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Responsabilité des constructeurs

Règles de prescription applicables aux actions dirigées contre les constructeurs ou sous-traitants.

10/06/2020

Par trois arrêts du 16 janvier 2020 (n°18-21.895, n°16-24.352 et n°18-25.915) publiés au Bulletin, la Cour de cassation a clarifié les règles de prescription applicables :

  • aux actions de constructeurs contre d’autres constructeurs ou sous-traitants ; et
  • aux actions de tiers contre les constructeurs ou les sous-traitants.

La Cour de cassation a jugé que la prescription de droit commun s’appliquait à ces actions (art. 2224 C. civ.). Cette prescription est de 5 ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer l‘action.

La Cour a exclu les délais de prescription spéciaux des articles 1792-4-2 et 1792-4-3 C. civ., les réservant aux actions initiées par les maîtres d’ouvrage.

Les trois arrêts commentés fournissent l’occasion de revenir sur les fondements de la responsabilité en matière de construction et précisent les règles de prescriptions applicables.

Les fondements de la responsabilité en matière de construction

En présence d’un désordre de construction, la responsabilité du constructeur peut être recherchée :

  • soit sur le terrain de l’une des garanties spéciales du droit de la construction (parfait achèvement, bon fonctionnement ou décennale). Ces actions sont réservées au maître d’ouvrage (Cass. civ. 3ème, 8 juin 2011, n°09-69.894). Dans l’arrêt du 16 janvier 2020, n°18-25.915, la Cour de cassation rappelle que le recours des constructeurs entre eux ne peut être fondé sur la garantie décennale (voir également Cass. civ. 3ème, 8 février 2012, n°11-11.417) ;
  • soit, si les conditions de mise en œuvre des garanties spéciales susvisées ne sont pas réunies, sur le terrain du régime général de la responsabilité civile. Dans ce cas, le fondement de l’action est :
    • soit la responsabilité contractuelle. Par exemple : l’action du maître d’ouvrage contre un locateur d’ouvrage pour des désordres intermédiaires.
    • soit, en l’absence de lien contractuel, la responsabilité extracontractuelle.  Par exemple : l’action d’un constructeur contre un autre constructeur auquel il n’est pas contractuellement lié (Cass, 3ème civ, 8 février 2012, n°11-11.417 rappelé par Cass, 3ème civ, 16 janvier 2020, n°18-25.915).

Pour mémoire, le sous-traitant n’est pas un constructeur au sens de l’article 1792-1 C. civ. et n’est pas soumis aux garanties légales du droit de la construction. L’action du maître d’ouvrage contre un sous-traitant ne peut être fondée que sur la responsabilité délictuelle de droit commun (Cass. AP, 12 juillet 1991, n°90-13.602).

La prescription des actions fondées sur le droit commun dirigées contre les constructeurs ou les sous-traitants

S’agissant des actions en responsabilité de droit commun :

  • Les actions dirigées contre les sous-traitants se prescrivent par :
    • dix ans à compter de la réception lorsqu’elles portent sur des dommages de nature décennale (art. 1792 et 1792-2 du C. civ.) ; et
    • deux ans à compter de la réception lorsqu’elles portent sur des dommages de nature biennale (art. 1792-3 C. civ.).

              Mais l’article 1792-4-2 C. civ. qui édicte ces délais est muet sur l’auteur de l’action. La Cour de cassation               précise qu’il s’agit du seul maître d’ouvrage (Cass. civ. 3ème, 16 janvier 2020, n°18-21.895).

 

  • Selon l’article 1792-4-3 C. civ., les actions en responsabilité contre les constructeurs ou sous-traitants fondées sur le droit commun (en dehors de l’article 1792-4-2 C. civ. susvisé) se prescrivent par dix ans à compter de la réception de l’ouvrage.

        L’article 1792-4-3 C. civ. ne dit rien non plus de l’auteur de l’action.

