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Présomption d’imputabilité au travail des accidents de mission

Vers une extension illimitée ?

17/10/2019

L’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 17 mai 2019 (n° 16/08787) a été largement diffusé et commenté dans les médias et sur les réseaux sociaux, en raison de l’originalité des faits de l’espèce.

D’apparence ordinaire, la solution retenue par la cour d’appel de Paris illustre un courant jurisprudentiel visant à retenir une acception particulièrement large et extensive de la présomption d’imputabilité au travail des accidents survenus en cours de mission.

Eclairages sur une notion semble-t-il dévoyée.

La présomption d’imputabilité au travail des accidents de mission, une notion singulière

On le sait, est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise1.

Il ressort d’une jurisprudence abondante que l'accident de travail suppose un fait accidentel – susceptible d’être constitué par divers événements – causant une lésion qui intervient par le fait ou à l'occasion du travail, ce qui est notamment le cas s'il survient au temps et au lieu de travail et d'une manière plus générale lorsque le salarié est sous la subordination de son employeur.

Néanmoins, la qualification juridique d'accident du travail appliquée aux faits accidentels dont sont victimes des salariés dans le cadre de missions professionnelles, impliquant une itinérance ponctuelle ou permanente, a toujours suscité des interrogations et des débats.

La jurisprudence a, dans une première approche, distingué les accidents survenus au cours d’un acte de la vie professionnelle de ceux survenus lors de l’accomplissement d’un acte de la vie courante, considérant que seuls les premiers devaient être considérés comme des accidents du travail.

Une approche ayant par exemple conduit la Cour de cassation à refuser la prise en charge au titre de la législation professionnelle d’un accident survenu à un salarié ayant plongé de la piscine de l’hôtel dans lequel il séjournait dans le cadre de sa mission, au motif que l’accident s’était produit au cours d’une activité de loisir étrangère à l’exécution de la mission dévolue à l’intéressé2.

Dans deux importants arrêts rendus le 19 juillet 20013, la Cour de cassation a, sans toutefois définir la notion d'accident de mission, opéré un revirement de jurisprudence et posé pour principe que « le salarié effectuant une mission a droit à la protection prévue par l'article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale pendant tout le temps de la mission qu'il accomplit pour son employeur, peu important que l'accident survienne à l'occasion d'un acte professionnel ou d'un acte de la vie courante, sauf la possibilité pour l'employeur ou la caisse de rapporter la preuve que le salarié avait interrompu sa mission pour un motif personnel ».

Cet attendu de principe est désormais rappelé de manière constante par les juridictions lorsqu’elles sont conduites à se prononcer sur la délicate question de la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident subi par un salarié au cours de sa mission.

Etant précisé qu’il revient aux juges du fond d’analyser, dans chacune des espèces soumises à leur appréciation, les circonstances de l’accident et de déterminer s’il est démontré que le salarié a interrompu ou non sa mission pour un motif personnel.

Un critère qui n’est pas sans soulever de sérieuses difficultés d’interprétation.

La présomption d’imputabilité au travail des accidents de mission, une notion constamment élargie

A l’analyse, l’on constate une tendance constante de la jurisprudence à vouloir étendre la présomption d’imputabilité à l’activité professionnelle de l’accident survenu en cours de mission, et ce quelle que soit l’activité à laquelle se serait livré le salarié.

Une tendance mise en évidence notamment dans l’arrêt rendu le 12 octobre 2017 par la Cour de cassation, au sujet d’un salarié victime d’un accident alors que, se trouvant en mission en Chine, il s’était blessé à la main après avoir glissé en dansant dans une discothèque.

Afin d’admettre la prise en charge de l’accident au titre de la législation professionnelle, la Cour de cassation a considéré que la seule présence du salarié dans une discothèque et l’action de danser dans celle-ci, qui n’est certes pas un acte professionnel en tant que tel, ne peut suffire à démontrer qu’il n’existait aucun lien entre celle-ci et l’activité professionnelle de l’intéressé.

Surtout, la Haute Cour a estimé qu’aucun des éléments versés aux débats ne permettait d'exclure que le salarié s’était rendu en discothèque pour les besoins de sa mission en Chine, que sa présence en ce lieu avait eu pour but, par exemple, d'accompagner des clients ou collaborateurs, ou de répondre à une invitation dans le cadre de sa mission4.

