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Catégories professionnelles et notion de groupe dans les plans de sauvegarde de l'emploi : les précisions du Conseil d'État

14/02/2018

D’importantes décisions rendues par le Conseil d’État le 7 février 2018 apportent de nouvelles précisions quant au contenu du plan de sauvegarde de l’emploi qu’il soit élaboré unilatéralement par l’employeur ou qu’il résulte d’un accord collectif conclu par les partenaires sociaux. Ces arrêts viennent, d’une part, préciser les critères de définition des catégories professionnelles concernées par le licenciement (1) et, d’autre part, définir le périmètre d’appréciation des moyens du groupe pour la détermination des mesures d’accompagnement du plan de sauvegarde de l’emploi (2).

1. Sur la définition des catégories professionnelles visées par le licenciement économique

Le Conseil d’État a rendu le 7 février 2018 une série de cinq arrêts de section, très attendus, s’agissant de la définition, dans le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), des catégories professionnelles visées par le licenciement pour motif économique.

Dans les quatre premières affaires portant sur des plans de sauvegarde de l’emploi élaborés unilatéralement par l’employeur, le Conseil d’État apporte une importante précision sur la notion de catégories professionnelles. En effet, le Conseil indique que pour définir ces catégories il y a désormais lieu de prendre en compte les "acquis de l’expérience professionnelle". Ainsi, il précise que "les catégories regroupent, en tenant compte des acquis de l’expérience professionnelle qui excèdent l’obligation d’adaptation qui incombe à l’employeur, l’ensemble des salariés qui exercent, au sein de l’entreprise, des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune". Cet ajout assouplit la définition des catégories professionnelles, retenue dans l’arrêt FNAC (CE, 30 mai 2016, n° 387.798) qui s’appuyait uniquement sur l’existence d’une formation complémentaire excédant l'obligation d'adaptation incombant à l'employeur pour apprécier le caractère distinct des catégories professionnelles.

Par ces mêmes décisions, le Conseil d’État définit les limites du contrôle que doit exercer l’administration sur la définition des catégories professionnelles retenue par l’employeur lequel s’apparente à un contrôle restreint. Il appartient à l’administration de s’assurer que les catégories n’ont pas été définies de manière à cibler certains salariés, emplois ou services ou en fonction de considérations étrangères au regroupement "des salariés par fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune", telles que l’organisation de l’entreprise. Cette limitation du contrôle de l’administration laisse à l’employeur une certaine marge de manœuvre pour définir les catégories professionnelles, dès lors que ce dernier respecte le cadre préalablement défini.

C’est ainsi que le Conseil d’État a : 

  • validé l’homologation d’un plan de sauvegarde de l’emploi dont les catégories professionnelles étaient définies en fonction de critères reposant sur la prise en compte de la spécialisation des salariés dans l’un ou l’autre des deux procédés industriels de fabrication de plaques de plexiglas que sont le procédé du plexiglas "coulé" et le procédé du plexiglas "extrudé" (CE, 7 févr. 2018, n° 403.001) ;
  • annulé le raisonnement tenu par la cour administrative d’appel selon lequel définir les catégories professionnelles en fonction de critères reposant sur une différence de formation à des logiciels spécifiques, au sein des salariés d’un même bureau, avait un caractère trop restrictif. En effet, compte tenu des limites présentées ci-dessus, cette seule considération ne remettait pas en cause la validité du plan. Néanmoins, dans la mesure où, d’une part, plus de 25 catégories professionnelles avaient été définies, dont 18 ne comportaient qu’un seul salarié et, d’autre part, l’employeur avait, lors d’un précédent plan, défini pour les mêmes services et les mêmes fonctions un nombre beaucoup moins important de catégories, le Conseil d’État a tout de même annulé l’homologation (CE, 7 févr. 2018, n° 407.718).

Dans la cinquième affaire, s’agissant d’un plan de sauvegarde de l’emploi conclu par accord collectif, le Conseil d’État consacre la liberté des partenaires sociaux pour la définition des catégories professionnelles. Il retient que la circonstance que l’accord collectif "se fonde sur des considérations étrangères à celles qui permettent de regrouper les salariés par fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune, ou ait pour but de permettre le licenciement de salariés affectés sur un emploi ou dans un service dont la suppression est recherchée, n’est pas, par elle-même, de nature à caractériser une méconnaissance des dispositions légales". Il en résulte que les partenaires sociaux peuvent s’affranchir des critères précédemment définis pour caractériser les catégories professionnelles, dans la limite des motifs discriminatoires prohibés par le Code du travail (CE, 7 févr. 2018, n° 403.989).

