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Libéralisation du cumul-emploi retraite : un important effet d'aubaine

par Françoise Albrieux-Vuarchex, Christophe Girard, CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon

15/07/2009

Comme il l’avait été annoncé par le gouvernement, la réglementation du cumul emploi-retraite a été considérablement libéralisée depuis le 1er janvier 20095(1). Dorénavant, il est possible, à certaines conditions, de cumuler sans limitation un revenu d’activité avec une pension de retraite afin de favoriser l’emploi des « séniors ».

L’emploi des seniors est au coeur des débats politiques et économiques actuels. L’enjeu principal est le maintien des équilibres des régimes de retraite dans un contexte d’allongement de l’espérance de vie, d’entrée tardive dans la vie active et de très faible taux d’emploi des seniors dans notre pays.

La libéralisation du cumul emploi-retraite est l’une des nombreuses mesures (parmi lesquelles la suppression des préretraites progressives, l’institution d’une contribution spécifique sur les préretraites d’entreprise, le durcissement des conditions de mise en retraite, la suppression de la contribution dite « Delalande », le développement de la négociation en faveur de l’emploi des seniors, la création d’une contribution patronale sur les indemnités de mise en retraite, …) tendant à favoriser l’emploi des salariés « âgés ».

Après une présentation sommaire des nouvelles règles du cumul emploi-retraite, nous nous efforcerons de proposer une analyse critique de cette mesure.

Présentation schématique de la réforme

De manière simplifiée, depuis le 1er janvier 2009, un assuré peut cumuler sans restriction une pension de vieillesse et une activité professionnelle quelle qu’elle soit, dès lors qu’il remplit les conditions cumulatives suivantes :

  • avoir liquidé ses pensions de vieillesse auprès de la totalité des régimes de base et complémentaires dont il relève. Cette liquidation concerne aussi bien les régimes français et étrangers, salariés ou non salariés ainsi que les régimes fournis par des organisations internationales, dès lors qu’ils sont légalement obligatoires.
  • avoir liquidé ses pensions de retraite soit à partir de l’âge de 65 ans, soit à partir de l’âge de 60 ans s’il justifie d’une durée d’assurance ouvrant droit à une retraite à taux plein (161 trimestres depuis le 1er janvier 2009).

Ce dispositif est applicable à tous les régimes d’assurance vieillesse, à l’exclusion de celui des exploitants agricoles.

De même, ces règles sont valables à la fois pour les retraites de base et pour les régimes complémentaires ARRCO et AGIRC.Dorénavant, plus aucun plafond de revenus n’est donc exigé pour les pensionnés qui remplissent ces conditions.

De même, il n’existe plus de délai minimal à respecter avant de pouvoir reprendre une activité salariée pour le compte du précédent employeur. Une circulaire de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) (2) indique à ce titre comme exemple la possibilité offerte à un assuré de cesser son activité le 28 février 2009, de percevoir ses pensions de retraite à partir du 1er mars 2009 et de reprendre une activité professionnelle pour le compte de son précédent employeur à cette même date.

La loi prévoit en outre que ces nouvelles règles s’appliquent également aux pensions ayant pris effet avant le 1er janvier 2009.

Concrètement, et à titre d’exemple, un retraité dont la retraite avait pris effet avant cette date et qui avait vu sa pension de retraite suspendue au motif que les revenus tirés de la reprise d’une activité professionnelle excédaient les plafonds autorisés peut désormais percevoir sa pension de retraite qui avait été suspendue et la cumuler avec ses revenus professionnels (sans limitation de montant) s’il remplit les conditions rappelées ci-dessus. La CNAV précise(3) que ce rétablissement peut intervenir à la demande de l’assuré ou à l’initiative de la caisse dans des conditions qui seront prochainement définies.

En revanche, dans les cas où les conditions du cumul ne sont pas remplies (c'est-à-dire si l’intéressé n’a pas liquidé la totalité de ses pensions de vieillesse et/ou s’il ne remplit pas les conditions d’âge ou de durée d’assurance), les règles en vigueur avant la réforme restent applicables. Ainsi, s’agissant d’une pension de retraite liquidée au titre du régime général, les revenus tirés de la reprise d’une activité professionnelle salariée, cumulés aux montants des retraites de base et complémentaires, ne doivent pas excéder le dernier salaire moyen (soumis à la CSG) des trois derniers mois d’activité (ou 1,6 fois le SMIC mensuel si ce montant est plus favorable).

En outre, si la reprise d’activité salariée a lieu chez le précédent employeur, le retraité doit respecter un délai d’attente de 6 mois.

Le non-respect de ces règles entraîne la suspension du paiement de la pension. Le bénéficiaire d’une pension du régime général peut en revanche reprendre une activité non salariée(4) et les revenus procurés par cette reprise d'activité ne font pas obstacle au service de la pension, quel que soit leur montant.

