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La prise d'acte : un mécanisme juridique incohérent ?

29/11/2010


Deux arrêts rendus en 2010 par la Cour de cassation sur le mécanisme juridique de la prise d'acte ont révélé les contradictions de la jurisprudence en cette matière. Ces deux décisions ont abouti à des solutions contradictoires qui ont pour effet, d'une part, de limiter l'étendue de la prise d'acte, et d'autre part, d'en faciliter la mise en oeuvre par les salariés.


Le 25 juin 2003, la Cour de cassation a consacré un mécanisme juridique selon lequel un salarié peut prendre l'initiative de la rupture de son contrat de travail tout en demandant à ce que l'imputabilité soit attribuée à son employeur(1).

La question de la justification de la prise d'acte est donc une interrogation majeure.

Il est nécessaire que la jurisprudence fixe des règles précises et cohérentes permettant de caractériser le plus objectivement possible les manquements susceptibles de permettre à un salarié de quitter ses fonctions sans préavis et de solliciter des dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail. En effet, la prise d'acte est aujourd'hui devenue un mode de rupture standardisé du contrat de travail où le salarié n'hésite plus à quitter ses fonctions du jour au lendemain, sans préavis, avec pour route explication un simple courrier faisant état de reproches fondés ou non.

Jusqu'à présent, la jurisprudence avait toujours retenu le principe selon lequel seul un manquement grave pouvait être de nature à permettre à un salarié de prendre acte de la rupture effective de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur.

L'impossibilité de la poursuite du contrat de travail

Il convient donc de saluer la décision rendue par la Cour de cassation le 30 mars 2010 motivée : « Attendu que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail ».

Elle a ainsi précisé la notion de manquement d'une particulière gravité en retenant que les manquements graves étaient ceux qui empêchaient la poursuite du contrat de travail(2). Cette précision est salutaire et permet de renforcer la sécurité juridique nécessaire à toute relation contractuelle.

Cette décision a le mérite d'éclairer un peu plus la notion de manquement d'une particulière gravité et rappelle que toute difficulté dans l'exécution du contrat de travail n'est pas de nature à fonder une prise d'acte.

La faculté pour le salarié d'exécuter son préavis à l'issue de la prise d'acte

Or le 2 juin 2010(3), la Cour de cassa ion a rendu une décision au terme de laquelle elle a jugé que le salarié pouvait prendre acte de la rupture de son contrat de travail tout en demandant d'exécuter son préavis « Mais attendu, d'abord que si la prise d'acte entraîne la cessation immédiate du contrat de travail, de sorte que le salarié n'est pas tenu d'exécuter un préavis, la circonstance que l'intéressé a spontanément accompli ou offert daccomplir celui-ci est sans incidence sur l'appréciation de la gravité des manquements invoqués à l'appui de la prise d'acte. »

Cet arrêt dont on comprend aisément qu'il fait écho aux craintes des salariés face aux demandes reconventionnelles formées par les employeurs dans les contentieux de la prise d'acte apparaît en totale incohérence avec l'essence même de la prise d'acte et des dernières décisions rendues en la matière. En effet, admettre l'idée qu'un salarié pourrait demander de pouvoir exécuter son préavis dans le cadre d'une prise d'acte de la rupture de son contrat de travail revient à remettre en cause les fondements même de ce mécanisme juridique. II n'est pas inintéressant de noter que cette décision vient contre dire un arrêt rendu par la Cour de cassation le 31 octobre 2006 au terme duquel elle avait posé le principe selon lequel la prise d'acte du salarié en raison de faits qu'il reproche à son employeur entraînait la cessation immédiate du contrat de travail(4).

Comment imaginer qu'un salarié qui fait le constat que la poursuite de son contrat de travail est devenue impossible puisse, dans le même temps, solliciter de pouvoir exécuter son préavis ? Un tel raisonnement n'est envisageable qu'à la condition de redéfinir les conditions de la prise d'acte et de ne plus limiter ce mode de rupture aux seuls manquements qui rendent impossible la poursuite du contrat de travail du salarié et qui caractérisent le manquement d'une particulière gravité.

Dans une telle hypothèse, tout manquement ayant trait à l'exécution du contrat de travail serait susceptible de fonder une prise d'acte du salarié. Outre le fait que cette décision vient remettre en cause ce qui a été jugé le 30 mars 2010, qui s'inscrivait dans une évolution cohérente du mécanisme juridique de la prise d'acte, elle est principalement une source d'insécurité juridique dans la relation contractuelle du travail.

Cette décision mérite donc d'être critiquée tant elle est à contre-courant de ce qui a été construit depuis plusieurs années par la jurisprudence et remet en question l'ensemble de l'articulation juridique de ce mécanisme.

Des errements contestables de la jurisprudence

Les errements de la jurisprudence sur le thème de la prise d'acte sont d'autant plus contestables que depuis plusieurs années une nette augmentation des ruptures de contrat de travail par ce mécanisme a été constatée.

En effet, la prise d'acte par un salarié, est un mode de rupture très opportun, dès lors qu'il a besoin de se rendre immédiatement disponible pour se mettre au service d'un autre employeur.

En pratique, les salariés qui tentent de mettre en oeuvre le mécanisme juridique de la prise d'acte essaient d'exploiter tous les écarts qu'ils ont pu relever dans l'exécution de leur contrat de travail afin de justifier leur brusque départ.

Il est donc important que seuls des manquements d'une particulière gravité fondent la validité d'un tel mécanisme juridique afin d'éviter une explosion de ce type de pratique à l'avenir.

À l'heure où la démission tend à dis paraître dans les entreprises au bénéfice de la rupture conventionnelle homologuée et où la prise d'acte ne cesse d'augmenter, il devient urgent que la Haute Juridiction propose une définition précise et cohérente du mécanisme de la prise d'acte.


(1) Cass. Soc 25 juin 2003, n° 01-41.150; 01-42.679; 01-42.335

(2) Cass. Soc 30 mars 2010, n° 08-44.236 FS-PB

(3) Cass. Soc. 2 juin 2010, n° 09-40.215 FS-PBR

(4) Cass. Soc. 31 octobre 206, n° 04-46.280


Françoise Albrieux-Vuarchex, avocat associé
Pierre-Luc Nisol, avocat
CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon

Article paru dans la revue Décideurs | octobre 2010

Auteurs

Portrait deFrançoise Albrieux-Vuarchex
Françoise Albrieux-Vuarchex
Pierre-Luc Nisol