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Transfert des déficits sur agrément

Une réduction massive du chiffre d’affaires et des effectifs de l’activité à l’origine des déficits n’empêche pas nécessairement leur transfert

23/05/2023

S’inscrivant dans l’approche économique récemment confirmée par le Conseil d’Etat, la cour administrative d’appel de Lyon (CAA Lyon, 9 mars 2023, n° 21LY01810, Sté Textiss) considère que de très fortes variations en termes de chiffre d’affaires et d’emploi ne traduisent pas un changement significatif s’opposant au transfert des déficits si de telles variations sont inhérentes au caractère cyclique de l’activité.

1.  En cas de fusion, les déficits de l’absorbée sont transférables à l’absorbante à condition notamment que l’activité à l’origine des déficits n’ait subi aucun changement significatif

On sait qu’en cas de fusion ou d’opération assimilée1 placée sous le régime fiscal de faveur, le transfert à l’absorbante des déficits fiscaux de l’absorbée requiert en principe2 l’obtention d’un agrément3 devant être sollicité préalablement à la réalisation de l’opération.

La délivrance de cet agrément est notamment subordonnée à la condition que l’activité à l’origine des déficits n’ait pas subi de changement significatif notamment en termes de clientèle, d'emploi, de moyens d'exploitation effectivement mis en œuvre, de nature et de volume d'activité.

Cette condition relative à la stabilité de l’activité s’apprécie sur les trois années qui suivent la fusion (condition de stabilité future4) mais aussi et surtout sur la période antérieure à cette même fusion et au cours de laquelle ces déficits ont été constatés (condition de stabilité passée5).

S’agissant de cette dernière condition, le juge de l’impôt a eu l’occasion d’apporter deux précisions importantes.

La première est que la période d’appréciation de l’absence de changement significatif ne se limite pas aux exercices au cours desquels les déficits ont été dégagés mais s’étend de l’exercice de leur naissance jusqu’à celui au cours duquel est effectuée la demande tendant à leur transfert (CE, 9-6-2020, n° 436187, Sté ID Espace).

La seconde est que le changement significatif s’apprécie aux bornes de l’activité à l’origine des déficits sans prendre en compte la variation d’éléments qui seraient relatifs à d’éventuelles autres activités exercées par la société absorbée (CE, 25-10-2017, n° 401403, SARL Serena Caoutchouc).

2.  Au cas particulier, la société absorbée a vu son chiffre d’affaires et ses effectifs nettement diminuer au cours de la période précédant la fusion

La société absorbée exerçait une activité de conception et d’achat-revente de produits textiles.

En 2015, elle a été absorbée par sa mère, cette dernière ayant préalablement demandé le transfert sur agrément des déficits antérieurement dégagés.

Dans le cadre de son instruction, l’administration fiscale a toutefois relevé qu’au titre de la période au cours de laquelle les déficits ont été dégagés, la société absorbée a vu son chiffre d’affaires diminuer de manière continue et importante.

En effet, ce dernier, qui était de 1,3 m€ en 2010, a été ramené à 1 m€ en 2011, puis à 861.000 € en 2012, avant d’être réduit à 620.000 € en 2013 puis à 180.000 € en 2014 soit une baisse d’environ 82 %.

Par ailleurs, l’administration a noté que le nombre de salariés de la société avait également nettement diminué, passant d’un peu plus de quatre équivalents temps plein en 2011 à un seul salarié en 2014.

Dans ces conditions, l’administration a estimé qu’un changement significatif d’activité était caractérisé et a refusé la délivrance de l’agrément requis pour le transfert des déficits.

3.  Mais ces variations résultant du caractère cyclique de l’activité concernée, aucun changement significatif ne peut être caractérisé à ce titre

La société absorbante, qui ne contestait pas les variations de chiffre d’affaires et d’effectif salarié sur la période, faisait néanmoins valoir que le contexte économique devait être pris en compte dans l’appréciation de ces variations.

Or, selon elle, ces variations étaient directement liées au caractère par nature cyclique de l’activité de conception et de commercialisation de vêtements exercée par la société absorbée lequel se déroule sur plusieurs années et se caractérise par une fluctuation du volume de l’activité liée aux différentes étapes du processus de création, de développement et de commercialisation d’une collection textile.

Au cas particulier, la société absorbée, créée en 2009, aurait rencontré des difficultés sur une collection sous licence qu’elle venait de développer alors qu’elle disposait par ailleurs de peu de stocks sur ses anciennes collections susceptibles d’être revendues.

Ayant acquis une nouvelle licence de marque en 2013 et lancé une nouvelle collection à compter de 2014, la faiblesse de son volume d’affaires sur la période 2013-2014 serait due à la période d’activité classiquement réduite entre deux collections textiles et donc entre deux cycles de commercialisation, marquée par des besoins moins importants en personnel.

