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Bail commercial – Centres commerciaux - Adhésion à une association des commerçants

21/12/2010


Cass. 1ère civ., 20 mai 2010, n° 09-65045 : Bull civ. n°118 – FS-P+B+I – Cassation CA Paris, 14 octobre 2008(1)


Par un arrêt du 20 mai 2010, la Cour de cassation semble mettre un terme aux multiples tergiversations des juridictions du fond sur les conséquences de la nullité de la clause d’adhésion obligatoire à une association des commerçants dans les baux commerciaux des centres commerciaux.

Dans les centres commerciaux, il était d'usage que les baux de locaux intégrés contiennent une clause, souvent qualifiée « d'essentielle, de déterminante et de rigueur », faisant obligation au preneur d'adhérer à l'association des commerçants dudit centre pendant toute la durée du contrat et ses renouvellements. L’objet de cette association était de promouvoir par des actions de publicité, de campagnes promotionnelles ou évènementielles, le centre commercial auprès du public et des chalands éventuels et, ce faisant, d’associer les commerçants au développement économique du centre. Par le paiement d’une cotisation souvent proportionnelle à la surface des locaux loués, le locataire pouvait bénéficier des retombées publicitaires, commerciales et médiatiques des actions réalisées par l’association.

Certains locataires, soucieux de faire des économies et voulant échapper à cet engagement, ont tenté d’obtenir la nullité de la clause d’adhésion obligatoire. C’est dans ces conditions qu’une jurisprudence s’est formée et connaît son « apogée » [ultime et logique prolongement] par l’arrêt commenté du 20 mai 2010.

Dans le domaine voisin de la copropriété, l'Assemblée Plénière de la Cour de cassation a, par un arrêt en date du 9 février 2001(2), jugé que nul n'est tenu d'adhérer à une association ou, lorsqu'il y a adhéré, d'en demeurer membre. Faisant application de ce principe fondamental, la troisième Chambre civile de la Cour de cassation a décidé, à propos d’un centre commercial, que toute clause imposant l’adhésion ou le maintien à l’association, contraire à la liberté d’association reconnue à la fois par la Convention européenne des droits de l’Homme et par l’article 14 de la loi du 1er juillet 1901, est entachée d’une nullité absolue(3) . Aux termes de son Rapport annuel pour l’année 2003, la Cour de cassation précise que cette qualification (de nullité absolue) « implique qu’on ne puisse opposer au signataire du bail une quelconque renonciation à invoquer cette nullité. Il s’ensuite que le fait que le preneur ait régulièrement payé ses cotisations pendant plusieurs années avant de songer à intenter une action en nullité est indifférent »(4).

En dépit de la nullité de la clause, les propriétaires de centres commerciaux et les associations des commerçants avaient trouvé un argument pour contourner cette jurisprudence et éviter de rembourser au preneur les cotisations indûment perçues. Il s’agit de la théorie de l’enrichissement sans cause(5).

Là est l’intérêt de l’arrêt commenté.

Dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt du 20 mai 2010, le preneur de locaux dans un centre commercial a conclu un bail commercial stipulant une obligation pour le preneur d’adhérer et de maintenir cette adhésion à l’association des commerçants du centre considéré. Par la suite, le preneur a assigné le bailleur et l’association des commerçants en annulation de la clause du bail relative à l’obligation d’être adhérent et en remboursement des cotisations indûment perçues.

La Cour d’appel de Paris, saisie de ce litige, a annulé la clause litigieuse sur le fondement de la Convention européenne des droits de l’Homme(6) et de la loi du 1er juillet 1901, et a condamné in solidum le bailleur et l’association des commerçants à rembourser le preneur des cotisations indûment perçues. Néanmoins, dans la même décision, la Cour a condamné le preneur à régler à l’association des commerçants, « depuis l’origine du bail et tant qu’il durera, une somme équivalente aux cotisations prévues au contrat » et, ce, sur le fondement de l’article 1371 du Code civil et des principes qui gouvernent l’enrichissement sans cause.

Dans son arrêt du 20 mai 2010, la Cour de cassation a rappelé le principe, désormais connu, selon lequel « la clause d’un bail commercial faisant obligation au preneur d’adhérer à une association des commerçants et à maintenir son adhésion pendant la durée du bail est entachée d’une nullité absolue ». Pour autant, elle a cassé l’arrêt de la juridiction d’appel en ce qu’il a condamné le preneur à payer à l’association des commerçants une somme équivalente aux cotisations prévues au bail commercial initial, dès lors qu’un tel système fondé sur la théorie de l’enrichissement sans cause aboutirait en définitive « à une reconnaissance théorique, dénuée de toute effectivité, de la liberté du preneur de ne pas adhérer à l’association ».

