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La réserve héréditaire fait partie de l'ordre public interne

24/10/2018

Il résulte d’un arrêt du 4 juillet 2018 qu’à partir du moment où la loi française successorale s’applique, la réserve héréditaire, qui fait partie de "l’ordre public interne", doit être respectée. La décision du 4 juillet 2018 est le corollaire des arrêts (n° 16-13151 et n°16-17198) du 27 septembre 2017, ayant confirmé la restriction de la dimension internationale de cette institution, amorcée depuis quelques années. Sauf rares exceptions, la réserve héréditaire a désormais vocation à s’appliquer principalement à des français ou encore à des étrangers ayant fait le choix de s’installer en France.

1. Contenu de la décision du 4 juillet 2018

Une personne de nationalité marocaine, domiciliée au Maroc, est décédée le 25 août 2011 en laissant pour lui succéder trois fils. Par un testament établi le 18 mars 2011 devant des rabbins-notaires à Casablanca, au Maroc, le défunt avait consenti des legs à titre particulier de sommes d’argent et avait désigné deux de ses enfants en tant que légataires universels. Le testament fut homologué par le tribunal de Casablanca le 27 octobre 2012. La décision marocaine fit ensuite l’objet d’un jugement d’exequatur par le tribunal de grande instance (TGI) de Paris le 3 juin 2015 au vu de son exécution en France. Parallèlement, l’un des fils assigna ses frères en liquidation et partage de la succession. Lors des opérations de liquidation-partage, se posa la question de l’atteinte au droit successoral minimum d’un héritier, appelé réserve héréditaire.

L’auteur du pourvoi en cassation soutenait que la décision d’exequatur du TGI de Paris, qui avait prononcé l’exécution en France du jugement du tribunal de Casablanca ayant homologué le testament marocain, empêchait l’application de la réserve héréditaire.

La Cour de cassation rejette le moyen au motif que : "attendu que l'arrêt constate que la succession comprend des biens immobiliers situés en France et retient que ceux-ci sont soumis, par application de la règle de conflit édictée à l'article 3, alinéa 2, du code civil, à la loi française ; que, de ces constatations et énonciation, la Cour d'appel a exactement déduit, par motifs propres et adoptés, sans méconnaître l'autorité attachée au jugement d'exequatur, que la dévolution successorale desdits immeubles devait tenir compte des règles de la réserve héréditaire, laquelle, d'ordre public interne, ne pouvait être écartée par des dispositions testamentaires établies selon la loi du domicile du défunt et régissant son statut personnel".

2. Portée de la décision du 4 juillet 2018

Pour bien comprendre l’arrêt, il faut au préalable rappeler l’étendue, au cas particulier, de la loi successorale française et l’objet de la décision d’exequatur. Le décès datant de 2011, avant l’entrée en application du règlement européen n° 650/2012 du 4 juillet 2012 ayant modifié la règle de conflit de lois, l’ancienne règle dite de la "scission" était applicable pour déterminer le champ d’application du droit successoral français :

  • les biens meubles étaient soumis à la loi successorale de l’Etat de domicile du défunt ;
  • les immeubles étaient soumis à la loi successorale de l’Etat où ils étaient situés, quels que soient le lieu de résidence et la nationalité du défunt.

Au cas particulier, des biens immobiliers étaient situés en France, la loi successorale française était donc applicable à ces biens. Selon le principe de la "scission", une succession devait s’ouvrir en France, composée uniquement des biens soumis à la loi française. La question posée aux juges était donc de savoir si la réserve héréditaire était applicable à une succession française ! Les auteurs du pourvoi ont tenté, à tort, de revendiquer le jugement d’exequatur du 3 juin 2015 pour essayer de s’affranchir des règles de la réserve héréditaire. C’était méconnaître la portée de ce jugement.

