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Réforme du régime de distribution de la presse

Refonte de la loi Bichet de 1947

28/05/2020

Le Parlement français a significativement modifié le régime de la distribution de la presse afin :

  • de tenter de remédier aux défaillances du système relevées dans le rapport Schwartz de juin 2018 ; et
  • d’inclure la diffusion numérique de la presse.

Le secteur de la distribution de la presse rencontre depuis de nombreuses années des difficultés économiques persistantes matérialisées notamment par plusieurs plans de sauvetage du principal distributeur, Presstalis.

Afin d’y remédier, le Gouvernement a confié à Marc Schwartz la mission de proposer des évolutions à la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 (dite "loi Bichet") qui régit la distribution de la presse en France. Dans le prolongement de ce rapport, rendu en juin 2018, le Gouvernement a déposé un projet de loi dont l’examen a abouti à l’adoption par le parlement de la loi n° 2019-1063 du 18 octobre 2019 réformant la loi Bichet.

L’instauration en 1947 d’un régime reposant sur la liberté, l’égalité et la solidarité

La loi Bichet, adoptée en 1947, avait pour objectifs de remédier au monopole de fait dont bénéficiait le principal distributeur de presse dans les années 30 et d‘assurer la pluralité des courants d’opinion dans la presse après la censure qui avait été imposée pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le régime ainsi mis en place reposait sur plusieurs principes fondateurs :

  • liberté de diffusion : chaque entreprise de presse "est libre d’assurer elle-même la distribution de ses propres journaux et périodiques par les moyens qu’elle jugera les plus convenables à cet effet" (article 1er). En cas de distribution groupée de titres de plusieurs entreprises de presse, ces dernières sont tenues de créer une société coopérative dans laquelle tout journal ou périodique "devra être obligatoirement admis" (article 6), étant précisé que cette société coopérative peut elle-même confier les opérations matérielles de distribution à une société commerciale dont elle doit détenir une participation majoritaire ;
  • égalité de traitement entre les entreprises de presse : chaque éditeur doit être admis dans la société coopérative de son choix (article 6) ; la gouvernance au sein de la société coopérative est égalitaire (une voix par éditeur) quel que soit le poids de l’éditeur dans la société (article 10) ; le barème des tarifs de distribution est adopté par l’assemblée générale de la société coopérative et "s’impose à toutes les entreprises de presse clientes de la société coopérative" (article 12) ; 
  • solidarité entre les entreprises de presse : les éditeurs ont l’obligation de recourir à une structure coopérative, mettent en commun leurs moyens et mutualisent leurs coûts.

La mise en œuvre de ce régime a donné lieu en pratique à la création par les éditeurs de plusieurs sociétés coopératives qui détiennent ou codétiennent elles-mêmes des sociétés de distribution (telles que Presstalis et MLP) en charge des opérations matérielles de distribution de la presse imprimée.

La régulation du secteur était initialement confiée au Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP). Depuis 2011, elle est exercée conjointement par le CSMP et l’Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP) : le CSMP prend des décisions sur les questions économiques dont la pertinence et la régularité sur le plan juridique sont ensuite examinées par l’ARDP.

Les limites du système mis en place par la loi Bichet

La loi Bichet a permis l’expansion et la diversité de la presse, en particulier de la presse magazine (plus de 4 000 titres à ce jour). Toutefois, le régime de distribution qui en résulte est apparu inadapté à certains égards. Marc Schwartz a ainsi relevé plusieurs défaillances dans son rapport.

Les éditeurs sont à la fois actionnaires (via les sociétés coopératives) et clients des sociétés de distribution de presse, ce qui laisse craindre, selon lui, un risque de conflits d’intérêts. Au surplus, le principe de l’attribution d’une voix par éditeur (quel que soit son poids) au sein des sociétés coopératives peut aboutir à une dilution des responsabilités et, partant, à un risque de défaillance dans la gestion des sociétés coopératives et de leurs filiales de distribution.

Par ailleurs, le système de distribution de la presse, qui repose sur trois niveaux (les messageries, les grossistes régionaux ou dépositaires centraux et les points de ventes), apparaît rigide tant sur le plan logistique (le réseau est entièrement dédié à la diffusion de la presse et n’est pas mutualisé avec d’autres flux logistiques) qu’en termes de couverture (l’implantation de points de vente est soumise à une autorisation administrative par une commission du CSMP).

Ensuite, la loi Bichet s’applique très largement et indistinctement à la quasi-totalité des titres de presse. Tout journal ou périodique (ou presque) peut ainsi demander à être admis dans la coopérative de son choix et bénéficier du système de distribution mis en place par elle. En pratique, les éditeurs de presse peuvent décider des points de vente assurant la diffusion de leurs titres et du nombre d’exemplaires ainsi diffusés. Ce principe de liberté d’accès au réseau de points de vente permet une large diffusion des titres mais génère un fort taux d’invendus (48 % pour Presstalis et 61 % pour MLP).

Enfin, l’existence de deux autorités (la CSMP et l’ARDP) complique et allonge la prise de décision en matière de régulation. Qui plus est, ces deux autorités sont largement dépourvues de pouvoirs de sanction à l’encontre des acteurs du secteur.

