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Le NFT : un outil de financement en trompe l’œil

Le NFT a su attiser la curiosité du grand public

17/05/2022

Le Non Fungible Token, plus connu sous l’acronyme « NFT », a su attiser la curiosité du grand public. C’est plus particulièrement dans le monde de l’art qu’il s’est démocratisé et est devenu un outil star. La vente de certains NFT a atteint des sommes records, nourrissant ainsi un intérêt grandissant du grand public. Ce succès dans le marché de l’art n’est pas étonnant, et trouve son explication dans la caractéristique essentielle de ce type de crypto-actif : la non-fongibilité. En effet, contrairement aux autres actifs numériques, un NFT dispose de spécificités propres pouvant être constitutives, par exemple, d’un certificat d’authenticité pour une œuvre. On peut alors distinguer deux types de NFT : d’une part, ceux où le NFT est l’œuvre en elle-même et, d’autre part, ceux où le NFT constitue le support d’un droit (la propriété sur l’œuvre).

A cet égard, on assiste au développement de plateformes offrant l’acquisition et la gestion de biens, plus souvent des pièces collectors ou des œuvres d’art, sous forme de NFT mais permettant in fine de céder le NFT sur le marché secondaire afin de réaliser une plus-value.

Pour autant, les NFT sont utilisés dans un cadre plus large que celui de l’art. En effet, le concept de NFT n’est pas constitutif d’une qualification juridique en tant que telle, la non-fongibilité ne permettant pas à elle seule de définir la nature juridique d’un NFT. Ainsi, différents droits peuvent être associés à ce crypto-actif et, dès lors, sa nature protéiforme rend sa classification mal aisée.

Tout d’abord, à moins que le NFT ne réponde aux critères d’un instrument financier, sa commercialisation, quelles que soient les caractéristiques qui lui sont attachées, est susceptible d’être  rattachée à celle des biens divers et soumise à la règlementation applicable en la matière.

En effet et pour rappel, l’article L. 551-1 du Code monétaire et financier (« CMF ») définit l’intermédiaire en biens divers comme étant :

« la personne qui directement ou indirectement, par voie de communication à caractère promotionnel ou de démarchage, propose à titre habituel à un ou plusieurs clients ou clients potentiels de souscrire des rentes viagères ou d'acquérir des droits sur des biens mobiliers ou immobiliers lorsque les acquéreurs n'en assurent pas eux-mêmes la gestion ou lorsque le contrat leur offre une faculté de reprise ou d'échange et la revalorisation du capital investi ».

Sont également rattachés aux biens divers les biens proposés « en mettant en avant la possibilité d'un rendement financier direct ou indirect ou ayant un effet économique similaire ».

Ainsi, le simple fait de présenter un NFT en mettant en avant la possibilité d’obtenir un rendement financier sur ce type d’actif est susceptible de rattacher cet instrument à la catégorie des biens divers rendant, dès lors, nécessaire l’établissement d’un document d’offre approuvé par l’Autorité des marchés financiers.

Au-delà du marché de l’art, c’est peut-être dans le secteur du financement que le NFT pourrait s’avérer être un outil innovant et redoutable, permettant de démocratiser les opérations de financement auprès du grand public et d’attirer une population nouvelle dans le monde de l’investissement financier.

Pour rappel, l’article L. 552-2 du CMF précise que constitue un jeton :

« tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d'un dispositif d'enregistrement électronique partagé permettant d'identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien ».

Il ressort de cette définition qu’un NFT peut parfaitement être qualifié de jeton, dans la mesure où la fongibilité ne constitue pas un de ses éléments caractéristiques. Il est en effet concevable de créer un actif numérique donnant droit à la livraison d’un bien ou d’un service unique, et pouvant donc constituer tout à la fois un NFT et un jeton au sens de la définition précitée (par exemple, le droit matérialisé par un actif numérique de faire un tour de manège sur le cochon rose le 14 juillet 2022 à la Foire du Trône à 14h30 est bien un droit unique répondant à la qualification de jeton).

Dès lors, certaines activités portant sur un NFT qualifié de jeton pourraient entrer dans le champ des activités soumises à l’obligation d’enregistrement en qualité de prestataire sur services d’actifs numériques[1] (« PSAN »).

Toutefois, l’absence de régime spécifique pourrait évoluer avec l’adoption de la proposition de règlement du parlement européen et du conseil sur les marchés de crypto-actifs (« MICA »)[2]. En effet, si ce texte ne distingue pas spécifiquement les NFT parmi les trois sous catégories d’actifs numériques entrant dans son champ d’application, il y fait bien référence.