S’agissant des différents régimes des non salariés, il existe également des plafonds de revenus à ne pas dépasser en cas de reprise d’une activité professionnelle non-salariée. Ces plafonds sont différents selon les régimes (professions libérales hors avocats, avocats, industriels et commerçants, artisans, non salariés agricoles).

Ecueils de la réforme

Tout d’abord, les retraités ayant cessé leur activité professionnelle avant l’âge de 60 ans en raison de carrières longues ne peuvent pas prétendre au bénéfice du cumul avant d’avoir atteint 60 ans. Cette situation est donc peu cohérente par rapport au reste de la réforme. En effet, pourquoi les retraités de 57 à 59 ans ne pourraient-ils pas bénéficier de cette mesure incitative au maintien dans l’emploi des seniors ?

Cette différence de traitement semble peu logique, ce d’autant plus que bon nombre des salariés concernés sont des personnels peu qualifiés disposant d’un faible niveau de pensions. Le cumul sans restriction de ces dernières avec un revenu d’activité aurait ainsi été de nature à améliorer leur pouvoir d’achat au centre, lui aussi, des débats actuels.

De même, la réforme peut susciter un important effet d’aubaine pour un certain nombre d’assurés tels que les dirigeants d’entreprises.

Pour ces derniers, la libéralisation du cumul emploi-retraite peut en effet leur permettre de continuer à exercer leurs fonctions :

  • en conservant leur même niveau de rémunération, mais en faisant prendre en charge une partie de celle-ci par les caisses de retraite (donc en allégeant les charges de la Société)
  • ou en augmentant leurs revenus (par le maintien de leur rémunération cumulée avec les pensions de retraite).

Dans les deux cas, les caisses de retraites seraient donc sollicitées de manière quasi « abusive » (mais au demeurant totalement légale) pour verser des pensions qui n’auraient probablement pas été liquidées en l’absence de cette réforme. L’impact de la mesure sur le niveau d’emploi des seniors semble donc nul pour cette catégorie de « retraités ». En revanche, le surcoût pour les caisses de retraite est quant à lui réel… D’une manière plus générale, il peut sembler surprenant de permettre à un salarié de continuer à exercer les mêmes fonctions, dans la même entreprise, avec la même rémunération, tout en percevant dans le même temps une pension de retraite au titre d’une activité professionnelle qui a été cessée à un instant T pour mieux être reprise (ou plutôt poursuivie) à un instant T’.

Dans ces situations, les « anciennes » dispositions subordonnant la reprise d’une activité pour le compte du précédent employeur au respect d’un délai de six mois et à un plafond de revenus pouvaient paraitre adaptées et de nature à éviter ce type d’effet pervers.

Peut-être aurait-il été opportun de réserver cette possibilité de cumul au cas où l’activité l’activité reprise serait différente de celle exercée en dernier lieu ?

Il peut également être souligné que la réforme législative a conduit les régimes conventionnels de retraite complémentaires ARRCO et AGIRC à aligner leur réglementation sur le cumul emploi-retraite.

En contrepartie, à compter du 1er juillet 2009, en cas de reprise d’une activité salariée, la part salariale des cotisations aux régimes de retraite complémentaires sera également due sur les rémunérations, et non pas la seule part patronale comme c’est actuellement le cas.

Toutefois, cette nouvelle cotisation « pénalisera » les retraités qui reprendront une activité salariée qui respectera les anciens plafonds de ressources car avant la réforme ils n’auraient pas eu à verser de cotisation salariale sur les revenus tirés de cette activité alors que cette cotisation sera exigible à partir de juillet 2009.

Nonobstant ces imperfections, il convient de garder à l’esprit que la libéralisation du cumul emploi-retraite n’est qu’une mesure parmi tout un ensemble tendant à favoriser l’emploi des seniors. C’est donc au travers de cet indicateur que la pertinence de l’ensemble de ces réformes devra être appréciée et non au regard de telle ou telle imperfection de l’une de ces mesures. Toutefois, ce plan risque de se heurter à la crise économique et le gouvernement a d’ores et déjà renoncé à publier les décrets d’application de l’obligation de négocier sur l’emploi des seniors. Pour du cumul emploi- retraite, le plus grand défi à relever pour permettre l’atteinte de cet objectif sera probablement celui du changement des mentalités (des entreprises et des salariés) à l’égard de l’emploi des seniors. Or ce domaine ne peu relever de la compétence du législateur…

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(1) En application de l’art.88 de la Loi n°2008-1330 du 17 décembre 2008
(2) Circ. CNAV 2009/25 du 13/03/2009
(3) Circ. CNAV 2009/25 précitée
(4) Circulaire CNAV 2004-64 du 22 décembre 2004

Article écrit par Françoise Albrieux-Vuarchex, avocat associé
et Christophe Girard, juriste, CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon

Article paru dans la revue Décideurs - Stratégie, Finance et Droit de juin 2009

Auteurs

Françoise Albrieux-Vuarchex
avocat associé et Christophe Girard
Juriste
CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon
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