Les défaillances ainsi relevées par Marc Schwartz dans son rapport s’accompagnent d’un contexte économique et historique très défavorable puisque, ces dernières années, la vente au numéro de journaux et périodiques s’est fortement contractée (- 39 % en valeur et – 54 % en volume entre 2007 et 2017) et le réseau de points de vente a sérieusement rétréci (-20 % pour les enseignes de presse et -29 % pour le réseau traditionnel entre 2006 et 2017).

Une réforme significative du régime de la distribution de la presse

La réforme résultant de la loi n° 2019-1063 du 18 octobre 2019 réaffirme le principe de liberté de diffusion de la presse instauré en 1947. Elle conserve également l’obligation, pour les éditeurs souhaitant organiser collectivement la distribution de leurs titres, d’utiliser la forme coopérative. Elle apporte néanmoins des modifications significatives à la loi Bichet.

La loi énonce désormais clairement que les opérations matérielles de distribution groupée des titres de presse sont assurées par des sociétés de distribution de la presse (telles que Presstalis et MLP aujourd’hui). Ces sociétés de distribution sont agréées par le régulateur et sont tenues de respecter un cahier des charges précis, fixé par décret, qui détermine les "types de prestations et niveaux de service attendus du point de vue logistique et financier en tenant compte de la diversité des titres de presse" (articles 3 et 12 de la loi Bichet modifiée). Cet encadrement des sociétés de distribution constitue une évolution notable par rapport à la législation antérieure qui se concentrait principalement sur les sociétés coopératives constituées par les éditeurs.

Au surplus, si les éditeurs demeurent tenus d’adhérer à des sociétés coopératives afin, notamment, de maintenir une logique de solidarité entre eux, ces sociétés coopératives ne sont elles-mêmes plus obligées de détenir une participation majoritaire dans les sociétés de distribution de la presse, ce qui pourrait permettre de conférer une certaine indépendance à ces dernières.

Par ailleurs, le nouveau texte réaffirme le droit à la distribution de tous les titres de presse "dans des conditions objectives, transparentes, efficaces et non discriminatoires" mais fixe des conditions différentes selon la nature des titres concernant le choix des points de vente (article 5 de la loi Bichet modifiée). Le droit pour les titres de presse d’information politique et générale d’être diffusés dans les points de vente de leur choix est ainsi inscrit dans la loi et permet de garantir la pluralité des courants d’opinion. Pour le reste, afin de tenter de remédier au fort taux d’invendus exposé ci-dessus, les titres qui relèvent de la commission paritaire des publications et agences de presse (sans pour autant être d’information politique et générale) sont distribués selon des règles d’assortiment tandis qu’une large autonomie d’appréciation est laissée aux points de vente s’agissant des titres ne relevant d’aucune des catégories précitées.

S’agissant du réseau de points de vente, l’exigence d’un agrément par une commission ad hoc (désormais dénommée commission du réseau de la diffusion de la presse) pour l’installation d’un point de vente est maintenue (article 26, I, 1° de la loi Bichet modifiée). La loi dispose néanmoins que ce réseau doit répondre "aux exigences de large couverture du territoire, de proximité d’accès du public et de diversité et d’efficacité des modalités commerciales de la diffusion" et précise qu’un décret fixera "les règles générales relatives aux conditions d’implantation de ces points de vente" (article 14 de la loi Bichet modifiée). Ces conditions seront vraisemblablement facilitées afin de permettre un élargissement du réseau de points de vente.

En outre, le principe de liberté de diffusion est, dans une certaine mesure, étendu à la presse numérique. Les kiosques numériques assurant la diffusion numérique groupée d’au moins deux titres de presse d’information politique et générale ne peuvent ainsi s’opposer à la diffusion numérique de tout autre titre de presse d’information politique et générale "dès lors qu’elle serait réalisée dans des conditions techniques et financières raisonnables et non discriminatoires" (article 15 de la loi Bichet modifiée).

Enfin, la régulation du secteur de la distribution de la presse (imprimée et numérique) est désormais confiée à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), forte d’une expertise juridique, économique et technique et de son expérience dans la régulation d’industries logistiques telles que les services postaux. Cette autorité est notamment chargée de veiller à la neutralité et à l’efficacité économique de la distribution de la presse et est dotée de pouvoirs d’investigation et de sanction des manquements constatés (articles 16 à 25 de la loi Bichet modifiée).

Une double crise qui ébranle le secteur

Quelques mois après l’entrée en vigueur de cette réforme, le secteur de la distribution de la presse imprimée a connu deux crises simultanées. D’abord, les mesures de confinement prises le 16 mars 2020 afin de juguler l’épidémie de Covid-19 (qui ont conduit à la fermeture partielle ou totale de nombreux points de vente et à une baisse de la fréquentation des points de vente restés ouverts) ont nécessairement impacté ce secteur.

Ensuite, la situation financière de Presstalis, déjà fragile, s’est détériorée et a conduit cette dernière à se déclarer en cessation des paiements le 20 avril 2020 auprès du Tribunal de commerce de Paris. Elle a été placée en redressement judiciaire le 15 mai 2020.

On peut donc raisonnablement s'attendre dans les prochains mois à de nouvelles mesures concernant la distribution de la presse en France.


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Cet article a été publié dans notre Lettre Propriétés Intellectuelles de juillet 2020. Découvrez les autres articles de cette lettre.

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