Pour rappel, MICA s’applique à trois types de crypto-actifs :

  • les jetons se référant à un ou des actifs et visant à maintenir « une valeur stable en se référant à plusieurs monnaies ayant cours légal, à une ou plusieurs matières premières, à un ou plusieurs crypto-actifs, ou à un panier de ces actifs » ;
  • les payment tokens destinés essentiellement à constituer un moyen de paiement dans le but de stabiliser leur valeur en se référant à une monnaie fiat unique (i.e. principalement étatique) ; et enfin
  • les jetons utilitaires ou utility tokens, définis comme un type de crypto-actif fongible qui n’est accepté que par l’émetteur, utilisé à des fins autres que pour le paiement ou l’échange de biens ou de services externes et qui est destiné à fournir un accès numérique à un bien ou à un service, disponible sur la DLT[3].

Le  considérant 8 bis de MICA exclut de son champ d’application les :

« crypto-actifs qui sont uniques et non fongibles avec d’autres crypto-actifs, qui ne sont pas fractionnables et sont acceptés uniquement par l’émetteur, y compris les programmes de fidélisation du commerçant, qui représentent des droits de propriété intellectuelle ou des garanties, qui certifient l’authenticité d’un actif physique unique ou qui représentent tout autre droit non lié à ceux que portent des instruments financiers, et ne sont pas admis à la négociation à une bourse de crypto-actifs ».

Cette typologie de NFT devrait donc, en première lecture, faire l’objet d’une règlementation spécifique. Cependant, MICA précise également :

« le présent règlement devrait s’appliquer aux jetons non fongibles qui octroient à leurs détenteurs ou à leurs émetteurs des droits spécifiques liés à ceux d’instruments financiers, tels que des droits sur le bénéfice ou autres. Dans ces cas, les jetons devraient pouvoir être évalués et traités comme des jetons-titres et être soumis, avec l’émetteur, à diverses autres exigences du droit de l’Union en matière de services financiers […] ».

Ainsi, si les NFT, dans leur acception classique, ne relèvent pas de MICA[4], le Règlement envisage bien une typologie de NFT conférant des droits spécifiques liés à ceux d’instruments financiers qui, elle, entrerait dans son champ d’application. Cette situation est d’autant plus surprenante que ce type de crypto-actifs pourrait également, dans certains cas, relever de la Directive MIF 2 applicable spécifiquement aux instruments financiers – alors même que les security tokens, c’est-à-dire les instruments financiers sous forme de jetons, sont exclus de MICA.

Au-delà, et plus intéressant encore, MICA souligne que :

« La seule attribution d’un identifiant unique à un crypto-actif ne suffit pas pour le classer comme unique ou non fongible […] »,

et prévoit de charger l’ESMA d’élaborer des projets de normes techniques de réglementation qui précisent les critères et les conditions permettant d’établir quand un crypto-actif doit être considéré comme équivalent, en substance, à un instrument financier.

Ainsi, non seulement le Règlement MICA :

  • envisage bien certains   NFT comme une typologie de crypto-actifs au sein des trois catégories qu’il régit ;
  • invite le régulateur européen à déterminer les caractéristiques et conditions au regard desquelles un jeton, et donc un NFT, sera considéré comme équivalent à un instrument financier ; et
  • conduit à penser qu’une règlementation spécifique devra être applicable aux NFT.

Si le régulateur européen ne les a pas encore spécifiquement régulés, il n’a pas fait l’impasse sur les NFT star utilisés dans le cadre du marché de l’art, a pris date et, surtout, a posé des jalons sur ces prochaines règlementation.

Ce qu’il faut retenir :

  • les NFT, catégorie de jetons non fongibles, sont déjà réglementés, comme toutes les formes de jetons ;
  • le Règlement MICA applicable aux crypto-actifs ne règlemente pas les NFT, à moins qu’ils s’apparentent à des instruments financiers, mais les envisage comme une typologie spécifique de crypto-actifs ;
  • compte tenu de l’engouement suscité par les NFT, le législateur européen prend date pour une règlementation spécifique qui leur sera adaptée.

[1] Article L. 54-10-1 et s. du CMF.

[2] Toute référence au Règlement MICA renvoi à la version du 14 mars 2022 telle qu’amendée et votée par la commission du Parlement européen de la proposition de règlement du parlement européen et du conseil sur les marchés des crypto-actifs et modifiant la directive (UE) 2019/1937du 24 septembre 2020.Ce texte sera prochainement soumis à discussion trilogue pour adoption.

[3] Technologies de registres distribués.

[4] Alors même qu’ils peuvent relever de la règlementation applicable actuellement en France en matière de jeton, comme précisé ci-dessus.

Article paru dans Option Finance le 04/05/2022


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