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Nouveau dispositif de contrôle des subventions étrangères - Incidences sur les concentrations

L’Union européenne se dote d’un nouvel instrument de lutte contre les distorsions de concurrence

18/01/2023

Afin de combler un vide juridique, un nouveau règlement européen autorise la Commission à remédier aux distorsions de concurrence occasionnées par les subventions d’Etats tiers à des entreprises participant à une opération de concentration dans l’Union européenne (Règlement 2022/2560 du 14 décembre 2022)

Objet du Règlement

Si l’Union européenne est dotée de longue date d’un système de contrôle des aides d’État, empêchant les États membres d’octroyer des aides faussant indûment la concurrence dans le marché intérieur, elle ne disposait en revanche d’aucun outil juridique lui permettant d’appréhender les opérations réalisées par les entreprises privées ou publiques opérant sur le territoire européen à l’aide de subventions accordées par des Etats tiers. Or, ces subventions étrangères sont tout autant susceptibles d’engendrer des distorsions de concurrence au sein de l’UE.

Afin de corriger ce déséquilibre et mettre fin aux pratiques déloyales de certains Etats tiers subventionnant largement leur industrie, le règlement du 14 décembre 2022 dote la Commission européenne de nouveaux pouvoirs de contrôle et de sanctions. A compter du 12 juillet 2023, celle-ci pourra en effet enquêter sur toute activité économique (quel que soit le secteur) bénéficiant d’une subvention étrangère sur le marché intérieur et corriger les éventuelles distorsions de concurrence observées.

Champ d’application et logique du règlement

Le nouveau règlement met en place, à l’échelon européen, un contrôle des subventions étrangères créant une distorsion de concurrence. Ce contrôle est réalisé selon une méthode d’analyse applicable à toutes les subventions étrangères mais il est mis en œuvre dans le cadre de trois procédures distinctes :

‑ Deux procédures d’autorisation, reposant sur un système de notification obligatoire des concentrations importantes ou des offres émises dans le cadre de marchés publics ou de concessions dépassant certains seuils ;

‑ Un outil général d’enquête sur le marché permettant l’examen de toutes les autres situations de marché ainsi que les concentrations et marchés publics de plus faible valeur. Dans tous les cas, l’analyse de la Commission repose sur la caractérisation de quatre éléments :

  • Une subvention étrangère (Article 3) ;
  • Une distorsion de concurrence (Articles 4 et 5) ;
  • Une mise en balance des effets négatifs et positifs de la subvention (Article 6) ;
  • Les mesures réparatrices (Article 7).

1) La notion de subvention étrangère

Sont visées les contributions financières, octroyées directement ou indirectement par un pays tiers (Etat, entreprise publique étrangère ou entreprise privée dont les actes peuvent être attribués au pays tiers), qui confèrent un avantage à une entreprise exerçant une activité économique dans le marché intérieur et qui sont limitées, en droit ou en fait, à une ou plusieurs entreprises ou à un ou plusieurs secteurs.

La notion de contribution financière au sens du règlement est entendue très largement puisqu’il peut s’agir notamment d’un transfert de fonds ou de passifs (tels que apports en capital, subventions, prêts, garanties de prêts, incitations fiscales, compensations de pertes d’exploitation, etc.), d’un abandon de recettes normalement exigibles (comme les exonérations fiscales ou l‘octroi de droits spéciaux ou exclusifs sans rémunération adéquate) ou encore de la fourniture ou l’achat de biens ou de services.

Pour entrer dans le champ du dispositif, la subvention étrangère doit être octroyée à une entreprise opérant sur le marché intérieur. Il s’agit de toutes les entreprises, qu’elles soient privées ou publiques (i.e directement ou indirectement contrôlées par un Etats tiers), dès lors qu’elles exercent une activité économique dans l’Union européenne.

A noter qu’est considérée exercer une telle activité une entreprise qui fusionne avec une entreprise établie dans l’Union ou qui en acquiert le contrôle (Article 2).

