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Les libéralités en usufruit s'imputent « en assiette » et non « en valeur »

Cass. 1re civ., 22 juin 2022, no 20-23215

05/01/2023

Dans cet arrêt important, publié au Bulletin, la Cour de cassation déduit des articles 913 et 919-2 du Code civil que, dans le cadre de la liquidation civile d’une succession, le legs en usufruit de sa maison par le défunt au profit de sa compagne s’impute sur la quotité disponible ordinaire « en assiette » et non « en valeur ». En découle, en l’espèce, le caractère réductible du legs en usufruit.

Cass. 1re civ., 22 juin 2022, no 20-23215, Mme U. c/ Mme V., FS-B (cassation partielle CA Reims, 2 oct. 2020), M. Chauvin, prés. ; SCP Leduc et Vigand, SARL Le Prado – Gilbert, av. : GPL 18 oct. 2022, n° GPL441c1, note P. Gourdon ; LEFP sept. 2022, n° DFP200y5, obs. N. Pétroni-Maudière ; LPA août 2022, n° LPA201s0, note H. Leyrat

Avec la consécration de l’imputation « en assiette » du legs d’usufruit sur la quotité disponible ordinaire, l’arrêt commenté rend une solution d’une grande importance pratique. En effet le legs de l’usufruit de l’immeuble d’habitation est souvent utilisé pour protéger le concubin ou le partenaire pacsé afin de lui assurer le maintien dans le logement du couple en cas de décès de l’autre. L’arrêt répond avec clarté à la question de savoir quelles sont les incidences de ces libéralités en usufruit sur les droits du ou des enfants réservataires du défunt.

En l’espèce, le défunt laissait sa fille unique issue d’une précédente union et sa compagne à laquelle il avait légué l’usufruit de sa maison. Un conflit éclate entre la fille et la compagne sur la manière de liquider le legs de l’usufruit dans la succession car, suivant la méthode d’imputation adoptée, le legs était ou non réductible. S’agissant d’un legs à une compagne, le legs s’imputait nécessairement sur la quotité disponible ordinaire, égale à la moitié en propriété de la masse successorale prévue à l’article 922 du Code civil, le défunt n’ayant qu’un enfant. L’autre moitié constituait la réserve héréditaire de la fille.

Mais quelles modalités d’imputation devaient être suivies ? Deux techniques liquidatives étaient envisageables :

  • soit une imputation « en valeur » : l’usufruit du bien légué est converti en pleine propriété, et le montant obtenu s’impute sur le montant de la quotité disponible ;
  • soit une imputation « en assiette » : le legs en usufruit s’impute sur l’usufruit de la quotité disponible.

Les conséquences de chaque méthode d’imputation sont aisées à comprendre : au cas d’espèce, la masse successorale (qui comprend la maison valorisée à 240 000 euros) s’élevant à 383 000 euros, la quotité disponible ordinaire, ainsi que la réserve de l’enfant, se chiffraient à 191 500 euros (383 000 € x 50 %).

Avec l’imputation en valeur du legs en usufruit sur la quotité disponible en propriété, le legs n’était pas réductible. C’était la méthode choisie par le notaire qui, pour convertir en propriété le legs en usufruit, avait appliqué, bien qu’il ne s’impose pas, le barème fiscal figurant à l’article 669 du CGI, valorisant ainsi l’usufruit de la maison à 60 % de la valeur en pleine propriété, la compagne ayant plus de 41 ans mais moins de 51 ans. La libéralité convertie était ainsi évaluée à = 144 000 euros (240 000 € x 60 %). Ce montant s’imputait, sans la dépasser, sur la quotité disponible en propriété de 191 500 euros.

Cette solution, validée par la cour d’appel de Reims dans son arrêt du 2 octobre 2020, aurait permis à la compagne de recueillir l’usufruit de la maison sans avoir à verser d’indemnité de réduction à la fille, la réserve de celle-ci n’étant pas considérée comme affectée par ce legs.

Avec l’imputation « en assiette », solution consacrée par la haute juridiction dans l’arrêt de cassation commenté, le legs de l’usufruit de la maison est réductible. En effet, selon cette méthode, la libéralité en usufruit s’impute sur l’usufruit de la quotité disponible, soit sur une assiette de 191 500 euros. La valeur de la maison (240 000 euros) dépassait la quotité disponible de 48 500 euros, rendant réductible le legs en usufruit.

Trois enseignements principaux découlent de l’arrêt commenté.

L’arrêt consacre sans ambiguïté la méthode de l’imputation en assiette, la libéralité en usufruit s’imputant sur l’usufruit de la quotité disponible ordinaire. L’arrêt commenté est rendu au visa des articles 913 et 919-2 du Code civil.

L’article 913 du Code civil pose que les libéralités ne peuvent excéder la moitié des biens du disposant s’il ne laisse qu’un enfant. La Cour de cassation s’appuie sur ce premier texte pour décider « qu’aucune disposition testamentaire ne peut modifier les droits que les héritiers réservataires tiennent de la loi ». Puis la Cour reprend littéralement les termes de l’article 919-2 du Code civil en déclarant que « la libéralité faite hors part successorale s’impute sur la quotité disponible. L’excédent est sujet à réduction ». Elle en déduit que « les libéralités en usufruit s’imputent en assiette ».

