Home / Actualités / Poursuite d’une relation commerciale dans un contexte...

Poursuite d’une relation commerciale dans un contexte de cession d’éléments d’actifs

La nécessité d’une manifestation de volonté commune des parties

06/01/2023

La Cour de cassation réaffirme que la seule continuation d’une relation commerciale par un nouveau partenaire, sans interruption avec la précédente relation, pour les mêmes produits et aux mêmes conditions, ne suffit pas à établir la volonté commune des parties de reprendre la relation commerciale précédemment établie (Cass. com., 7 septembre 2022, n° 21-12.704).

Les faits : absence de reprise d’une relation commerciale dans le cadre d’une cession d’éléments d’actifs à défaut de volonté commune des parties

En 1993, une société marocaine spécialisée dans la vente de tissus de luxe était entrée en relation commerciale avec un fournisseur français. En 2004, le fournisseur avait fait l’objet d’un plan de redressement par voie de cession d’éléments d’actifs. Le contrat liant la société marocaine et le fournisseur ne faisait pas partie des éléments d’actifs cédés mais le cessionnaire des actifs avait poursuivi la relation commerciale avec la société marocaine.

Fin février 2012, le cessionnaire informait son client marocain de la rupture de leur relation commerciale à compter du 1er septembre 2012, soit avec un préavis d’environ 6 mois.

S‘estimant victime d’une rupture brutale des relations commerciales établies, la société marocaine l’avait assigné en réparation de son préjudice sur le fondement de l’article L.442-1, II du Code de commerce devant le tribunal de commerce de Paris.

En appel, les juges avaient considéré avérée la volonté des parties de poursuivre la relation commerciale lors de la cession des éléments d’actifs, après avoir constaté que la relation s’était poursuivie, sans interruption, pour les mêmes produits et aux mêmes conditions. La cour d’appel de Paris jugeait que le préavis de 6 mois laissé par le fournisseur était insuffisant au regard de la durée de la relation commerciale établie d’environ 19 années et condamnait le fournisseur à verser des dommages et intérêts à son client (CA Paris, 2 décembre 2020, n°19/06000).

L’auteur de la rupture s’était alors pourvu en cassation en soutenant notamment :

  • qu'en matière de rupture brutale d'une relation commerciale établie, la seule circonstance qu'un tiers, ayant repris tout ou partie de l'activité d'une personne, continue une relation commerciale que celle-ci entretenait précédemment ne suffit pas à établir que c'est la même relation commerciale qui s'est poursuivie avec le partenaire concerné. D’autres éléments doivent démontrer la commune intention des parties ; de tels éléments ne sauraient simplement découler du caractère identique de la relation nouvelle à celle qui n'a pas été poursuivie ;
  • qu’il résultait du jugement de cession qu’il n’avait pas acquis l’intégralité de la société en procédure collective mais uniquement certains des actifs de celle-ci, expressément listés dans l'offre de reprise et le jugement, parmi lesquels ne figuraient pas les engagements contractuels antérieurement pris par l’ancien fournisseur ;
  • que le cessionnaire avait indiqué au mandataire judiciaire du cédant la liste des contrats non repris, correspondant à ceux exclus de son offre de reprise et non visés par le jugement de cession, dont le contrat conclu avec le fournisseur.

Dans cette affaire, la Cour de cassation était ainsi conduite à se prononcer notamment sur l’éventuelle reprise d’une relation commerciale établie à l’occasion d’une cession d’éléments d’actifs dans l’hypothèse où le cessionnaire exécute la relation dans des conditions identiques à celles antérieurement pratiquées par son cédant.

Par un arrêt du 7 septembre 2022, la Cour de cassation a infirmé l’arrêt de la cour d’appel de Paris en ce qu’il avait condamné le fournisseur français à réparer le préjudice subi par le client marocain sur le fondement de l’article L.442-1, II du Code de commerce.

Sur la reprise d’une relation commerciale antérieurement établie à l’occasion d’une cession d’éléments d’actifs

L’article L.442-1, II du Code de commerce prévoit qu’engage "la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels".

L’application de cette disposition suppose en premier lieu la démonstration d’une relation commerciale établie. Lorsque les parties évoluent au cours de la relation, il n’est pas toujours aisé de rapporter la preuve que c’est une même relation commerciale qui s’est poursuivie.

En l’espèce, la cession de plusieurs éléments d’actifs du fournisseur initial avait été organisée dans le cadre du redressement judiciaire de ce dernier. Le nouveau fournisseur avait ainsi fait l’acquisition de plusieurs éléments d’actifs de l’ancien fournisseur et avait ensuite continué de fournir, comme le cédant, des produits à la société marocaine.

Pour la Cour de cassation, il résulte de l’article L.442-1, II du Code de commerce, que "la seule circonstance qu'un tiers, ayant repris l'activité ou partie de l'activité d'une personne, continue une relation commerciale que celle-ci entretenait précédemment ne suffit pas à établir que c'est la même relation commerciale qui s'est poursuivie avec le partenaire concerné, si ne s'y ajoutent des éléments démontrant que telle était la commune intention des parties".