2) Une distorsion de concurrence

Contrairement aux aides d’Etat octroyées par les Etats membres, les subventions étrangères ne sont pas interdites de manière générale. Elles n’entrent dans le champ du contrôle que si elles sont susceptibles de créer une distorsion de concurrence dans l’UE, ce que la Commission est chargée d’apprécier au cas par cas.

Pareille distorsion de concurrence est réputée exister lorsque (Article 4) :

-    la subvention étrangère est de nature à renforcer la position concurrentielle d’une entreprise dans le marché intérieur, et 
-    que cette subvention affecte réellement ou potentiellement la concurrence dans le marché intérieur.

Pour déterminer si l’on est face à une subvention causant une telle distorsion, plusieurs indicateurs – non exhaustifs - sont listés :

a)    « le montant de la subvention étrangère ;
b)    la nature de la subvention étrangère ;
c)    la situation de l’entreprise, notamment sa taille, et des marchés ou secteurs concernés ;
d)    le niveau et l’évolution de l’activité économique de l’entreprise dans le marché intérieur ;
e)    la finalité de la subvention étrangère, les conditions qui y sont liées et l’utilisation qui en est faite dans le marché intérieur ».

Le règlement liste les catégories de subventions étrangères les plus susceptibles de fausser le marché intérieur, parmi celles-ci figurent (Article 5) :

-    Les subventions étrangères facilitant directement une concentration ;
-    Les subventions étrangères permettant à une entreprise de soumettre une offre indûment avantageuse grâce à laquelle elle pourrait se voir attribuer le marché ou la concession concerné.

Ces deux subventions font donc l’objet d’un contrôle spécifique.

3) La mise en balance des effets de la subvention

Une fois la distorsion de concurrence caractérisée, la Commission devra procéder, sur la base des informations qu’elle aura reçues, à une mise en balance des effets négatifs de la subvention et de ses effets positifs notamment sur le développement de l’activité économique subventionnée concernée dans le marché intérieur (Article 6).

Cette évaluation servira à la Commission pour déterminer la nature et le niveau des mesures réparatrices ou des engagements (octroi d’un accès à des infrastructures, réduction de capacités ou de présence sur le marché, interdictions de certains investissement, cession d’actifs, dissolution de la concentration, etc.) qu’elle décidera, le cas échéant, d’imposer pour remédier à la distorsion réelle ou potentielle constatée (Articles 6 et 7).

Les différentes procédures de contrôle applicables aux concentrations

Selon sa taille, une opération de concentration (fusion, acquisition, création d’entreprises communes) pourra faire l’objet d’un contrôle de la Commission sur la base soit d’une procédure spécifique reposant sur un mécanisme de notification obligatoire de l’opération, soit sur celle d’un régime général d’enquête applicable à l’ensemble des situations de marché bénéficiant d’une subvention étrangère.

1) La procédure spécifique

Les concentrations impliquant une subvention étrangère devront dans certains cas faire l’objet d’une notification préalable. 
Cette procédure spécifique, qui vient s’ajouter au régime général du contrôle des concentrations prévu par le Règlement 139/2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, n’entrera en vigueur que le 12 octobre 2023. Elle sera applicable aux opérations remplissant les conditions suivantes :

i)    Une opération de concentration

A l’instar de ce que prévoit le Règlement 139/2004, une opération de concentration est réputée réalisée

  • lorsqu’un changement de contrôle résulte d’une fusion ou d’une acquisition
  • par la création d’une entreprise commune de plein exercice.

ii)    Les seuils de notification

Pour qu’une opération de concentration soit notifiable sur le fondement du nouveau règlement, les deux seuils suivants doivent être franchis :

  • au moins une des entreprises parties à la fusion, l’entreprise acquise ou l’entreprise commune est établie dans l’Union et génère un chiffre d’affaires total d’au moins 500 000 000 EUR dans l’Union ; et
  • ont reçu de pays tiers des contributions financières totales cumulées de plus de 50 000 000 EUR au cours des trois années précédant la conclusion de l’accord, l’annonce de l’offre publique d’achat ou d’échange, ou l’acquisition d’une participation de contrôle les entreprises suivantes :

- dans le cas d’une acquisition, l’acquéreur ou les acquéreurs et l’entreprise acquise;
- dans le cas d’une fusion, les entreprises parties à la fusion;
- dans le cas d’une entreprise commune, les entreprises créant une entreprise commune et l’entreprise commune.

