Home / Actualités / Respect du droit d’auteur par les plateformes de...

Respect du droit d’auteur par les plateformes de partage de contenus

transposition du droit européen

03/11/2021

Ord. 2021-580 du 12-5-2021 art. 1 s. : JO 13 texte no 36

Une ordonnance du 12 mai 2021 transpose les dispositions de droit européen relatives à la responsabilité des plateformes de partage de contenus en ligne, telles que YouTube, à l’égard des titulaires de droit d’auteur. A. Ghanty et F. Sanson présentent les mesures saillantes de ce texte.

1.

L’ordonnance 2021-580 du 12 mai 2021 poursuit la transposition de la directive 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique (la Directive), déjà entamée par la loi 2019-775 du 24 juillet 2019. Alors que celle-ci a créé un droit voisin nouveau au profit des agences et éditeurs de presse (Dir. art. 15), l’ordonnance de mai 2021 s’intéresse plus spécifiquement à la rémunération des auteurs et artistes-interprètes ou exécutants dans le cadre des contrats d’exploitation (Dir. art. 18 à 23) et aux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne (Dir. art. 2, § 6 et 17).

2.

Elle prévoit notamment un ensemble d’obligations spécifiques pour certaines plateformes de partage de contenus en ligne, au travers de deux nouveaux chapitres intitulés « Dispositions applicables à certains fournisseurs de services de partage de contenus en ligne » et introduits dans le Code de la propriété intellectuelle au sein des livres 1 relatif au droit d’auteur et 2 relatif aux droits voisins.

3.

Ces nouvelles dispositions, applicables depuis le 7 juin 2021, contribuent à la construction d’un régime applicable aux plateformes en ligne, et visent à permettre un partage plus équitable de la valeur entre titulaires de droits et diffuseurs de contenus.

Champ d’application

4.

Le régime nouveau s’applique au fournisseur de services de partage de contenus en ligne, ce dernier étant défini par le nouveau texte comme « la personne qui fournit un service de communication au public en ligne dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public un accès à une quantité importante d’œuvres ou d’autres objets protégés téléversés par ses utilisateurs, que le fournisseur de services organise et promeut en vue d’en tirer un profit, direct ou indirect » (CPI art. L 137-1 nouveau, qui reprend en substance la rédaction de Dir. art. 2.6).

Il s’agit, par exemple, de plateformes telles que YouTube, les réseaux sociaux, etc.

5.

En faisant référence à un « profit direct ou indirect », l’ordonnance explicite la notion de « fins lucratives » qui était visée par le législateur européen. Elle opte ainsi pour une interprétation extensive, au demeurant conforme à l’esprit de la Directive (voir cons. 62).

Par ailleurs, le critère de « quantité importante » sera plus précisément défini par décret et devra notamment tenir compte du nombre de fichiers de contenus protégés téléversés par les utilisateurs du service, du type d’œuvres téléversées et de l’audience du service.

6.

Sont expressément exclus de ces services les encyclopédies en ligne à but non lucratif, les répertoires éducatifs et scientifiques à but non lucratif, les plateformes de développement et de partage de logiciels libres, les fournisseurs de services de communications électroniques au sens de la directive UE 2018/1972 établissant le Code des communications électroniques, les fournisseurs de places de marché en ligne, les services en nuage entre entreprises et les services en nuage qui permettent aux utilisateurs de téléverser des contenus pour leur usage strictement personnel. Notons que le législateur français a opté pour une liste limitative d’exceptions, reprenant les exemples énumérés à titre d’illustrations sous l’article 2, § 6 de la Directive.

7.

Les articles L 137-2 à L 137-4 nouveaux (pour les contenus protégés par le droit d’auteur) et L 219-2 à L 219-4 (pour les contenus protégés par les droits voisins) définissent le régime applicable aux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne.

Régime de responsabilité

8.

Le nouveau texte met en place un régime de responsabilité spécifique aux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne (CPI art. L 137-2 et L 219-2 nouveaux, transposant Dir. art. 17 points 1 à 6). Ce régime déroge au régime de responsabilité allégée de l’hébergeur de contenus prévu aux 2 et 3 de l’article 6-I de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

9.

