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Recouvrement des cotisations de sécurité sociale : une réforme en trompe-l'oeil ?

31/03/2008

L'intention affichée des pouvoirs publics était de renforcer les "droits des cotisants". Toutefois, quelques mesures risquent d'avoir une portée modeste. Par ailleurs, sous une présentation très positive pour le cotisant, diverses dispositions accentuent en réalité les pouvoirs des URSSAF.

Trois mesures méritent un examen particulier.

1/ Un employeur, confronté à des interprétations contradictoires concernant plusieurs de ses établissements, peut solliciter l'arbitrage de l'ACOSS.

Le décret du 11 avril 2007 fixe les modalités d'application de ce texte ayant pour objet de contribuer à l'harmonisation des pratiques des URSSAF. Mais la procédure est assez lourde puisque la demande doit être écrite, motivée, accompagnée de pièces justificatives et être préalable à toute saisine de la commission de recours amiable.

L'ACOSS fait alors connaître aux URSSAF la position à retenir dans un délai de 40 jours. Puis, dans un délai de 30 jours, chacune des URSSAF doit notifier sa décision au cotisant et en adresser une copie à l'ACOSS.

Si une URSSAF ne se conforme pas aux instructions de l'ACOSS, celle-ci peut se substituer à elle pour prendre les mesures nécessaires. De plus, si elle constitue, au plan des principes, un progrès pour la sécurité juridique, l'affirmation du rôle d'harmonisation de l'ACOSS risque de se trouver fort limitée en pratique. En effet, les entreprises n'ayant qu'un seul établissement ne pourront pas solliciter son intervention.

En outre, il n'est pas rare que lorsqu'une entreprise comprend de nombreux établissements, le paiement des cotisations soit effectué auprès d'une URSSAF unique (dispositif de « Versement en un Lieu Unique ») ou que les URSSAF se délèguent leurs pouvoirs de recouvrement et de contrôle.

Par ailleurs, ce type de procédure suppose, dans les faits, comme le relève expressément l'ACOSS (lettre circulaire du 25 juillet 2007), qu'une entreprise se voit appliquer concomitamment des solutions divergentes ce qui implique donc, d'une part, un contrôle simultané sur les différents sites et d'autre part, une coordination rapprochée des procédures en interne pour éviter qu'un établissement saisisse de façon hâtive et isolée la CRA dont il relève2.

Un tel recours hiérarchique ne devrait pas non plus concerner les entreprises d'au moins 2000 salariés qui, depuis le 1er janvier 2008, doivent verser leurs cotisations auprès d'un seul organisme de recouvrement. Enfin, cette nouvelle procédure ne concerne que les divergences d'interprétation entre URSSAF compétentes pour les établissements d'une même entreprise et non différentes sociétés d'un groupe.

Notons, d'ailleurs, que l'ACOSS elle-même, dans la lettre circulaire précitée, donne « à titre d'illustration » trois « exemples de cas » n'entrant pas dans le champ d'application de cette procédure3 ce qui laisse entendre que toutes les hypothèses de rejet ne sont pas citées. Dans les faits, le recours hiérarchique devrait donc être tout à fait exceptionnel...

2/ De nouvelles garanties aux cotisants lors du contrôle en interdisant aux URSSAF de procéder à la mise en recouvrement des cotisations, majorations et pénalités avant d'avoir répondu aux arguments développés par l'employeur après réception de la lettre d'observations.

Le décret ne va-t-il cependant pas consacrer une pratique déjà courante au sein des URSSAF et consistant à répondre très succinctement aux entreprises par un simple renvoi à la lettre d'observations ou par l'affirmation, sans autre commentaire, que les arguments de l'employeur ne peuvent être retenus ? Ou va-t-il permettre à chaque employeur d'obtenir une réponse précise et motivée à l'appui d'un rejet de sa contestation ? En d'autres termes, quelle est l'étendue de cette obligation de « réponse » ?

Les circulaires administratives ne se prononcent pas sur ce point. Nul doute dès lors que le décret suscitera des contentieux d'interprétation4. La modification apportée au contenu de la mise en demeure, qui doit désormais expressément prévoir, comme l'avait déjà exigé la Cour de Cassation5, « la cause, la nature et le montant des sommes réclamées ainsi que la période à laquelle elles se rapportent », soulève les mêmes interrogations.

Quel degré de précision pourra être exigé des URSSAF ? Quand on connaît la complexité de certains mécanismes d'exonérations sociales (ex : loi « TEPA »), on ne peut qu'espérer que ce texte conduira les URSSAF à expliciter clairement les modalités de calcul retenues à l'égard des entreprises, la jurisprudence dominante de la Cour de Cassation n'apparaissant malheureusement pas, à ce jour, suffisamment exigeante en présence de notifications parfois très imprécises.

3/ Il est donné un support juridique à une pratique contestée -et condamnée par la jurisprudence6 - à savoir celle du « redressement par voie de sondage ».

Sa mise en oeuvre se fait en quatre étapes.

Premièrement, l'inspecteur détermine une « base de sondage », c'est-à- dire une population homogène de salariés. Il lui appartient d'écarter de cette population les «cas atypiques » au regard de législation de sécurité sociale dont l'application est contrôlée.

