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Les enseignements de l'année 2011 sur la pratique du M&A

10/07/2012


Les rapports de force entre vendeurs et acquéreurs se sont sensiblement équilibrés. Une situation qui s'explique par l'augmentation du nombre d'acquéreurs, en particulier des sociétés de capital investissement désireuses d'investir, ce qui a permis aux vendeurs d'être plus exigeants durant les négociations, d'après l'étude annuelle menée par CMS.


1. Faits marquants de l'édition 2012

On constate globalement une diminution du recours aux systèmes d'ajustement de prix et aux clauses d'earn-out, au bénéfice du mécanisme des transactions à prix fixe (« locked box »). Par ailleurs, s'agissant des critères déclencheurs de l'indemnisation du cessionnaire, les stipulations relatives aux seuils « de minimis » et « basket » redeviennent plus favorables aux vendeurs. Néanmoins, certaines autres clauses favorables aux acquéreurs, comme celles de non-concurrence semblent avoir retrouvé les faveurs des praticiens aux côtés de travaux d'audit plus approfondis.

Ajustement de prix - earn-out- locked box : un certain équilibre des rapports de force

Le recours aux mécanismes d'ajustement de prix avait décru de 2009 à 2010, passant de 48 % à 35 % des transactions. Ils ont retrouvé leur niveau d'antan en 2011 à 47 %, ce qui correspond à la moyenne sur la période 2007-2010, mais ce niveau reste finalement assez peu élevé par rapport à la masse des transactions. En outre, ce niveau est nettement inférieur à celui des Etats-Unis où 82 % des transactions contiennent une clause d'ajustement du prix de cession.

En moyenne 14 % des transactions contiennent une clause dearn-out, contre 17% sur la période 2007-2010. Concernant la durée de la période dearn-out on constate aussi que celle-ci tend à se situer majoritairement aux alentours de douze à vingt-quatre mois. Les critères sur lesquels sont calculés les revenus des earn-out sont aussi en plein changement : le critère des revenus est maintenant quasiment inexistant (de 23% sur la période 2007- 2010 à 8% en 2011) alors que l'on constate à l'inverse une forte progression du critère EBIT/EBITDA (earnings before interest, taxes, dépréciation, and amortization), qui passe de 30% à 44 % sur les mêmes périodes.

Ces constats de diminution semblent profiter au mécanisme de locked box dont « l'utilisation explique sans doute l'importance croissante accordée aux travaux préa lables d'audit », selon Jacques Isnard. On compte 38% des contrats sans prix ajustable qui utilisent le mécanisme de locked box, ce qui correspond à une nette augmentation par rapport à 2010 où seulement 29 % de ces transactions en contenaient un. La progression est particulièrement nette dans les pays germaniques avec une augmentation de 14 % à 58 % de 2009 à 2011 ; la France avait connu une forte hausse de cette pratique déjà en 2010, l'année 2011 manifeste un léger repli (48 % contre 64 %).

Les mécanismes d'indemnisation : en faveur des vendeurs

En 2011, 62 % des opérations de fusions et acquisitions contenaient dans les contrats de cession un montant minimal (« de minimis ») pour qu'un dommage individuel soit susceptible d'être pris en compte pour le calcul du préjudice indemnisable par le cessionnaire, contre 54 % sur la période 2007-2010. L'etude montre que ces derniers semblent plus généreux pour les vendeurs (hausse du seuil « de minimis »).

S'agissant du montant du seuil global permettant la mise en oeuvre de l'indemnisation par le cessionnaire, celui-ci semble également en hausse, à la faveur des vendeurs. On peut remarquer qu'une très grande disparité existe sur le type de mécanisme : certains pays privilégient nettement le « first euro », (Bénélux, Royaume-Uni et Pays germaniques) tandis que d'autres, comme la France, privilégient plutôt le système « excess only » (66 %) c'est-à-dire que le seuil constitue dans ces cas-là une franchise (le vendeur n'indemniserait l'acquéreur qu'au-delà de ce seuil défini), ce qui n'est pas le cas dans tous les pays d'Europe comme en Allemagne par exemple. Les pays d'Europe du sud, pour leur part, maintiennent les deux systèmes au même niveau. Globalement la préférence reste quand même au « first euro » avec 72 % des transactions en Europe. Outre- Atlantique, le principe du seuil concerne une grande majorité de transactions (95 %) mais il peut être noté que l'on suit plutôt le système « excess only » qui régit 62 % des opérations.

L'etude révèle par ailleurs que les plafonds de responsabilité sont généralement plus bas et les périodes de limitation de garanties plus courtes, ce qui contribue au rééquilibrage des rapports de force en replaçant les vendeurs au niveau des acheteurs. Du côté des acquéreurs, l'augmentation de l'octroi de clauses de non-concurrence constitue un avantage.

