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Quel déséquilibre significatif pour les relations entre professionnels ?

Cass. com., 26 janvier 2022, n° 20-16.782

10/03/2022

Pour la première fois, la Cour de cassation vient de se prononcer sur l’épineuse question de l’articulation des règles de droit commun sur le déséquilibre significatif (art. 1171 C. civ.), issues de la réforme du droit des contrats de 2016, avec les dispositions spéciales préexistantes des articles L. 442-1, I 2° C. com. et L. 212-1 C. cons. De la même manière, elle précise l’appréciation et la sanction du déséquilibre significatif du Code civil. Cet important arrêt est intervenu à l’occasion d’un litige relatif à la mise en œuvre de la clause résolutoire d’un contrat de location financière conclu pour les besoins d’une activité professionnelle (Cass. com., 26 janvier 2022, n° 20-16.782).

L’articulation droit commun/droits spéciaux : une application exclusive

A la suite d’échéances de loyer impayées, le loueur se prévaut de la clause de résolution de plein droit figurant dans ses CGV, ce que le locataire conteste en invoquant un déséquilibre significatif créé par cette clause.

La Cour d’appel retient le déséquilibre significatif sur le fondement de l’article 1171 du Code civil qui répute non-écrite « dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». Elle juge, en conséquence, que le contrat de location n'est pas résilié mais se poursuit et condamne le locataire au paiement des échéances impayées, majorées des intérêts au taux légal.

Le loueur se pourvoit alors en cassation estimant que l’article 1171 n’a vocation à s’appliquer que dans les matières où la prohibition des clauses génératrices d'un déséquilibre significatif n'est pas régie par des textes spéciaux (en l’occurrence, l'article L. 442-1, I 2° C. com., ancien art. L. 442-6, I 2°, relatif aux contrats conclus entre commerçants). 

La Cour de cassation valide l’application de l’article 1171 en énonçant que ce texte « s'applique aux contrats, même conclus entre producteurs, commerçants, industriels ou personnes immatriculées au répertoire des métiers, lorsqu'ils ne relèvent pas de l'article L. 442-6, I, 2° C. com. » (solution transposable sous l’empire du nouvel article L. 442-1, I 2° qui vise toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services).

Elle fonde cette interprétation, conforme au principe selon lequel la règle spéciale déroge à la règle générale (repris à l’article 1105 al. 3 C. civ.), sur les travaux parlementaires de la loi de ratification de l’ordonnance du 10 février 2016 dont il ressort que : « l'intention du législateur était que l'article 1171 du code civil, qui régit le droit commun des contrats, sanctionne les clauses abusives dans les contrats ne relevant pas des dispositions spéciales des articles L. 442-6 du code de commerce et L. 212-1 du code de la consommation ».

Il en résulte que l’article 1171 s’applique aux contrats de location financière conclus par les établissements de crédit et sociétés de financement, dont on rappellera qu’ils ne sont pas soumis aux textes du Code de commerce relatifs aux pratiques restrictives de concurrence, pour leurs opérations de banque et leurs opérations connexes définies à l'article L. 311-2 du Code monétaire et financier (Cass. com., 15 janv. 2020, n° 18-10.512).

Appréciation et sanction du déséquilibre significatif de l’article 1171 C. civ.

La Cour de cassation censure ici la Cour d’appel.

Cette dernière avait en effet déclaré non écrite l’intégralité de la clause résolutoire au motif qu’elle réservait au seul loueur la faculté de se prévaloir d'une résiliation de plein droit. Or, cette clause comportait deux séries de stipulations distinctes sanctionnant pour l’une l'inexécution d’obligations contractuelles du locataire (dont le non-paiement des loyers), pour l’autre la survenance d’évènements extrinsèques à l'exécution du contrat (événements liés à la vie sociale du locataire ou à l'exécution d'autres contrats).

La Cour de cassation estime, d’abord, que le défaut de réciprocité de la clause résolutoire de plein droit pour inexécution du contrat se justifiait par la nature des obligations auxquelles étaient respectivement tenues les parties.

L’affirmation de la Haute juridiction s’éclaire si on considère la nature du contrat de location financière. En effet, l’absence de réciprocité trouve sa justification au motif que le loueur exécute instantanément l'intégralité de ses obligations (paiement et mise à disposition du bien loué), alors que le locataire reste tenu d’obligations jusqu'au terme du contrat ; seule l’inexécution de ces dernières peut donc être sanctionnée par la résolution de plein droit. En d’autres termes, la justification de la clause résolutoire au regard de l’économie du contrat de location financière revient à dénier tout caractère significatif au déséquilibre.

La Cour de cassation juge, ensuite, que les stipulations de la clause résolutoire relatives aux manquements contractuels du locataire ne pouvaient donc pas être réputées non écrites pour des motifs pris du déséquilibre créé par les stipulations sanctionnant la survenance d’évènements extrinsèques à l'exécution même du contrat de location.

Ce faisant, elle affirme ainsi le cantonnement du réputé non écrit à l’échelle de la clause : seule la partie génératrice du déséquilibre doit être réputée non écrite sans que ce caractère puisse être induit par la coexistence dans la clause d’une stipulation déséquilibrée qui ne lui est pas indivisiblement liée. Ainsi, lorsque la clause est divisible, seule la partie viciée doit en être expurgée.

Reste à savoir si la position en faveur d’une application subsidiaire et exclusive de l’article 1171 C. civ. aux contrats conclus entre professionnels n’entrant pas dans le champ des dispositions spéciales du Code de commerce sera partagée par les chambre civiles de la Cour de cassation. En négligeant certaines subtilités inhérentes à la mise en œuvre du principe selon lequel la règle spéciale déroge à la règle générale, elle a avant tout le mérite de mettre fin aux hésitations sur une possible application cumulative ou alternative des deux corps de règles.

Article paru dans Option Finance le 28/02/2022


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