Home / Actualités / Le régime de l’écrit électronique à la lumière...

Le régime de l’écrit électronique à la lumière de la jurisprudence récente

Retour sur la saga jurisprudentielle relative à la conclusion d’un mandat d’agent sportif

16/12/2020

La première chambre civile de la Cour de cassation a récemment rendu un arrêt dans une affaire relative à la notion et au régime de l’écrit électronique. L’occasion de faire un point sur le sujet.

L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 7 octobre 2020 et publié au bulletin, constitue un nouvel épisode de la saga jurisprudentielle opposant un club de football français célèbre et un agent sportif à propos du transfert d’un joueur (Cass. 1re civ., 7 octobre 2020, n° 19-18.135, FS-PB).

En effet, ce ne sont pas moins de cinq décisions riches d’enseignements juridiques et pratiques sur la notion et le régime de l’écrit électronique au stade de la formation comme de l’exécution du contrat qui ont été rendues, parmi lesquelles deux arrêts de la première chambre civile de la Cour de cassation.

Les faits sont simples. La société dont le gérant exerçait l’activité d’agent sportif réclamait au club français le paiement d’une commission, outre des dommages et intérêts, conformément au contrat de mandat qu’elle prétendait avoir conclu pour la vente d’un joueur au profit d’un club allemand.

Au soutien de l’existence du mandat, le gérant de la société produisait des échanges de courriers électroniques avec le dirigeant du club qui, selon l’agent, attestaient de l’existence d’un contrat de mandat d’agent sportif.

De son côté, le club français soutenait, pour échapper au paiement de la commission, qu’un échange de courriels ne pouvait satisfaire l’exigence d’un écrit ad validitatem telle qu’elle résulte de l’article L.222-17 du Code du sport.

1er épisode : l’écrit électronique, une notion distincte de l’écrit papier

Dans son premier arrêt en date du 11 juillet 2018 (Cass. 1re civ., 11 juillet 2018, n° 17-10.458, FS-PB), la première chambre civile avait censuré l’arrêt de la cour d’appel de Lyon au visa des articles L. 222-17 du Code du sport et 1108-1 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 (devenu C. civ., art. 1174).

D’une part, la Cour de cassation considérait que la Cour d’appel avait ajouté une condition à la loi en jugeant que les messages électroniques échangés par les parties ne pouvaient satisfaire aux conditions de l’article L.222-17 du Code du sport, dès lors que ces courriels ne regroupaient pas dans un seul document les mentions obligatoires prévues par la loi.

La solution est logique. La Cour de cassation rappelle qu’un contrat n’est pas forcément constitué par un acte écrit unique. L’avènement de l’écrit électronique oblige d’ailleurs à raisonner en faisant abstraction de la conception classique du contrat selon laquelle il serait nécessairement formalisé par un seul instrumentum. Dit autrement, il s’agit de faire primer le contenu des échanges et l’accord des parties (le negotium) sur le contenant et la forme de cet accord (l’instrumentum).

D’autre part, la Cour d’appel est censurée pour avoir violé l’article L.222-17 du Code du sport ainsi que l’article 1108-1 du Code civil en considérant qu’un message électronique ne pouvait pas, "par nature, constituer un écrit concentrant les engagements respectifs des parties".

Là encore, la solution de la Cour de cassation ne peut qu’être approuvée, eu égard à la généralité des termes de l’article 1316-1 du Code civil (désormais C. civ., art. 1366) selon lequel "l'écrit électronique a la même force probante que l'écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu'il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité".

Il nous semble que les conditions posées par ce texte, lesquelles permettent de conférer à l’écrit électronique sa force probante et, le cas échéant, de répondre aux exigences des textes imposant l’écrit ad validitatem, doivent être appréciées indépendamment du support de communication électronique utilisé. On pourrait même considérer qu’il existe une forme de "neutralité technologique", en ce sens que peu importe le support de l’écrit électronique, dès lors que les conditions de l’article 1366 du Code civil sont remplies.

Il en résulte que lorsque l’écrit électronique est contesté par l’une des parties (ce qui n’était pas le cas en l’espèce), le juge doit procéder à l’examen des moyens utilisés par les parties et les confronter aux conditions du Code civil en application de la procédure de dénégation d’écriture prévue par l’article 287 du Code de procédure civile.

Aussi, non seulement les juges du fond ne sauraient adopter une approche générale ayant pour effet d’exclure un moyen donné en raison de sa nature mais plus encore, ils ne sont tenus de vérifier les conditions de l’article 1366 du Code civil que si l’une des parties conteste l’écrit invoqué par l’autre partie.

C’est en ce sens, nous semble-t-il, que la Cour de cassation sous-entend qu’un courriel pourrait, sous réserve de respecter les conditions du Code civil, constituer un écrit électronique équivalent à l’écrit papier.

Partant si un échange d’emails pris isolément ne remplit pas forcément les conditions du principe d’équivalence entre l’écrit papier et l’écrit électronique, un message électronique assorti de mesures techniques complémentaires pourrait tout à fait y satisfaire.

Tel serait le cas, par exemple, d’un message électronique signé électroniquement qui permettrait d’identifier la personne dont il émane et qui serait établi et conservé dans des conditions de nature à garantir son intégrité.

2nd épisode : l’exécution du contrat au secours de l’écrit électronique "imparfait "

Dans l’arrêt du 7 octobre 2020, la première chambre civile casse partiellement la décision de la cour d’appel de Grenoble rendue sur renvoi après cassation.