Deuxièmement, il est procédé, par informatique, à un tirage aléatoire, en présence de l'employeur, de « l'échantillon », c'est-à-dire de la fraction de la base de sondage à partir de laquelle seront généralisés les résultats obtenus, et qui doit compter au moins 50 individus7. Troisièmement, l'inspecteur du recouvrement examine l'ensemble des pièces justificatives relatives à l'échantillon. Quatrièmement, les résultats obtenus sur l'échantillon sont extrapolés à l'ensemble des individus constituant la base de sondage à l'origine de l'échantillon.

Il est indéniable que le texte s'efforce de préserver le principe du contradictoire et d'assurer l'information du cotisant. Ainsi, l'employeur est invité à présenter ses observations au cours de chacune des phases du contrôle. Cela étant, la faculté donnée à l'employeur se limite à la présentation « d'observations », terme qui confirme bien qu'après avoir donné son accord pour la mise en oeuvre du « sondage », il n'a guère plus de prise sur la suite de la procédure.

Il ne peut cependant être exclu qu'un refus systématique de l'inspecteur de prendre en compte les observations de l'employeur soit une source de débats. On ne peut donc qu'inciter les employeurs à établir un dialogue avec l'URSSAF le plus en amont possible, assisté de leur conseil habituel, faculté d'assistance que le contrôleur doit désormais rappeler à chaque cotisant lors de l'engagement du contrôle (article R. 243-59 du Code de la Sécurité Sociale).

Par ailleurs, s'il est prévu expressément que le contrôle par voie de sondage ne peut être mis en oeuvre que « sous réserve [du] consentement » du cotisant, on ne peut qu'être sceptique quant à la liberté réelle dont bénéficie l'intéressé pour refuser. Le texte énonce en effet que « l'inspecteur du recouvrement lui fait connaître le lieu dans lequel les éléments nécessaires au contrôle doivent être réunis ainsi que les critères, conformes aux nécessités du contrôle, selon lesquels ces éléments doivent être présentés et classés ». La mise à disposition des éléments ainsi définis doit se faire dans un délai déterminé d'un commun accord entre l'employeur et l'inspecteur mais qui ne peut excéder 60 jours.

On imagine aisément qu'un employeur d'une grande ou moyenne entreprise réfléchira à deux fois avant de refuser un contrôle par échantillonnage sachant qu'il pourrait, par exemple, lui être demandé d'adresser à l'URSSAF les justificatifs des frais professionnels des trois dernières années de 600 salariés classés par ordre chronologique, en distinguant les populations sédentaires et les populations itinérantes... Il faudra d'autant plus apprécier l'opportunité d'un refus que si les conditions posées par l'URSSAF ne sont pas respectées, celle-ci peut décider d'ignorer l'opposition de l'employeur au recours au sondage ou, pire, retenir les dispositions du Code de la Sécurité sociale relatives à la taxation forfaitaire !

En effet, celles-ci sont désormais applicables en l'absence de mise à disposition des documents nécessaires au contrôle ou lorsque leur présentation « n'en permet pas l'exploitation ». Dans ces conditions, le principe selon lequel le consentement du cotisant est requis avant la mise en oeuvre de tout redressement par voie de sondage risque, en pratique, de rester lettre morte... Cette disposition ne saurait donc être considérée comme une avancée pour les employeurs.

Notons que chaque employeur dispose cependant, à compter de la notification de la lettre d'observations, d'un délai de 30 jours pour indiquer à l'URSSAF par lettre recommandée avec accusé de réception qu'il entend calculer lui-même les sommes dont il est redevable. Dans le délai de 30 jours qui suit la réception par l'inspecteur de cette décision, l'employeur doit alors lui transmettre le résultat de sa proposition qui porte nécessairement sur la totalité des individus composant la population dont est issu l'échantillon, accompagné des éléments permettant de s'assurer de son exactitude. Un processus qui s'avère donc lourd et contraignant pour les cotisants « récalcitrants ». Les dispositions du décret et de l'arrêté du 11 avril 2007, destinées en apparence à renforcer les droits des cotisants, semblent dès lors surtout faciliter le travail des URSSAF, voire le reporter sur l'employeur - qui, fort heureusement, n'est pas (encore ?) tenu de créer des documents spécifiques lors du contrôle (tableaux de synthèse, calculs, etc.). 


1 Circ. min. du 16 juillet 2007 2 Le décret énonce ainsi que la présentation par le cotisant, devant la CRA, d'une réclamation avant la communication de la position de l'ACOSS, rend caduque sa demande 3 Les trois cas d'exclusion sont :- l'entreprise mono-établissement ;- l'entreprise relevant successivement de 2 URSSAF de liaisondifférentes ;- l'entreprise invoquant 2 situations de fait différentes. 4 Cette disposition étant inspirée du droit fiscal, il pourrait être intéressant de se référer à la doctrine et/ou jurisprudence fiscale afférente au respect du contradictoire. 5 Cass. soc., 19 mars 1992. 6 Cass. soc. 20 juin 2007, 18 oct. 2005 et 24 oct. 2002. 7 Ce qui exclut en pratique que le « sondage » concerne des sociétés de moins de 50 salariés

Article paru dans la revue Décideurs n°91 


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