La cour va suivre cette argumentation en relevant que l’administration ne conteste ni le caractère cyclique de l’activité à l’origine des déficits ni l’absence d’artificialité de la diminution de son chiffre d’affaires, que cette activité est restée la même dans sa nature et que l’acquisition en 2013 d’une seule nouvelle licence de marque par la société absorbée ne peut, contrairement à ce que soutenait l’administration, constituer une modification de ses moyens d’exploitation.

La cour va alors considérer que, dans ces conditions, aucun changement significatif d’activité ne peut être caractérisé.

4.  Cette solution illustre le réalisme économique qui prévaut dans l’appréciation du maintien de l’activité à l’origine des déficits

On se souvient que dans sa décision Sté ID Espace précitée, le Conseil d’Etat a admis que, dans le cadre d’une opération de dissolution par voie de confusion de patrimoine (dite « TUP »), le transfert progressif de l’activité de la société confondue à la société confondante préalablement à l’opération de confusion ne caractérise pas un changement significatif d’activité justifiant un refus d’agrément.

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat s’est référé aux travaux parlementaires de la loi ayant instauré la condition de stabilité passéedont ils ressortaient que les déficits doivent pouvoir suivre, lors d’une opération de restructuration, l’activité qui en est à l’origine dès lors qu’elle est poursuivie dans des conditions analogues.

En admettant que la forte baisse du chiffre d’affaires et la suppression de l’effectif salarié résultant du « transfert par anticipation » de l’activité de la société confondue n’empêchaient pas le transfert ultérieur de ses déficits, alors même que ces deux critères sont expressément visés par la loi pour caractériser un changement significatif d’activité, le juge de l’impôt a donc écarté une lecture littérale de la condition de stabilité passée au profit d’une interprétation fondée sur la logique économique du dispositif de transfert des déficits.

On se souvient également que dans sa décision Alliance Négoce (CE 2-4-2021, n° 429319, Sté Alliance Négoce) rendue quelques mois plus tard, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de décliner cette même approche économique dans une configuration où, antérieurement à son absorption, une société avait, en raison de ses difficultés, été contrainte de se réorganiser en profondeur en supprimant la totalité de ses emplois salariés et la majorité de ses moyens d’exploitations qu’elle avait remplacés par un recours à de l’externalisation.

Le juge de l’impôt avait alors considéré qu’une forte variation dans l’emploi ou les moyens d’exploitation résultant d’une restructuration de l’activité n’est pas à elle seule suffisante pour caractériser un changement significatif s’il apparait que cette restructuration est destinée à préserver le chiffre d’affaires de l’activité (ce qui était le cas en l’espèce).

Il ressort ainsi de ces deux décisions qu’un changement significatif d’activité ne peut automatiquement se déduire de la simple variation des critères utilisés pour sa caractérisation (chiffre d’affaires, emploi, moyens de production, …) mais exige d’apprécier le contexte économique dans lequel ces mêmes critères ont varié.

En appréciant le cycle économique d’une activité pour déterminer si elle a subi un changement significatif, la cour administrative d’appel de Lyon s’inscrit donc pleinement dans cette approche qu’elle applique dans un cas nouveau à notre connaissance7.

On relèvera toutefois la référence de la cour au caractère non artificiel de la baisse du chiffre d’affaires renvoyant semble-t-il au caractère anti-abus de la condition de stabilité passée, lequel ne ressort pas formellement des décisions précitées du Conseil d’Etat mais de positions prises par certains de ses rapporteurs publics. La portée de cet ajout dans la décision de la cour ne parait pas totalement claire et méritera d’être précisée à l’avenir.

Enfin, rappelons à toutes fins utiles que la transposition de l’approche économique à la condition de stabilité future, si elle est espérée, doit encore être validée par le Conseil d’Etat (la même cour de Lyon ayant d’ailleurs retenu une appréciation stricte de cette condition dans sa décision du 4 février 2021, n° 19LY01879, Sté 3M AGRI, rendue toutefois antérieurement à celle d’Alliance Négoce).

Article paru dans Option Finance le 12/05/2023


(1) Par ex., confusion de patrimoine (« TUP »), apport partiel d’actifs, scission.
(2) Lorsque le montant des déficits est inférieur à 200.000 €, une procédure de transfert automatique est applicable.
(3) CGI, art. 209, II.
(4) CGI, art. 209, II-c.
(5) CGI, art. 209, II-b.
(6) Article 15 de la loi n° 2012-958 du 16-8-2012.
(7) Même si le cas de la baisse massive du chiffre d’affaires résultant de brusques fluctuations de marché était envisagée par le rapporteur public dans ses conclusions sous l’affaire Alliance Négoce précitée.


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Nicolas Bourrier
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