Le 21 décembre 2016, un nouveau-né est décédé après la prise d’Uvestérol D. Le directeur général de l’ANSM a alors suspendu l’autorisation de mise sur le marché de ce médicament, et restreint l’usage de l’Uvesterol VITAMINE A.D.E.C. Saisi d’un recours en annulation de ces deux décisions, le juge administratif a rendu une décision rigoureuse mais pragmatique le 9 mai 2019. Eclairage de Sophie Weill, avocat en droit public.
Suite au décès d’un nouveau-né en 2016 après la prise d’Uvesterol D, le directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a, par mesure de précaution, pris deux décisions : il a, d’une part, suspendu l’autorisation de mise sur le marché (AMM) de l’Uvestérol D 5000 UI/ml pour une durée d’un an, et, d’autre part, modifié l’AMM de l’Uvestérol VITAMINE A.D.E.C. pour le réserver à l’utilisation hospitalière.
Les laboratoires Crinex ayant demandé au Tribunal administratif d’annuler ces deux décisions, les juges ont rejeté la demande concernant l’Uvesterol D, et validé au fond la décision du directeur de l’ANSM de suspendre son AMM (TA Cergy-Pontoise, 9 mai 2019, n° 1706276).
Ils ont en revanche annulé - à une date qui sera fixée ultérieurement - la décision de restreindre la prescription et la délivrance de l’Uvesterol VITAMINE A.D.E.C. pour insuffisance de motivation (TA Cergy-Pontoise, 9 mai 2019, n° 1706275). C’est plus particulièrement cette seconde décision qui retient l’intérêt.
Une décision rigoureuse en termes de motivation
Alors même que la décision concernant l’Uvesterol VITAMINE A.D.E.C. apparaissait longuement motivée et se référait à diverses dispositions du Code de la santé publique, les juges ont considéré que cette motivation ne permettait pas aux laboratoires Crinex d’en comprendre les fondements juridiques.
En effet, l’exigence de motivation concerne non seulement l’indication des motifs de fait sur lesquels repose la décision, mais également ses motifs de droit. Or, l’ANSM s’était référée aux textes généraux prévoyant la possibilité de modifier une AMM existante, sans justifier la portée de sa décision, qui restreignait les conditions de prescription et de délivrance du médicament concerné.
Cette censure de l’insuffisance de motivation est à souligner, tant le juge administratif en fait habituellement un usage parcimonieux (voir par exemple CE, 23 juillet 2003, n° 243926, Société CLL Pharma). Ce d’autant plus que le juge administratif, saisi d’une insuffisance de motivation, peut substituer aux motifs de la décision contestée de nouveaux motifs invoqués en cours d’instance.
Là encore, l’ANSM avait invoqué divers articles du Code de la santé publique dans ses écritures. Mais elle s’était abstenue de demander formellement une substitution de motifs, et de justifier que les critères des articles L.5121-9 (rapport entre les bénéfices et les risques du médicament) et R5121-82 du Code de la santé publique (existence de contraintes techniques d’utilisation du médicament) étaient remplis.
| Lorsqu’elle met en œuvre des prérogatives de ce type, l’ANSM est donc invitée par le juge à préciser au destinataire de la décision le fondement juridique retenu, afin que ce dernier puisse comprendre non seulement la décision qui lui est notifiée, mais également ses conséquences. |
Les effets de l’annulation compensés par leur modulation dans le temps
Si la solution dégagée par le juge administratif apparaît sévère, le Tribunal administratif met cependant en œuvre les dispositifs créés par le Conseil d’Etat pour en ménager les effets.
Les recours pour excès de pouvoir qui prospèrent conduisent en effet à l’annulation rétroactive de la décision administrative contestée, réputée ne jamais avoir existé. Pour combattre les effets de cette annulation rétroactive, lorsqu’ils sont jugés disproportionnés, ce principe a été assoupli depuis 2004 tant par la jurisprudence administrative (CE, Ass., 11 mai 2004, n° 255886, Association AC ! et autres) que par des dispositifs législatifs particuliers (c’est notamment le cas en droit de l’urbanisme, avec l’article L.600-5-1 du Code de l’urbanisme).
Il s’agit pour le juge, soit de préserver les situations juridiques qui se sont nouées sur le fondement de la décision annulée, soit de prendre en compte l’intérêt général attaché au maintien temporaire de celle-ci (pour un exemple récent en matière de droit de l’environnement, voir CAA Marseille, 8 mars 2019, n° 17MA02286).
Dans ce cas, le juge peut décider que sa décision ne prendra effet qu’à une date ultérieure, qu’il ne peut fixer sans avoir préalablement consulté les parties. Lorsque le débat n’est pas intervenu en cours d’instance, le juge administratif peut alors surseoir à statuer, pour que les parties débattent sur la date à retenir (CE, 12 mai 2010, n° 325657).
Ainsi, le Tribunal administratif utilise cette faculté pour éviter que le médicament Uvesterol VITAMINE A.D.E.C puisse à nouveau être largement prescrit, en dépit de la mesure de précaution décidée par l’ANSM : la décision est annulée, mais un sursis à statuer est prononcé pour permettre aux parties de débattre, jusqu’au 14 juin 2019, sur la date de prise d’effet de cette annulation. Un second jugement interviendra donc pour fixer cette date d’effet.
On relèvera qu’en l’espèce, les juges ont décidé de moduler les effets dans le temps de l’annulation sans pour autant examiner l’ensemble des moyens qui leur étaient soumis, ce qu’impose pourtant le Conseil d’Etat (CE, 15 mai 2013, n° 337698, Fédération nationale des transports routiers).
| Dans cette affaire, la modulation dans le temps de la décision semble donc avoir pour objet de permettre au directeur général de l’ANSM de régulariser sa décision afin de préserver la continuité de la mesure de précaution adoptée. Dans ce contexte, le sursis à statuer semble justifié davantage par une obligation procédurale que par la nécessité d’un débat contradictoire entre les parties |
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