2. Sur le périmètre d’appréciation des moyens du groupe pour la définition des mesures d’accompagnement du plan de sauvegarde de l’emploi

Dans les deux affaires soumises au Conseil d’État (CE, 7 févr. 2018, n° 397.900 et n° 406.905), la question posée concernait le périmètre d’appréciation des moyens du groupe pour la détermination des mesures d’accompagnement du plan de sauvegarde de l’emploi.

a. En vertu de l’article L.1233-57-3 du Code du travail, il appartient à l’autorité administrative, en cas de PSE élaboré de façon unilatérale, d’apprécier le respect par le plan de sauvegarde de l’emploi des articles L.1233-61 à L.1233-63 en fonction "des moyens dont disposent l’entreprise, l’unité économique et sociale et le groupe".

Par ces deux arrêts de section, le Conseil d’État a jugé que "pour l’application de ces dispositions, les moyens du groupe s’entendent des moyens, notamment financiers, dont disposent l’ensemble des entreprises placées, ainsi qu’il est dit au I de l’article L.2331-1 du Code du travail cité ci-dessus, sous le contrôle d’une même entreprise dominante dans les conditions définies à l’article L.233-1, aux I et II de l’article L.233-3 et à l’article L.233-16 du code de commerce, ainsi que de ceux dont dispose cette entreprise dominante, quel que soit le lieu d’implantation du siège de ces entreprises".

b. Même si les PSE en cause étaient antérieurs à l'ordonnance Macron sur la sécurisation des relations de travail, ces décisions sont en contradiction avec la philosophie de cette ordonnance, bien qu’elles reprennent la même notion du groupe en faisant référence au seul I de l’article L.2331-1 du Code du travail, dans la mesure où celle-ci prévoit :

  • d’une part, que le motif économique de l’opération de licenciement s’apprécie désormais dans les limites du territoire national, c’est-à-dire le plus souvent au niveau de la société-mère française ;
  • d’autre part, que l’obligation de reclassement se limite désormais aux entreprises du groupe implantées sur le territoire national.

Apprécier les moyens consacrés au PSE au niveau de la société mère étrangère vient rompre cette nouvelle harmonie et pose un vrai problème de cohérence : comment justifier l’appréciation du motif économique au niveau de la mère française et celle des moyens consacrés au PSE au niveau de la mère étrangère ?

c. Toutefois, le Conseil d’État n’avait guère le choix :

En absence de modification du texte, il était difficile pour lui de revenir tant sur sa jurisprudence que sur celle de la chambre sociale de la Cour de cassation : 

  • la jurisprudence du Conseil d’État sur le groupe de reclassement et le groupe d’appréciation des difficultés économiques, après avoir été un temps restreinte aux sociétés du groupe établies en France (CE, 26 avr. 1985, n° 38.231, Société Dragages du Nord), a abandonné cette solution et s’est alignée sur le groupe international ;
  • la Cour de cassation estime, pour sa part, que, s’agissant des moyens financiers du groupe, la pertinence doit s’apprécier compte-tenu des moyens de l’ensemble des entreprises unies par le contrôle ou l’influence d’une entreprise dominante dans les conditions définies à l’article L.2331–1 du Code du travail, sans qu’il y ait lieu de réduire le groupe aux entreprises situées sur le territoire national (Cass. soc., 16 nov. 2016, n° 15-15.190).

Il semble que le Conseil d’État ait estimé que cette solution, loin d’être contradictoire avec l’appréciation du motif économique au niveau national, était au contraire cohérente avec elle. En effet, dans l’hypothèse où les entreprises françaises d’un groupe international en bonne santé vont mal, des licenciements pour motif économique pourront être prononcés dans ces entreprises, mais on peut considérer que la solidarité du groupe en termes de moyens de reclassement, doit s’exprimer au niveau de la société mère, même si elle est située à l’étranger. Ainsi, le Conseil d’État distingue, semble-t-il, le niveau national, où se joue la liberté de gérer des stratégies de déploiement ou redéploiement de capacités de production et le niveau supranational, où se jouent les obligations d’en assumer les conséquences sociales.

Dans ces conditions, il y a peu de chances pour que cette jurisprudence soit remise en cause sous l’empire des ordonnances Macron. Sauf si le Gouvernement adopte un amendement pour aligner la solution, en ce qui concerne les moyens financiers du groupe, sur celle retenue en ce qui concerne le motif économique et le reclassement.