Il en ressort que l’employeur ne peut se borner à établir que l’accident a eu lieu en un temps et en un lieu sans rapport avec la mission mais doit démontrer, par le biais d’éléments concrets et probants, que l’intéressé n’a pas procédé à l’activité litigieuse pour les besoins de sa mission et, partant, a interrompu sa mission pour un motif exclusivement personnel.

Et c’est en faisant une application stricte de ce raisonnement que la Cour de cassation a récemment admis la qualification d’accident du travail à l'accident de ski dont avait été victime un salarié participant à un séminaire professionnel, alors que l’accident était survenu au cours d’une journée de détente durant laquelle l’intéressé était libre de se livrer aux activités sportives de son choix.

Là encore, la Haute Cour a estimé que la preuve n’était pas rapportée de ce que le salarié – dont la journée de détente était rémunérée comme du temps de travail et restait en conséquence soumis à l’autorité de son employeur – avait interrompu pour un motif personnel sa participation au séminaire, de sorte que l'accident devait être pris en charge au titre de la législation professionnelle5

La présomption d’imputabilité au travail des accidents de mission, une notion dévoyée ?

On comprend aisément la volonté d’assurer la prise en charge par la législation professionnelle de tout accident susceptible d’atteindre un salarié envoyé en mission par son employeur, y compris lorsque le sinistre se produit à l’occasion d’un acte de la vie courante. 

Cette conception semble toutefois atteindre ses limites dans certaines situations. 

Des limites justement mises en exergue dans l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 17 mai 2019, au sujet d’un salarié victime d’un malaise cardiaque ayant entraîné son décès alors qu’il se trouvait en déplacement professionnel.

L’originalité des faits de l’espèce tenait à la circonstance que le malaise cardiaque était survenu après que le salarié avait eu une relation sexuelle adultérine.

Ce qui n’a pas empêché la cour d’appel de Paris de rappeler « qu'un rapport sexuel relève des actes de la vie courante » et d’admettre la qualification d’accident du travail du malaise dans la mesure où « l'employeur ne rapport[ait] pas la preuve que le salarié a[vait] interrompu sa mission pour accomplir un acte totalement étranger à l'objet de celle–ci »6.

En cohérence avec la tendance jurisprudentielle précédemment exposée, cet arrêt appelle toutefois deux réserves.

La première tient au mode de preuve à la disposition de l’employeur en pareille situation.

L’on conçoit en effet difficilement l’élément probatoire que l’employeur pourrait produire pour établir que le salarié avait interrompu sa mission pour un motif personnel, alors qu’il semble à tout le moins évident que, dans une telle hypothèse, l’intéressé n’a pas procédé à l’activité litigieuse pour les besoins de sa mission.

L’autre réserve touche à la notion d’acte de la vie courante, dont les contours apparaissent désormais immodérément étendus.

L’on peut en effet légitimement se demander si un rapport sexuel adultérin constitue un acte de la vie courante.

Poussé à l’extrême, le courant jurisprudentiel actuel conduirait à retenir que tout acte accompli par le salarié pendant la durée de sa mission peut être assimilé à un acte de la vie courante, lorsqu’il ne consiste pas en un acte professionnel.

Réflexion faite, l’une des solutions envisageables pour remédier à cette dérive serait d’apprécier in concreto que l’activité litigieuse relève de la vie courante du salarié victime de l’accident.

Une méthode d’analyse que la jurisprudence adopte par exemple en matière de faute inexcusable, en imposant au salarié de démontrer la réalité de l’ensemble des préjudices (esthétique, d’agrément, etc) dont il entend obtenir l’indemnisation.

A défaut de se prononcer sur ce second point, gageons que la Cour de cassation tiendra compte à l’avenir de la première réserve et considèrera que la présomption d’imputabilité ne peut être étendue aux activités qui, par nature, ne peuvent être exercées pour les besoins de la mission du salarié.


Présomption d’imputabilité au travail de fait accidentel

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Lire également : Disparition de la présomption d’imputabilité au travail de fait accidentel


1 Code de la sécurité sociale, art. L.411-1
2 Cass. soc., 12 octobre 1989, n° 88-11.557
3 Cass. soc., 19 juillet 2001, n° 99-20.603 : JurisData n° 2001-010718. – Cass. soc., 19 juillet 2001, n° 99-21.536 : JurisData n° 2001-010719
4 Cass. 2ème civ., 12 octobre 2017, n° 16-22.481
5 Cass. 2e civ., 21 juin 2018, n° 17-15.984
6 CA Paris, 17 mai 2019, n° 16/08787

Article paru dans Les Echos Exécutives le 17 octobre 2019


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