L’exequatur permet d’exécuter en France une décision étrangère : le jugement d’exequatur a pour objet d’appliquer une décision étrangère et non d’ajouter au contenu de cette décision. Or au cas particulier, nous comprenons que la décision étrangère du tribunal de Casablanca avait simplement homologué le testament marocain. Le jugement d’homologation, suivi de son exequatur en France, permettait uniquement de considérer le testament comme valable et d’en tenir compte lors du règlement de la succession soumise au droit de français. La décision d’exequatur n’avait donc pas d’influence ni sur le champ d’application du droit successoral français, ni sur le contenu du droit successoral français, dont la réserve héréditaire fait partie. Par conséquent, le jugement d’exequatur ne pouvait pas faire échec à l’application de la réserve héréditaire. Le testament étranger devait dès lors être traité comme tout testament français. Or lorsqu’un testament porte atteinte à la réserve héréditaire de l’un des héritiers, ce dernier peut demander aux légataires gratifiés une indemnité de réduction. Ce droit à indemnité ne peut pas être écarté par le testateur.

La Cour de cassation prend soin de préciser que la réserve héréditaire est une règle "d’ordre public interne". On ne peut s’empêcher de penser que l’expression choisie par la Cour fait écho à ses décisions du 27 septembre 2017. Dans les décisions de 2017, la Cour a affirmé qu’une loi successorale étrangère qui ignore la réserve "n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français". L’arrêt du 4 juillet 2018 semble avoir vocation à compléter les décisions du 27 septembre 2017 : les décisions de 2017 ont fortement restreint la dimension internationale de la réserve héréditaire tandis que celle de 2018 affirme sa dimension avant tout nationale. Il paraît en résulter que, sauf rares exceptions, telles que l’état de besoin d’un enfant, la réserve héréditaire n’a pas d’influence sur le règlement de successions soumises à une loi étrangère alors qu’elle demeure pleinement applicable aux successions soumises à la loi successorale française, même en présence d’éléments d’extranéité, comme au cas d’espèce.

On rappellera que selon le principe de la "scission" sus énoncé, la réserve héréditaire de l’enfant non légataire s’appréciera sur une assiette réduite : elle ne devra pas être calculée à partir des actifs mondiaux mais uniquement à partir des actifs soumis à la loi successorale française, représentés au cas particulier par les biens immobiliers situés en France. En outre, depuis la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions, l’enfant ne récupérera sa réserve qu’en valeur, sous forme d’une indemnité.

Cette décision est l’occasion de souligner la modification de la portée de la réserve héréditaire entraînée par l’entrée en application depuis août 2015 du règlement européen n° 650/2012 du 4 juillet 2012, ayant changé nos règles de conflits de la loi. Du temps de la "scission", la réserve héréditaire pouvait être appliquée à la succession d’étrangers non résidents de France, à concurrence de leurs biens immobiliers situés en France, comme au cas particulier. Elle devait donc être appréhendée par des personnes relevant de systèmes juridiques ignorant totalement ce principe, du simple fait d’investissements immobiliers en France.

Aujourd’hui, avec les nouvelles règles posées par le règlement européen, l’unicité de la loi successorale est la règle : il s’agit en principe de la loi de l’Etat du dernier domicile du défunt ou encore la loi nationale de ce dernier, sur option. Sauf rares exceptions, les étrangers non résidents de France ne devraient donc plus se voir appliquer la loi successorale française et donc la réserve héréditaire sur leurs biens français. Dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt du 4 juillet 2018, si le défunt était décédé après août 2015, on comprend que la loi marocaine aurait été applicable aux biens immobiliers français : dès lors, on peut douter que la réserve héréditaire, règle impérative de droit interne français, aurait pu venir au secours du fils non légataire.

C’est donc la combinaison des décisions de 2017 et de 2018 avec les nouvelles règles de conflit de lois du règlement européen n° 650/2012 du 4 juillet 2012 qui explique que la réserve héréditaire a désormais vocation à s’appliquer principalement à des français ou encore à des étrangers ayant fait le choix de s’installer en France.

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