Face à la crise sanitaire et la nécessité pour chaque entreprise de préserver sa trésorerie, le versement ou non de dividendes peut relever du choix cornélien. Sous la pression des pouvoirs publics et de l’opinion, il faut arbitrer entre recherche de limitation de l’impact de la crise et préservation de la relation investisseuse. A ce stade, seuls des éléments dits de « soft law » existent alors qu’une analyse plus fine met à jour un risque de responsabilité des dirigeants.
Une tendance à limiter les distributions de dividendes
Le partage des bénéfices constitue une des conditions essentielles d’existence d’une société commerciale (art. 1832 du Code civil) et se traduit par la distribution de dividendes. Si le droit de percevoir des dividendes est un des droits fondamentaux de l’actionnaire (art. 1844-1 du Code civil), la crise actuelle conduit à la prise de mesures exceptionnelles concernant cette distribution.
Le 2 avril 2020, le Gouvernement a publié un questions-réponses1, dans lequel il demande aux grandes entreprises2 ayant fait appel à l’aide de l’Etat (report d’échéance fiscale/sociale ou de prêt garanti), de renoncer au versement de dividendes.
Sous cette forte pression, certaines sociétés ont renoncé à distribuer un dividende (notamment
Engie, Accor, M6 et Airbus). D’autres ont, quant à elles, décidé de renoncer au bénéfice de l’aide d’Etat en diminuant le montant des dividendes (Hermès) ou en maintenant en totalité leur
paiement (Total). Si cette disposition relève pour l’heure de la seule intention, d’autres mesures plus coercitives pourraient être prises rapidement. Ainsi, un projet de loi a été déposé3 afin d’inscrire dans la loi cette interdiction.
Les ETI et PME sont quant à elles seulement incitées, par le Gouvernement, à une grande prudence, mais pas (encore) soumises à des contraintes spécifiques. En ce qui concerne le secteur bancaire, la Banque Centrale européenne a demandé à tous les établissements de ne pas verser de dividendes pour l’année 2020. A ce titre, BNP Paribas a déjà décidé de reporter le paiement des 3,9 milliards d’euros de dividendes, suivant la voie ouverte par Natixis.
Un risque de responsabilité
Il convient dès lors de s’interroger sur la responsabilité encourue par les dirigeants de droit et de fait, ainsi que par les associés, notamment si, en fonction de leur implication dans la gestion de l’entreprise, ils peuvent se voir qualifiés de dirigeants de fait, sur la base d’une distribution « manifestement excessive » de dividendes. En principe, le dirigeant d’une société n’est pas responsable des décisions, mêmes fautives, prises par l’assemblée générale (AG)4 et seuls les associés encourent une responsabilité personnelle (sur le fondement de l’article 1240 du Code civil). Toutefois, la jurisprudence a pu5 condamner un dirigeant sur le fondement de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif6 à la suite d’une distribution de dividendes dans un contexte de baisse d’activité ayant, finalement, conduit à la liquidation judiciaire des sociétés concernées. Dans ce contexte, la Cour a approuvé les juges du fond d’avoir caractérisé une faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif à l’égard du dirigeant ayant « voulu » procéder à des distributions importantes de dividendes. Proposer aux associés, réunis en AG ordinaire, de voter une distribution de dividendes était fautif car la distribution était « manifestement excessive au regard de la situation financière de la société ».
En dépit de l’atténuation depuis apportée visant à protéger le dirigeant simplement négligent, le contexte économique actuel et les incitations visées au paragraphe ci-dessus ne peuvent que conduire à recommander la plus grande prudence. La préservation d’une trésorerie suffisante doit guider impérativement les actions des dirigeants, y compris dans le cadre de la distribution de dividendes.
1 Intitulé « Engagement de responsabilité pour les grandes entreprises bénéficiant de mesures de soutien en trésorerie ».
2 Entreprise employant min. 5 000 salariés ou ayant un CA consolidé supérieur à 1,5 milliard d’euros en France.
3 Déposé par le député M. B. Vallaud, le 7 avril 2020.
4 Puisque que l’AG dispose elle seule de cette compétence (art. L.232-12 du Code de Commerce).
5 Cass. com., 25 oct. 2011, 10-23.671 ; Cass. com., 26 févr. 2020, 18-24.188 ; CA Paris, 8 avr. 2014, n° 13/06822.
6 Art. L.651-2 du Code de commerce, anciennement action en comblement de passi
Dossier : les impacts du Covid-19 (Coronavirus)
Notre cabinet d'avocats vous propose son assistance juridique pour appréhender tous les impacts du Covid-19 (Coronavirus) sur votre entreprise. Découvrez notre dossier dédié ci-dessous.
Le Droit des sociétés au sein de notre cabinet d'avocats :
Notre cabinet d’avocats développe une pratique et expertise rare et innovante en matière de droit des sociétés. Nous sommes en mesure de traiter toutes questions complexes, en particulier les opérations de haut de bilan, réorganisations et restructurations, mécanismes d’intéressement des cadres et dirigeants, gouvernance des sociétés, droit boursier, etc.
Les cookies de réseaux sociaux collectent des données sur les informations que vous partagez à partir de notre site Internet par l’intermédiaire des outils des réseaux sociaux ou des données analytiques afin de comprendre votre parcours de navigation entre les outils des réseaux sociaux ou nos campagnes sur ceux-ci ou nos propres sites Internet. Nous les utilisons pour optimiser les différents canaux de communication afin de vous proposer notre contenu. Des informations détaillées concernant les outils que nous utilisons sont disponibles dans notre Politique de confidentialité.