Le nombre croissant des clauses de non-concurrence : en faveur des acheteurs

Alors que depuis 2007 ces clauses se raréfiaient, l'augmentation subite qu'avait connue l'année 2010 (40 %) est confirmée en 2011 (53 %). Ces clauses sont assez fréquentes au Bénélux (61 %), en France (54 %) et en Europe du Sud (60 %) mais beaucoup moins en Europe centrale et de l'est (44 %) ou dans les pays germaniques (49 %). On constate par ailleurs qu'en 2011, 26 % de ces obligations prévoyaient une durée de plus de trente mois contre 18 % en 2010. Aux côtés des clauses de non-concurrence, le recours de plus en plus fréquent à l'assurance garantie et indemnisation pour pallier l'absence de garantie adéquate dans le contrat d'achat et de vente (SPA) apparaît également favorable aux acheteurs.

2. La lumière portée par cette étude sur les pratiques européennes de l'année écoulée en matière de fusions-acquisitions donne l'occasion de faire le lien avec les tendances observées dans les récentes décisions de jurisprudence en ce domaine

On peut avancer trois idées à leur lecture.

On peut d'abord augurer que la pratique des dues diligences s'intensifie dans les années à venir

D'une manière générale, en limitant les possibilités pour le cessionnaire de recourir au dol, la jurisprudence accentue son devoir de se renseigner afin qu'il ait la vision la plus exacte possible de la situation de la société cible. La preuve du dol est en effet loin d'être assouplie. Ainsi, il a été récemment rappelé que le cessionnaire déçu doit prouver que les manoeuvres dolosives émanent du cédant et qu'elles sont antérieures ou concomitantes à l'acte(1). Mais cette preuve est insuffisante pour obtenir indemnisation(2), encore faut-il que soit démontré un préjudice distinct de celui inhérent au dol(3). La preuve de la tromperie est difficile et il sera conseillé aux acquéreurs de tout mettre en oeuvre afin de détenir, en amont, l'information la plus exacte et exhaustive possible sur l'état de la société cible.

On peut ensuite s'interroger sur le rôle du contentieux dans le « rejet » du mécanisme d'earn-out

Les clauses d'earn-out ont en effet visiblement moins séduit en 2011, ce qui s'explique peut-être par les risques auxquels donne naissance cette technique, lesquels ont été à plusieurs reprises pointés du doigt par les auteurs et mis en avant par la jurisprudence. Un récent arrêt, rendu par la cour d'appel de Paris le 15 septembre 2011(4), illustre l'aisance avec laquelle un contentieux peut survenir en la matière. Au cas particulier, le complément de prix n'avait pas pu être versé au cédant faute de résultats suffisants de la société cédée, à la suite de sa récente réorganisation par le cessionnaire. Saisie de la question de la responsabilité de ce dernier, la cour d'appel le condamne pour avoir fait perdre au cédant une chance significative de percevoir un complément de prix. Selon elle, la souscription à une clause d'earn-out emporte nécessairement engagement implicite vis-à-vis des cédants de conserver un périmètre sensiblement constant d'activités et de personnes y affectées pour l'exploitation jusqu'au terme fixé par la clause.

On doit enfin remarquer la préoccupation toujours constante des juges pour les clauses de non-concurrence

L'etude CMS pour 2011 met en avant une augmentation du nombre des clauses de non-concurrence dans les protocoles de cession. Cette faveur conjoncturelle de la pratique pour ces clauses ne fera pourtant pas oublier le regard acéré que les juges portent sur elles. Un arrêt du 13 décembre 2011 rendu par la Cour de cassation(5), en témoigne une nouvelle fois. La Cour rappelle que le champ d'application d'une telle clause doit être limité. Au cas particulier, la clause a été considérée comme nulle dès lors quelle excluait l'exercice de l'activité du cédant sur le marché au sein duquel se réalisait l'essentiel du chiffre d'affaires lié à cette activité.

En définitive, l'année 2011 a confirmé le courant favorable aux fusions-acquisitions. La tendance n'est donc pas au délaissement, mais bien au perfectionnement des techniques contractuelles, et ce au service d'un meilleur équilibre entre les intérêts acheteurs et les intérêts vendeurs, équilibre que la jurisprudence a à coeur de préserver.


1.CA Paris, Pôle 5, en. 8, 24 mai 2011, RG n°10/13447.

2. Cass.Com., 15 nov.201l, n° 10-26.511.

3. Cass. Com., 12 juil. 2011, n° 10-19.297.

4. CA Paris, Pôle 5, c. 9, RG n° 0702102 : BJS 2012, n° 1, p. 27, note A.Couret.

5. Cass.Com, 13 déc. 2011, F-D, n° 10-21.653


Par Jacques Isnard, avocat associé

Article paru dans la revue Option Finance du 9 juillet 2012