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Précisions en matière de responsabilité du fait des produits défectueux

Exclusion de la réparation du préjudice économique et articulation des régimes de responsabilité

24/02/2021

Dans un arrêt du 9 décembre 2020, la Cour de cassation rappelle les conditions de mise en œuvre de la responsabilité du fait des produits défectueux et se prononce sur son articulation avec la responsabilité contractuelle de droit commun (Cass. 1re civ., 9 décembre 2020, n° 19-21.390).

Les faits

En février 2011, une société civile d’exploitation viticole achète du matériel agricole servant au travail des vignes (véhicule automoteur).

Le lendemain de la livraison, le gérant de la société acheteuse se blesse lors de l’utilisation du matériel et doit subir une intervention chirurgicale.  

Dans un premier temps, la société viticole et son gérant assignent le fabricant en référé devant le tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne aux fins d’expertise du matériel et d’évaluation du préjudice corporel subi par le gérant. Par la suite, ils engagent une action en responsabilité contre le fabricant et sollicitent à ce titre la réparation de différents préjudices, y compris économiques.

Les juges de première instance déclarent le fabricant responsable du préjudice corporel subi par le gérant à hauteur de la moitié (celui-ci ayant commis une faute) sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux et le condamnent à lui payer différentes sommes à ce titre. La demande d’indemnisation des préjudices économiques est en revanche rejetée.

Les demandeurs interjettent appel, ajoutant à leurs prétentions initiales la résolution du contrat de vente du matériel litigieux.

La Cour d’appel saisie confirme le jugement de première instance et déclare irrecevable l’action en résolution judiciaire du contrat de vente pour non-conformité (CA Reims, 18 juin 2019, n° 18/00808). Elle estime que la non-conformité alléguée par les demandeurs repose sur un défaut de sécurité du matériel. Or, si le régime de responsabilité du fait des produits défectueux n’exclut pas l’application d’autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, c’est à la condition que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui tiré d’un défaut de sécurité ; ce qui n’était, selon elle, pas le cas en l’espèce.

La société civile d’exploitation et le gérant forment alors un pourvoi en cassation.

Tout comme devant la Cour d’appel, deux questions étaient posées à la Cour de cassation : quid de la réparation des préjudices causés par un défaut du matériel lui-même et quid de la possibilité pour la victime d’un défaut de conformité du produit de demander la résolution du contrat consécutivement à son action en responsabilité du fait des produits défectueux ?

Le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux

Issu d’une directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985, le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux a été transposé en droit français par une loi du 19 mai 1988 aux articles 1245 à 1245-17 du Code civil (anciens articles 1386-1 à 1386-18 du Code civil).

Cette responsabilité impose aux fabricants d’indemniser tout dommage causé par la défectuosité des produits qu’ils ont mis en circulation. Ceci appelle deux remarques :

  • d’abord, et selon l’article 1245-3 alinéa 1 du Code civil, un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre ;
  • ensuite, aux termes de l’article 1245-1 du Code civil, tout dommage aux biens et aux personnes de toute nature est réparable à l’exclusion (i) des dommages causés aux produits défectueux eux-mêmes et (ii) des dommages matériels inférieurs à un montant déterminé par décret (le décret adopté le 11 février 2005 a fixé ce montant à 500 euros).

Dès lors, lorsque le dommage invoqué est causé au produit défectueux lui-même, la responsabilité du fait des produits défectueux n’a pas vocation à s’appliquer. La réparation d’un tel dommage relève nécessairement du droit commun, c’est-à-dire le plus souvent de la responsabilité contractuelle fondée sur le défaut de délivrance conforme en application de l’article 1614 du Code civil ou de la garantie des vices cachés des articles 1641 et suivants du Code civil.

L’exclusion des préjudices économiques consécutifs

Après avoir rappelé les considérations précédentes en matière de dommage réparable au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux, la Cour de cassation rejette le pourvoi et approuve l’arrêt de la Cour d’appel, celle-ci ayant "exactement déduit que la perte d’exploitation et l’absence de fourniture de machine de remplacement invoquée par la société viticole étaient consécutives à l’atteinte au matériel en cause et n’étaient pas indemnisables sur le fondement des articles 1386-1 et suivants, devenus 1245 et suivants du Code civil".

Cette solution est fidèle à la lettre de l’article 1245-1 du Code civil. En effet, celui-ci ne vise "que" les dommages résultant d’une atteinte à la personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même. Consécutifs à la défectuosité du produit lui-même, les préjudices économiques subis ne sont pas indemnisables sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Par conséquent, les demandes d’indemnisation des pertes d’exploitation et des préjudices subis du fait de l’absence de fourniture d’une machine de replacement ne pouvaient être accueillies par les juges.

Le possible cumul des actions en résolution du contrat pour défaut de délivrance conforme et en responsabilité du fait des produits défectueux

L’article 1245-17 du Code civil précise que les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux "ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d’un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d’un régime spécial de responsabilité".

Saisie d’une question préjudicielle posée par une juridiction espagnole, la Cour de justice des Communautés européennes avait eu l’occasion de préciser que la responsabilité du fait des produits défectueux excluait seulement l’application d’un régime de responsabilité reposant sur le même fondement que celui mis en place par la directive du 25 juillet 1985 (CJCE, 25 avril 2002, C-183/00). Dès lors, la responsabilité du fait des produits défectueux est cumulable avec la responsabilité contractuelle et délictuelle pour faute ou la garantie des vices cachés (Cass.1re civ., 17 mars 2016, n° 13-18.876), la faute devant toutefois être distincte du défaut de sécurité du produit (Cass.1re civ., 10 décembre 2004, n° 13-14.314).

En l’espèce, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel sur ce point au visa de l’ancien article 1386-2, devenu article 1245-1, et de l’ancien article 1184 du Code civil en énonçant que l’action en résolution d’une vente pour manquement à l’obligation de délivrance conforme ne tend pas à la même finalité que l’action en responsabilité du fait des produits défectueux. Par conséquent, une telle action en résolution du contrat n’est soumise à aucune des dispositions de la directive précitée et de la loi du 19 mai 1998 qui l’a transposée.

A la lecture de cet arrêt, il semble possible de considérer qu’un acheteur peut agir à la fois sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux et sur celui de la responsabilité contractuelle pour défaut de délivrance conforme.

Si cette interprétation était confirmée, la solution retenue présenterait un intérêt majeur en ce qu’elle constituerait la première prise de position de la Haute juridiction sur le cumul de l’action en responsabilité du fait des produits défectueux et de l’action en résolution pour défaut de délivrance conforme.  

Une autre interprétation de cette solution pourrait consister à dire qu’en l’espèce, la question du cumul ne se posait pas puisque le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n’était pas applicable à l’action formée par la société viticole (H. Conte, Dalloz Actualité du 12 janvier 2021). Dès lors, la Cour de cassation aurait cassé l’arrêt d’appel pour permettre à la juridiction de renvoi de se prononcer sur la résolution demandée. Si cette interprétation s’avérait bonne, la portée de la présente solution serait donc à relativiser.


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