En donnant accès à des œuvres ou objets protégés téléversés par ses utilisateurs, le fournisseur d’un service de partage de contenus en ligne réalise un acte de représentation pour les œuvres protégées par le droit d’auteur (CPI art. L 137-2, I), ou un acte d’exploitation qui relève du droit de communication au public ou du droit de télédiffusion pour les objets soumis à droits voisins (CPI art. L 219-2, I).

10.

Le fournisseur doit par suite obtenir l’autorisation préalable des titulaires de droits. Cette autorisation peut également bénéficier aux utilisateurs du service pour les actes de représentation ou d’exploitation qu’ils réalisent, à condition toutefois que ces derniers n’agissent pas à des fins commerciales ou que les revenus générés par les contenus qu’ils ont téléversés ne soient pas significatifs (CPI art. L 137-2, IV et L 219-2, IV).

11.

A défaut, le fournisseur engage sa responsabilité, sauf à faire la preuve de diligences suffisantes de nature à démontrer qu’il a fourni ses meilleurs efforts en vue d’obtenir une telle autorisation et de limiter la contrefaçon.

12.

Cette preuve diffère en fonction de l’ancienneté du service concerné et de son niveau de chiffre d’affaires annuel.

En principe, le fournisseur de services de partage de contenus en ligne doit démontrer (CPI art. L 137-2, III-1o et L 219-2, III-1o) :

  • 1° qu’il a fourni ses meilleurs efforts pour obtenir une autorisation auprès des titulaires de droits qui souhaitent accorder cette autorisation ;
  • 2° qu’il a fourni ses meilleurs efforts, conformément aux exigences élevées du secteur en matière de diligence professionnelle, pour garantir l’indisponibilité d’œuvres spécifiques pour lesquelles les titulaires de droits lui ont fourni les informations pertinentes et nécessaires ;
  • 3° qu’il a en tout état de cause agi promptement, dès réception d’une notification suffisamment motivée de la part des titulaires de droits, pour bloquer l’accès aux œuvres ou objets faisant l’objet de la notification ou pour les retirer de son service ; et
  • 4° qu’il a fourni ses meilleurs efforts pour empêcher que ces œuvres ainsi bloquées soient téléversées dans le futur en application du 2o.

13.

Les éléments de preuve apportés seront évalués au regard de différents éléments, dont :

  • le type, l’audience et la taille du service, ainsi que le type d’œuvres ou objets téléversés ;
  • la disponibilité des moyens adaptés et efficaces ainsi que leur coût pour le fournisseur de services.

14.

Par dérogation, ce régime de responsabilité est temporairement allégé pour les services ayant un chiffre d’affaires annuel inférieur à 10 millions d’euros (calculé conformément aux dispositions applicables aux PME résultant de la recommandation 2003/361/CE), et ce pour une durée de 3 ans à compter de leur mise à disposition du public au sein de l’Union européenne (CPI art. L 137-2, III-3o et L 219-2, III-3o).

Ces services pourront ne faire la preuve que des points 1o et 3o, sauf à ce que le nombre moyen mensuel de leurs visiteurs uniques dans l’Union ait excédé les 5 millions au cours de l’année civile précédente, auquel cas ils devront démontrer les points 1o, 3o et 4o.

Obligations de transparence

15.

Les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne doivent fournir différentes informations aux titulaires de droits, à savoir (CPI art. L 137-3 et L 219-3 transposant Dir. art. 17.8) :

  • sur demande, des informations pertinentes et précises sur le type et le fonctionnement des mesures prises pour l’application du régime de responsabilité, étant précisé que cette obligation s’exerce sans préjudice d’obligations plus détaillées dans le cadre du contrat conclu entre le fournisseur et le titulaire de droits ;
  • en tout état de cause, dans le cadre du contrat conclu entre le fournisseur et le titulaire de droits, une information sur l’utilisation des œuvres et objets protégés. Cette information est adressée en complément de l’information qui doit être communiquée par les utilisateurs de droits aux organismes de gestion collective conformément à l’article L 324-8 du Code de la propriété intellectuelle.