Par cet arrêt, la position de la Cour reste conforme aux décisions précédemment rendues en la matière (Cass. com., 10 février 2021, n° 19-15.369).

En l’espèce, la Cour a considéré que le fait que la nouvelle relation avec le cessionnaire ait porté sur les mêmes produits et ait été exécutée dans des conditions identiques à celles de la relation commerciale précédente ne suffisait pas à caractériser une volonté commune des parties de poursuivre la relation commerciale antérieure.

Dans certains cas, la Cour de cassation a pu admettre qu’une telle volonté des parties pouvait toutefois résulter de la reprise exacte et sans interruption des conditions contractuelles originelles (Cass. com., 2 novembre 2011, n° 10-25.323 ; Cass. com., 7 juillet 2020, n° 18-25.304).

Ici, la reprise exacte et sans interruption des conditions contractuelles était toutefois insuffisante dans la mesure où (i) le contrat entre le fournisseur cédant et la société marocaine, cliente, ne faisait pas partie des éléments d’actifs repris dans le cadre de la procédure collective et où (ii) le cessionnaire avait expressément indiqué au mandataire judiciaire et au client sa volonté de ne pas reprendre l’antériorité de la relation.

Il était donc relativement aisé de démontrer que les parties n’avaient pas eu la volonté de poursuivre la relation commerciale initiée avec le fournisseur cédant.

Cela étant, il convient de souligner que l’hypothèse de la cession d’une relation commerciale établie dans le cadre d’une cession d’éléments d’actifs isolés, de cession de fonds de commerce ou encore de mise en location-gérance dans lesquelles les relations commerciales et contractuelles ne sont pas automatiquement transmises au repreneur doit être distinguée des opérations de transmission universelle de patrimoine qui entraînent une transmission automatique des relations commerciales.

Ainsi, en l’absence de transmission automatique des contrats et relations contractuelles, il convient de démontrer la volonté commune des parties de poursuivre la relation commerciale antérieure et la seule circonstance qu'un tiers, ayant repris l'activité ou partie de l'activité d'une personne, continue une relation commerciale que celle-ci entretenait précédemment ne suffit pas à établir que c'est la même relation commerciale qui s'est poursuivie avec le partenaire concerné, si ne s'y ajoutent des éléments démontrant que telle était la commune intention des parties (Cass. com., 15 septembre 2015, n° 14-17.964 ; Cass. com., 3 mai 2016, n° 15-10.158 ; Cass. com., 10 février 2021, n° 19-15.369).

En revanche, pour les opérations de transmission universelle de patrimoine, telles que les fusions-absorptions ou les scissions, entraînant un transfert automatique des relations commerciales et contractuelles, les parties pourront bien entendu se prévaloir de l’ancienneté de la relation commerciale. Il n’y aura donc pas lieu de rechercher la volonté commune des parties de poursuivre la relation commerciale établie dans ces opérations.

La modification des conditions commerciales fondée sur l’inexécution des obligations contractuelles du bénéficiaire du préavis ne remet pas en cause l’effectivité dudit préavis

Outre la question de la poursuite de la relation commerciale établie par le cessionnaire, la Cour s’est prononcée sur l’effectivité du préavis de 6 mois consenti dans la mesure où les conditions d’exécution de la relation commerciale avaient été modifiées par le fournisseur au cours du préavis, précisément par la réduction du crédit fournisseur.

A cet égard, la Cour rappelle qu’il résulte de l’article L.442-1, II du Code de commerce que le préavis accordé à la suite de la rupture de la relation commerciale établie doit être effectif de sorte que, pendant cette période, la relation commerciale se poursuive aux conditions antérieures, ce qui implique que les conditions commerciales ne peuvent pas être substantiellement modifiées au cours du préavis.

En l’espèce, la Cour de cassation a considéré que la réduction du crédit fournisseur au bénéfice du client en raison de retards de paiement du client ne privait pas le préavis consenti de son effectivité.

En adoptant une telle solution, la Cour s’inscrit dans la continuité de précédentes décisions aux termes desquelles une modification substantielle des conditions contractuelles avait été exigée pour caractériser une rupture brutale des relations commerciales établies (Cass. com., 20 novembre 2019, n° 18-11.966 ; Cass. com., 31 mars 2015, n° 14-11.329).


En savoir plus sur notre cabinet d'avocats :

Notre cabinet d'avocats est l’un des principaux cabinets d’avocats d’affaires internationaux. Notre enracinement local, notre positionnement unique et notre expertise reconnue nous permettent de fournir des solutions innovantes et à haute valeur ajoutée dans tous les domaines du droit.

cabinet avocats CMS en France

Notre cabinet d'avocats à Paris

actualité droit commercial 330x220

Actualité du droit commercial

nous contacter 330x220

Nous contacter

Vos contacts

Portrait deClaire Flatres
Claire Flatrès
Avocate
Paris