En décidant que les héritiers réservataires doivent recevoir leur part de réserve en pleine propriété, la Cour de cassation justifie la méthode de l’imputation « en assiette » de la libéralité en usufruit, qui est la seule à pouvoir assurer à l’héritier réservataire de recueillir son entière part de réserve.

Dans cette méthode qui, en pratique, est celle dite de la « double colonne », le secteur d’imputation que constitue la quotité disponible – ou alternativement la réserve – est découpé en usufruit et en nue-propriété, la libéralité en usufruit s’imputant dans la seule colonne « usufruit » (F. Letellier et M. Nicod, « La réduction des legs en usufruit », Defrénois 27 juin 2019, n° 148t7, p. 21).

Jusqu’alors, la doctrine majoritaire était favorable à cette méthode d’imputation mais sa consécration par la Cour de cassation est importante pour la sécurisation du traitement liquidatif des libéralités, legs ou donations, en usufruit. Sont également concernées les libéralités portant sur un droit d’usage et d’habitation ou encore sur de la nue-propriété (F. Sauvage, « L’imputation en assiette des libéralités en usufruit », JCP G 2022, p. 1017).

Les libéralités en usufruit encourent un risque important de réduction, et la réserve héréditaire est corrélativement mieux protégée. Les praticiens devront avoir à l’esprit cette jurisprudence lorsqu’ils conseilleront un couple non marié qui envisage un legs d’usufruit sur la maison qu’ils occupent, sur tout autre bien leur appartenant ou encore sur une portion de leur patrimoine. Tout legs d’usufruit excédant l’usufruit de plus de la moitié de la succession en présence d’un enfant, de plus du tiers en présence de deux enfants, ou de plus du quart en présence de trois enfants et plus, sera en effet réductible.

Certes il s’agit en principe d’une réduction en valeur, conformément à l’article 924 du Code civil. La compagne recueillera l’usufruit du bien légué mais devra verser une indemnité de réduction. Cette indemnité devra être valorisée au jour de sa liquidation (Cass. 1re civ., 22 juin 2022, n° 21-10570, commenté dans le présent numéro par A. Dupire : GPL 6 déc. 2022, n° GPL443k7). À cette fin, l’usufruit sera converti en propriété. Si, pour cette conversion, il était appliqué, par facilité, le barème fiscal de l’article 669 du Code général des impôts – dont on rappelle qu’il ne s’impose pas –, alors l’indemnité à verser par la compagne à la fille serait de 29 100 euros (48 500 euros x 60 %).

À noter, bien que l’arrêt n’aborde pas ce point, que la fille aurait probablement pu, si ce texte n’avait pas été écarté par le testament et que ses conditions en étaient réunies, exercer l’option prévue à l’article 917 du Code civil, aux termes duquel « si la disposition par acte entre vifs ou par testament est d’un usufruit ou d’une rente viagère dont la valeur excède la quotité disponible, les héritiers au profit desquels la loi fait une réserve, auront l’option, ou d’exécuter cette disposition, ou de faire l’abandon de la propriété de la quotité disponible » (v., sur l’application de ce texte, M. Nicod et A. Tani, « Comment liquider une libéralité en usufruit ? », JCP N 2022, p. 1209). Elle aurait pu ainsi choisir d’abandonner la quotité disponible de moitié pour recevoir sa réserve entière en propriété.

Pour assurer la protection du survivant du couple, le mariage est supérieur au concubinage ou au PACS. Les libéralités en usufruit sont largement utilisées pour assurer la protection du logement du couple, qu’il s’agisse d’un couple marié, de partenaires pacsés ou encore de concubins.

Lorsque la libéralité en usufruit est au profit d’un conjoint marié, ce dernier, qui bénéficie de la quotité disponible « spéciale » de l’article 1094-1 du Code civil, peut recevoir l’usufruit de la réserve des enfants. La règle de l’imputation en assiette consacrée par l’arrêt ne modifie pas cette solution pour les couples mariés. En revanche, ainsi que l’illustre l’arrêt, elle peut conduire à la réduction en valeur pour les partenaires ou les concubins puisque la quotité disponible est alors « ordinaire », et donc en propriété.

Pour assurer la protection du survivant, le mariage demeure ainsi plus protecteur que les autres modes de conjugalité (PACS et concubinage). Cela est également vrai sur le plan fiscal, avec l’exonération des droits de succession entre époux dont bénéficie également le partenaire pacsé, mais non le concubin assujetti à des droits de 60 %.

Article paru dans la Gazette du Palais du 06/12/2022. L’intégralité de la Gazette spécialisée Droit privé du patrimoine est accessible sur la base Lextenso : Gazette du Palais | La base Lextenso (labase-lextenso.fr)


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