Droits des utilisateurs

16.

Les nouvelles dispositions tendent à renforcer la protection des utilisateurs dans un souci d’équilibre avec celle conférée aux titulaires de droits (CPI art. L 137-4 et L 219-4 nouveaux).

17.

En particulier, les dispositions protectrices des titulaires de droits ne sauraient avoir pour effet de priver les utilisateurs du bénéfice effectif des exceptions au droit d’auteur ou aux droits voisins. Sont particulièrement visées les exceptions de citation, de critique, de revue, de caricature, de parodie et de pastiche (Dir. art. 17.7).

18.

A cet égard, le fournisseur doit prévoir dans ses conditions générales d’utilisation une information adéquate sur les exceptions et limitations au droit d’auteur ou aux droits voisins prévues par le Code de la propriété intellectuelle et permettant une utilisation licite des œuvres et objets protégés.

19.

Par ailleurs, le fournisseur doit mettre en place un dispositif de recours et de traitement des plaintes relatives aux situations de blocage ou de retrait.

Conformément à l’article 17, 9-al. 2 de la Directive, il est rappelé que le dispositif doit permettre un traitement de la plainte rapide et efficace, sans retard injustifié, et que les décisions de blocage ou de retrait doivent faire l’objet d’un contrôle par une personne physique.

20.

Il est en outre précisé que toute demande de maintien du blocage ou du retrait octroyé à la suite d’une plainte doit être dûment justifiée. A cet égard, la lettre des articles L 137-4 et L 219-4 diffère sensiblement de celle de la Directive, laquelle impose une obligation de justification pour l’ensemble des demandes de blocage et de retrait des contenus, et non simplement pour les demandes de maintien du blocage ou du retrait.

21.

Enfin, une voie de recours spécifique est aménagée au profit des utilisateurs et titulaires de droits : outre le juge de droit commun, ces derniers peuvent désormais également saisir la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi – qui devrait très prochainement disparaître au profit de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique – Arcom – résultant de la fusion entre l’Hadopi et le Conseil supérieur de l’audiovisuel) en cas de litige sur les suites données par le fournisseur à la plainte de l’utilisateur.

22.

A défaut de conciliation dans un délai d’un mois à compter de sa saisine, la Haute Autorité dispose d’un délai de 2 mois à compter de celle-ci (moins en cas d’urgence, sur décision de son président) pour rendre sa décision, pouvant prescrire toute mesure propre à assurer le blocage ou le retrait d’une œuvre ou d’un objet protégé.

23.

Ces décisions de la Haute Autorité peuvent faire l’objet de recours devant la cour d’appel de Paris mais, par dérogation au dernier alinéa de l’article L 331-35 du CPI, ces recours n’ont pas d’effet suspensif.

24.

Notons que, outre ce pouvoir de statuer sur les litiges entre utilisateurs et titulaires de droits, la Haute Autorité dispose de pouvoirs de régulation.

Elle peut en effet solliciter toutes informations utiles et formuler des recommandations sur le niveau d’efficacité des mesures de protection qui sont prises par les fournisseurs au regard de leur aptitude à assurer la protection des œuvres et objets protégés.

Elle peut par ailleurs formuler des recommandations à l’attention des titulaires de droits et des fournisseurs de services, notamment s’agissant des notifications ou des informations nécessaires et pertinentes fournies par les titulaires de droits.

Cet article est paru au BRDA 17/21 du 1er septembre 2021.


Technologie, Media et Communication dans notre cabinet d’avocats :

Si les avancées technologiques constituent de formidables opportunités, elles sont également un vecteur de risques pour les entreprises. Dans cet environnement évolutif, notre cabinet d’avocats met à votre disposition sa fine compréhension des nouvelles technologies, son expertise reconnue en matière de propriété intellectuelle ainsi que sa parfaite maîtrise du droit des contrats.

cabinet avocats CMS en France

A propos de notre cabinet d'avocats

expertise tmc 330x220

Expertise : Technologie, Media et Communication

nous contacter 330x220

Nous contacter

Vos contacts

Portrait deFlorentin Sanson
Florentin Sanson
Associé
Paris
Alexandre Ghanty