel droit, il faut un acte qui manifeste sans équivoque la volonté de l’usufruitier de renoncer à son droit d’usufruit. La preuve en incombe au nu-propriétaire qui invoque cette renonciation.

La simple abstention d’agir de l’usufruitier ne suffit pas.

Au cas d’espèce, le démembrement portait sur un château que des parents avaient donné à leurs fils en 1998, alors que le fils occupait déjà une partie du bien. Les parents avaient quitté définitivement les lieux en 2003, sans qu’il soit établi que le fils les ait forcés à partir. Ils n’avaient pas manifesté leur opposition à la transformation partielle du château en gîte rural.

Dans ce contexte, les rapports entre les usufruitiers et le nu-propriétaire avaient dû s’envenimer puisque les usufruitiers avaient demandé à leur fils de leur verser une indemnité d’occupation. En défense, le fils avait invoqué la renonciation tacite par ses parents à leur usufruit.

Cette défense avait été accueillie par les juges d’appel. L’arrêt d’appel est cassé par la haute juridiction qui affirme, en conformité avec sa jurisprudence antérieure, qu’aucun des actes imputés par le fils aux usufruitiers n’était de nature à manifester la volonté de l’usufruitière de renoncer à son droit d’usufruit.

Deux enseignements peuvent être tirés de cet arrêt.

1. En premier lieu, l’arrêt commenté rappelle que la renonciation à un usufruit doit être certaine et non équivoque.

Certes la renonciation à un usufruit, qui peut être unilatérale, n’est soumise à aucune règle de forme particulière (Cass. Req., 16 mars 1870 : DP 1870, 1, p. 330). En revanche, la volonté de l’usufruitier de renoncer à son droit de jouissance doit être certaine et non équivoque (Cass. 3e civ., 7 févr. 1979 : D. 1979, inf. rap. p. 396 – Cass. 3e civ., 1er oct. 2003, n° 02-12152 ; Cass. 1re civ., 5 nov. 2014, n° 13-28416).

La question est de savoir dans quelles situations les tribunaux peuvent convenir de la certitude et du caractère non équivoque de la renonciation. Peut-on tirer argument des abstentions de l’usufruitier pour caractériser sa volonté tacite de renoncer à son droit réel de jouissance ?

C’est une réponse négative que donne la Cour de cassation dans l’arrêt commenté, comme elle l’avait déjà fait dans une espèce dont les faits étaient proches (Cass. 3e civ., 3 avr. 2012, n° 11-16212). En l’espèce, une veuve avait donné à sa fille un terrain qui était déjà, à l’époque, construit et occupé par ce dernière comme cabinet professionnel. Quelques années plus tard, la veuve avait également donné à sa fille une maison attenante au terrain, dans laquelle cette dernière avait également emménagé avant la signature de l’acte de donation et y avait fait faire d’importants travaux de rénovation financés par des prêts débloqués grâce à une promesse d’affectation hypothécaire faite par l’usufruitière. La Cour de cassation avait déjà indiqué que de simples abstentions ne suffisent pas à caractériser une renonciation certaine et non équivoque au droit de jouissance.

Le fait que, dans l'affaire sous commentaire, le château donné en nue-propriété avec réserve d’usufruit soit occupé par le fils donataire avant même la donation ne peut pas non plus constituer un argument à l’appui d’une renonciation. La question ne semble pas avoir été examinée par les juges, mais la Cour de cassation avait eu l’occasion de préciser qu’il n’est pas possible de renoncer tacitement à un droit d’usufruit qui n’est pas encore constitué (Cass. 3e civ., 3 avr. 2012, n° 11-16212).

Cela étant, l’usufruitier attaché à son droit doit veiller à ce que son comportement ne traduise pas une volonté claire et non équivoque de renoncer. La Cour de cassation a ainsi pu juger que la donatrice, qui avait fait donation d’un immeuble avec réserve d’usufruit et qui avait librement accepté que les donataires s’installent dans la maison pour y vivre avec elle, selon un accord de cohabitation dont la durée excluait toute précarité, tout en se réservant une partie de la maison, a pu être considérée comme ayant manifesté sa volonté expresse de renoncer à l’usufruit total de la maison (Cass. 1re civ., 15 juill. 1993, n° 91-17523 – en sens contraire, un accord de cohabitation n’implique pas la volonté de renoncer, ne serait-ce que partiellement, à l’usufruit dont le donateur se prévaut : Cass. 3e civ., 1er oct. 2003, n° 02-12152 ; Cass. 3e civ., 3 avr. 2012, n° 11-16212).

Il résulte de l’arrêt commenté que le fait que l’usufruitière quitte le château objet du démembrement sans manifester l’intention d’en reprendre possession, qu’elle ne s’oppose pas à son aménagement partiel en gîte rural et qu'elle ne satisfasse pas à son obligation d’entretien, ne caractérisait aucun acte de nature à manifester sans équivoque la volonté de renoncer à son droit d’usufruit.

2. Le second enseignement de la décision commentée est la nécessité d’éclairer le choix des parties à la donation sur la nature et les conséquences d’une réserve d’usufruit viager sur le bien donné.

Ces donations créatrices de démembrement sont nombreuses et parfois motivées par des raisons uniquement fiscales de réduction de l’assiette des droits de mutation à titre gratuit ou encore de maintien de la charge d’impôt sur la fortune immobilière chez l’usufruitier.

Les conséquences civiles du démembrement de propriété sont parfois oubliées.

Dans l’espèce qui a donné lieu à l’arrêt commenté, la transmission de la seule nue-propriété avec réserve d’un usufruit viager au fils, qui était déjà occupant du château donné et avait certainement un projet de développement en gîte rural dès la donation, était inopportune si le fils n’était pas prêt à verser une indemnité d’occupation à ses parents usufruitiers.

La réserve d’usufruit viager doit correspondre à une véritable volonté de l’usufruitier de jouir de l’usufruit conservé sa vie durant. À défaut d’une telle volonté, l’usufruit aurait pu n'être réservé que sur une partie du bien donné. Il aurait pu n’être que temporaire plutôt que viager. Le contrat de donation aurait pu organiser les relations entre usufruitier et nu-propriétaire en tenant compte des objectifs de chacun.


 

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