Toutefois, la Commission se réserve le droit de demander la notification préalable de toute concentration, avant sa réalisation, ne franchissant pas les seuils si elle soupçonne que des subventions étrangères ont pu être octroyées aux entreprises concernées.

Une fois la notification complète, la concentration ne peut être réalisée pendant les 25 jours ouvrables suivant la réception de cette notification. La Commission dispose en effet de ce laps de temps pour décider d’ouvrir une enquête approfondie (sous réserve d’une mesure de suspension des délais). À l’issue de son enquête approfondie, la Commission adopte une des décisions suivantes :

  • a) une décision assortie d’engagements ;
  • b) une décision de ne pas émettre d’objection ; ou
  • c) une décision d’interdire une concentration.

En cas de défaut de notification ou de gun jumping, la Commission peut prononcer une amende pouvant aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires total des entreprises concernées (Article 26).

2) L’outil général d’enquête

Les concentrations n’atteignant pas les seuils de déclenchement de la procédure de contrôle spécifique n’échapperont pas nécessairement à un examen de la Commission. Celle-ci se voit en effet reconnaître la faculté, « de sa propre initiative, d’examiner des informations, quelle qu’en soit la source, y compris les États membres, une personne physique ou morale ou une association, concernant de présumées subventions étrangères faussant le marché intérieur » (Art.9).

Pour cela, elle dispose de deux niveaux d’enquête :

  • L’examen préliminaire 
  • L’enquête approfondie

Au terme de l’examen préliminaire, elle peut soit considérer qu’elle dispose de suffisamment d’éléments indiquant qu’une entreprise a bénéficié d’une subvention étrangère faussant le marché intérieur et décider donc d’ouvrir une enquête approfondie, soit au contraire, qu’elle ne dispose pas de ces éléments et clore cet examen préliminaire.

A l’issue d’une enquête approfondie, la Commission peut prendre quatre types de décisions :

-    Une décision imposant des mesures réparatrices ;
-    Une décision rendant contraignants les engagements proposés par l’entreprise si elle estime que ces engagements sont appropriés et suffisants pour remédier à la distorsion de concurrence ;
-    Une décision de ne pas émettre d’objection, ce qui est possible dans les deux cas suivants :

  • Lorsque l’évaluation préliminaire conduisant à présumer qu’une subvention étrangère crée une distorsion de concurrence n’est pas confirmée ;
  • Lorsque cette distorsion de concurrence est compensée par des effets positifs (mécanisme de mise en balance).

Dans le cadre de ces deux niveaux d’enquête, la Commission peut demander des renseignements (Article 13), procéder à des inspections dans l’Union (Article 14) voire, sous certaines conditions, en dehors de l’Union (Article 15). Par ailleurs, afin de préserver la concurrence dans le marché intérieur et d’éviter un préjudice irréparable, la Commission peut adopter une décision ordonnant des mesures provisoires (Article 12).

Pour obtenir la diligence des entreprises dans le cadre des enquêtes et assurer le respect de ses décisions, la Commission disposera d’un important pouvoir de sanctions et d’astreintes (Articles 16 et 17).

En pratique

Ce règlement d’un nouveau type pourra avoir de réelles incidences en matière de concentrations, obligeant les entreprises et leurs conseils à une vigilance supplémentaire. Ainsi, en sus des seuils classiques de notification d’une opération de concentration sur le fondement du Règlement 139/2004, il conviendra de vérifier si la cible et les contributions financières ne franchissent pas les seuils résultant de la nouvelle réglementation.

D’un point de vue pratique, la Commission est habilitée jusqu’au 12 juillet 2023, à fixer la forme, la teneur et les modalités procédurales des notifications de concentrations (acte d’exécution). Elle devra, pour cela, tenir le plus grand compte de l’objectif consistant à limiter la charge administrative pour les parties notifiantes. Pour une appréciation plus précise de l’articulation des deux procédures de notification, il faut donc attendre la publication de cet acte.


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