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Risques psychosociaux et mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi

Le juge judiciaire reste compétent

09/12/2019

Cass. soc., 14 novembre 2019, n° 18-13.887

La Cour de cassation vient de rendre une décision importante dans la répartition des compétences entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire en matière de plan de sauvegarde de l'emploi (PSE).

Une société avait engagé une opération de réorganisation informatique, intitulée Convergence, destinée notamment à développer de nouveaux outils informatiques entre les différentes entités fusionnées au sein de la société. Ce projet était accompagné d'un PSE compte tenu de la suppression de 71 postes de travail. Ce projet de PSE a fait l'objet d'un accord collectif majoritaire validé par une décision de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) en date du 30 juin 2015.

Au fur et à mesure du déploiement du projet, des risques psychosociaux (RPS) sont apparus, comme en attestent plusieurs arrêts de travail pour burn out, l'exercice du droit de retrait par 18 salariés refusant d'utiliser les nouveaux logiciels et un courrier de l'inspecteur du travail constatant l'existence avérée de RPS liés à la surcharge du travail générée par les nouveaux outils.

Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) a assigné en référé la société afin qu'il lui soit ordonné, sous astreinte, de suspendre toute mise en œuvre du projet Convergence. La société a soulevé une exception d'incompétence en estimant que l'opération ayant fait l'objet d'une décision de validation de la DIRECCTE, le juge judiciaire n'était pas compétent.

La Cour de cassation a rejeté cette argumentation en estimant que le juge judiciaire ayant été saisi de "demandes tendant au contrôle des risques psychosociaux consécutifs à la mise en œuvre du projet de restructuration", était bien compétent.

Une solution a priori logique

Cette solution est a priori logique car elle s'inscrit dans une distinction fondamentale entre deux phases de l'opération de restructuration :

  • avant la décision de validation ou d'homologation, c'est la DIRECCTE et le juge administratif qui sont compétents dans le cadre du bloc de compétences défini par l'article L.1235-7-1 du Code du travail ;
  • après la décision d'approbation ou d'homologation, le juge judiciaire retrouve sa compétence s'agissant de la mise en oeuvre du plan.

Avant la décision de validation ou d'homologation, la DIRECCTE est compétente en ce qui concerne les incidences de l'opération sur les conditions de travail et les RPS.

Cette compétence résulte :

  • de l'article L.1233–30 I du Code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 qui dispose que le comité social et économique (CSE) est consulté sur "2° Le projet de licenciement collectif : le nombre de suppressions d’emplois (…) et, le cas échéant, les conséquences des licenciements projetés en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail" ;
  • de la jurisprudence du Conseil d'État qui veille, lorsque l'opération modifie de manière importante les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail des salariés de l'entreprise, à ce que la consultation du ou des CHSCT concernés soit régulière. Il a ainsi jugé qu'un projet d'accord collectif "était, eu égard à ses conséquences sur les conditions de travail des salariés de l'établissement de Saint-Cyr-sur-Loire, au nombre de décisions pour lesquelles la consultation des trois comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de cet établissement était requise en application des dispositions de l’article L.4612–8 du Code du travail" (CE, 21 octobre 2015, n° 386123).

Après la décision de validation ou d'homologation, les tribunaux judiciaires retrouvent leur compétence naturelle en ce qui concerne le respect par l'employeur de son obligation de sécurité. Mais l'exercice de cette compétence ne peut conduire à remettre en cause, d'une façon ou d'une autre, la décision de validation ou d'homologation de la DIRECCTE.

Une décision qui n'est pas sans danger

En l'espèce, deux ans s’étaient écoulés entre la décision de la DIRECCTE sur le PSE (2015) et la saisine du juge judiciaire pour risques psychosociaux (2017). Les deux phases d'élaboration et de mise en œuvre du PSE étaient donc parfaitement distinctes.

Mais qu'en aurait-il été si la saisine du juge judiciaire pour risques psychosociaux était intervenue un mois après la décision de la DIRECCTE en 2015 ? Dans cette hypothèse, la saisine du juge judiciaire et la possibilité de suspendre la mise en œuvre du projet de restructuration aboutirait à vider de sa portée la décision de la DIRECCTE et la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi.

Or, cette loi a été probablement le plus grand succès dans nos relations sociales depuis 20 ans sur un sujet a priori aussi conflictuel que les PSE puisqu'on constate aujourd'hui que :

  • dans les 2/3 des cas une négociation est engagée ;
  • dans 50 % des cas elle aboutit à un accord ;
  • il n'y a plus que 5 % de contentieux et 1 à 2 % d'annulation.

Il serait dommage de perdre cet acquis et de revenir aux "guérillas" du passé devant le juge des référés ayant pour objet de différer, sans limitation de durée, les procédures de restructuration, sans aucun bénéfice pour les salariés.

Que faire pour éviter cette situation ?

Pendant la phase d'élaboration du PSE, il serait souhaitable que les entreprises développent les dispositions prises pour limiter l'impact du PSE sur les conditions de travail et sur les risques psychosociaux.

L'intérêt serait double :

  • d'une part, si les dispositions prises sont pertinentes, elles pourraient permettre d'éviter les risques psychosociaux : on peut noter que, dans l'affaire commentée, le CHSCT avait été consulté et avait ordonné une expertise sur les impacts de l'opération sur la santé, la sécurité et les conditions de travail, qui s'était révélée insuffisante ;
  • d'autre part, si des dispositions précises sont arrêtées dans ce domaine, la DIRECCTE pourrait en prendre acte dans sa décision, ce qui leur donnerait l'autorité de la chose décidée par rapport aux tribunaux judiciaires. Il serait plus difficile de remettre en cause, a posteriori, les appréciations portées et les mesures prises pour prévenir les risques psychosociaux.
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Lire également : Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) : les indemnités versées sont-elles exonérées ?

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