La Cour d’appel avait estimé que les messages électroniques échangés entre les parties ne répondaient pas aux conditions de l’article 1108-1 du Code civil (désormais C. civ., art. 1174) faute d’être pourvus d’une signature électronique.

L’article 1108-1 du Code civil (devenu C. civ., art. 1174) dispose en effet que "lorsqu'un écrit est exigé pour la validité d'un contrat, il peut être établi et conservé sous forme électronique dans les conditions prévues aux articles 1316-1 [relatif à l’écrit électronique] et 1316-4 [relatif à la signature électronique]".

Selon la Cour d’appel, le défaut de signature entraînait une disqualification des échanges de messages électroniques au regard des conditions précitées permettant de bénéficier de l’équivalence entre l’écrit papier et l’écrit électronique et, par voie de conséquence, emportait la nullité du mandat de l’article L.222-7 du Code du sport.

Certes, la signature électronique telle que définie par le Code civil consiste, conformément à l’article 1367 du Code civil (ancien 1316-4), en "l'usage d'un procédé fiable d'identification garantissant son lien avec l'acte auquel elle s'attache".

Toutefois, cette définition est bien plus exigeante que celle adoptée dans le règlement n°910/2014 dit eIDAS qui dispose dans son article 3, 11° que constitue une signature électronique "des données sous forme électronique, qui sont jointes ou associées logiquement à d’autres données sous forme électronique et que le signataire utilise pour signer" et ne couvre pas l’ensemble des solutions proposées par les prestataires de signature électronique.

Dès lors, les échanges de courriels dont il était question constituaient bien une signature électronique au sens du règlement n°910/2014, mais ils ne permettaient pas de remplir les conditions de l’article 1367 du Code civil, conditions nécessaires pour faire jouer le principe d’équivalence entre l’écrit papier et l’écrit électronique. Ces échanges ne pouvaient donc constituer un écrit établi et conservé sous forme électronique conformément aux exigences de l’article 1174 du Code civil. On aurait pu conclure alors, comme la Cour d’appel, à la nullité du mandat.

C’était cependant, pour la première chambre civile, oublier que la nullité d’un acte peut être couverte par une exécution volontaire du contrat en connaissance de la cause de nullité. D’où le visa de l’article 1338 du Code civil (devenu C. civ., art. 1182). La Cour de cassation applique la règle au cas particulier de l’espèce : l’absence de signature électronique, et donc d’écrit ad validitatem pour établir le mandat, entraîne certes la nullité, mais cette nullité peut être couverte sous certaines conditions.

Ainsi en est-il de l’absence de contestation de l’identité de l’auteur du courriel et de l’intégrité de son contenu, couplée à l’exécution volontaire de l’acte en connaissance de cause de la nullité.

Ce raisonnement classique, sans apporter d’éclairage quant à la question de la portée de la signature dans le courriel (mais la Cour ne répond qu’aux questions qui lui sont posées), permet ainsi de sauver le mandat, alors même que celui-ci ne remplissait pas l’exigence d’un écrit ad validitatem posée par l’article L.222-7 du Code du sport.

Le raisonnement peut d’ailleurs être transposé à un contrat signé électroniquement ne satisfaisant pas les conditions de l’article 1367 du Code civil, comme une signature électronique dite "simple" répondant à la définition du règlement n°910/2014 précitée mais non à celle du Code civil, ainsi qu’à un contrat revêtant une signature électronique imparfaite, par exemple en raison d’une identification insuffisante du signataire ou d’un dysfonctionnement lors de l’apposition de la signature par les parties.

Enfin, la solution fait écho à l’écrit exigé à titre de preuve (ad probationem) qui, même s’il est imparfait, constitue néanmoins un commencement de preuve par écrit pouvant être complété par des éléments extrinsèques à l’acte, témoignages ou présomptions, au premier rang desquelles on trouve les actes d’exécution.

En tout état de cause, le recours à la notion de confirmation résultant d’une exécution volontaire du contrat en connaissance de cause aligne par ailleurs le régime de l’écrit électronique sur celui de l’écrit papier.

Toutefois, toute partie à la conclusion d’un contrat par voie électronique doit s’interroger sur les moyens techniques appropriés pour garantir la sécurité et l’imputabilité de l’acte aux signataires. En pratique et quel que soit le domaine, l’utilisation d’une solution de signature électronique d’un niveau plus ou moins sécurisé en fonction de la gravité de l’acte à conclure demeure vivement recommandée pour éviter toute contestation.

Encart lire également bleu 220x220

Lire également :


Technologie, Media et Communication dans notre cabinet d’avocats :

Si les avancées technologiques constituent de formidables opportunités, elles sont également un vecteur de risques pour les entreprises. Dans cet environnement évolutif, notre cabinet d’avocats met à votre disposition sa fine compréhension des nouvelles technologies, son expertise reconnue en matière de propriété intellectuelle ainsi que sa parfaite maîtrise du droit des contrats.

cabinet avocats CMS en France

A propos de notre cabinet d'avocats

expertise tmc 330x220

Expertise : Technologie, Media et Communication

nous contacter 330x220

Nous contacter

Vos contacts

Portrait deAnne-Laure Villedieu
Anne-Laure Villedieu
Associée
Paris
Portrait dePierre Fumery
Pierre Fumery
Avocat
Paris