En conséquence, par cet arrêt fondamental, la Cour de cassation tire les conséquences logiques de la nullité absolue de la clause d’adhésion obligatoire du preneur à une association des commerçants. Surtout, elle invalide la position des juridictions du fond qui avaient permis aux associations de commerçants, sur le fondement de la théorie de l’enrichissement sans cause, à la fois d’éviter de rembourser les preneurs et de continuer à percevoir des sommes équivalentes aux cotisations qu’elles auraient dû percevoir.

En pratique, on constate que, malgré la solution prônée par la Cour de cassation, les associations de commerçants ont été maintenues dans une grande majorité des centres commerciaux. Il est fort probable que les preneurs trouvent en définitive un avantage non négligeable à l’existence de telles associations, dès lors qu’elles permettent de définir et d’organiser au mieux la politique promotionnelle du centre commercial.

Pour autant, il est vrai qu’un grand nombre de bailleurs institutionnels ont adapté la rédaction de leurs baux en insistant particulièrement sur la notion d’intérêt commun existant entre eux et les locataires quant à l’existence de l’association et ce afin de tenter de contrecarrer les effets de la jurisprudence de la Cour Suprême.

En tout état de cause, les praticiens ont été dans l’obligation de faire appel à d’autres mécanismes, voire d’imaginer de nouveaux systèmes. Dans certains baux, il a été prévu l’obligation pour les preneurs de centres commerciaux d’adhérer, non plus à une association relevant de la loi du 1er juillet 1901, mais à un GIE (groupement d’intérêt économique) de commerçants(7), malgré les inconvénients de fonctionnement de ce type de groupement. Il a, en effet, été jugé qu’une telle obligation était licite dans les GIE dès lors qu’elle correspondait à la « destination particulière » de l’immeuble où le commerce se trouvait implanté. Toutefois, à ce jour, rien ne permet d’assurer que la solution retenue pour les associations ne s’applique pas aux GIE. De fait, l’argument selon lequel l’obligation d’adhérer à un GIE serait contraire à l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’Homme n’a jamais été invoqué devant la Cour de cassation. Plus encore, une décision rendue par la Cour européenne des droits de l’Homme, à propos de l'adhésion obligatoire à des associations de chasse jugée contraire aux droits fondamentaux, a considéré que la forme ou la qualification juridique de l'acte (nature du groupement en cause) prévu par une loi nationale est inopérante(8).

Enfin, les praticiens ont proposé la technique du « fonds marketing », reposant sur une idée qui semblait lumineuse. Ce fonds est affecté à la promotion et à l’animation du centre commercial. Il est créé et géré par le seul bailleur. Aux termes d’une clause des baux, les preneurs s’engagent à contribuer au fonctionnement de ce fonds, pendant toute la durée des baux et de leurs renouvellements, en réglant, en définitive, une charge supplémentaire. Néanmoins, la mise en place d’un tel système géré par le seul bailleur pourrait avoir des conséquences préjudiciables pour le bailleur en cas d’échec de l’attractivité du centre commercial, dès lors que les preneurs pourraient a priori se prévaloir de l’existence du fonds pour invoquer la seule responsabilité du bailleur.

En conséquence, le risque majeur d’une telle jurisprudence est qu’elle pourrait freiner les bailleurs à gérer la promotion, l’animation et l’harmonie du centre commercial et donc, au final, avoir des incidences négatives sur le développement de l’activité des preneurs.


1http://www.legifrance.gouv.fr/
2
Ass. Plén., 9 février 2001 : Bull. civ. n°3
3 Cass. 3ème civ., 12 juin 2003, n°02-10778 : Bull. civ. n°123
4 http://www.courdecassation.fr/
5
CA de Montpellier, 6 janvier 2004 : Rev. Loyers 2004, p.590
6 Article 11 de la Convention européenne des droits de l’Homme sur la liberté d’association
7 Cass. 3ème civ., 18 décembre 2001, n°00-14802
8 CEDH 29 avril 2009, « Chassagnou et autres c. France», requête n° 25088/94


Aline Divo, Avocat spécialisé en droit immobilier
Charlotte Félizot, Avocat chargé d’enseignement sur le thème des avant-contrats et des baux d’habitation à l’Université de Paris X

Auteurs

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Aline Divo
Associée
Paris
Charlotte Félizot