         La Cour de cassation précise que la prescription décennale de l’article 1792-4-3 C. civ. ne s’applique              qu’aux actions initiées par le maître d’ouvrage (Cass. civ. 3ème, 16 janvier 2020, n°16-24.352 et Cass. civ.           3ème, 16 janvier 2020, n°18- 25.915).

Les enseignements suivants peuvent être tirés des trois arrêts commentés :

  • Les actions dirigées contre un sous-traitant se prescrivent par dix ans pour les dommages de nature décennale et par deux ans pour les dommages de nature biennale lorsqu’elles sont initiées par le maître d’ouvrage (art. 1792-4-2 C. civ.).
  • Les actions dirigées contre les constructeurs ou leurs sous-traitants (hors art.1792-4-2 C. civ.) sur le fondement du droit commun se prescrivent par dix ans à compter de la réception lorsqu’elles sont initiées par le maître d’ouvrage (art. 1792-4-3 C. civ.).
  • Les actions en garantie d’un constructeur contre un autre constructeur ou un sous-traitant se prescrivent selon les règles du droit commun (art. 2224 C. civ.).
  • Les actions des tiers (par exemple les voisins ou locataires) contre un constructeur ou un sous-traitant se prescrivent selon les règles du droit commun (art. 2224 C. civ.).

On rappellera, s’agissant du délai de prescription de droit commun, que :

  • Avant le 19 juin 2008 :
    • pour les actions en responsabilité contractuelle, ce délai était de trente ans (art. 2262 ancien C. civ.)
    • pour les actions en responsabilité délictuelle, ce délai était de dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation (art. 2270-1 ancien C. civ.).
  • Depuis le 19 juin 2008, pour les actions en responsabilité contractuelle ou délictuelle, le délai est de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de les exercer (art. 2224 C. civ. issu de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription).
  • Si la prescription était en cours le 19 juin 2008, la nouvelle durée de prescription, réduite par la loi du 17 juin 2008, s’applique à compter du 19 juin 2008. Cependant, la durée totale de la prescription ne peut excéder la durée prévue par la loi antérieure (art. 2222 C. civ.). Cela signifie que la prescription de cinq ans s’applique à compter du 19 juin 2008 mais sans que la durée totale de celle-ci ne puisse excéder dix ans (prescription plus longue prévue par l’art. 2270-1 ancien C. civ.).

Ceci exposé, il convient de détailler les apports des trois arrêts du 16 janvier 2020, notamment quant au point de départ de la prescription.

Zoom sur les 3 arrêts du 16 janvier 2020

  • L’arrêt n°18-25.915 relatif à l’action en garantie d’un constructeur contre un autre constructeur

En l’espèce, un maître d’ouvrage fait construire un ouvrage réceptionné le 23 décembre 1999. A la suite de la survenance de désordres, le syndicat des copropriétaires assigne en référé-expertise l’architecte le 17 décembre 2009, le carreleur le 28 décembre 2009 et l’assureur du carreleur le 15 janvier 2010. En 2013, à l’issue des opérations d’expertise, le syndicat assigne l’architecte en indemnisation. En 2014, ce dernier appelle en garantie le carreleur et son assureur.

Se pose la question de savoir si l’action en garantie initiée par l’architecte en 2014 était prescrite.

La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel pour avoir retenu que l’action était prescrite sur le fondement de l’article 1792-4-3 C. civ. et surtout réserve la prescription décennale de l’article 1792-4-3 C.civ aux seules actions introduites par les maîtres d’ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous-traitants.

La Haute juridiction considère que l’action en garantie de l’architecte a été valablement introduite en 2014 dès lors que :

- la prescription quinquennale de droit commun (article 2224 C. civ.) s’applique aux recours d’un constructeur contre un autre constructeur.

- le point de départ de cette prescription n’est pas la date de réception de l’ouvrage, (en ce sens V. Cass. civ. 3ème, 8 février 2012, n° 11-11.417) mais celle à laquelle les faits permettant d’exercer l’action ont été connus, ou auraient dû l’être, par son titulaire. La Cour retient comme point de départ l’assignation en référé-expertise.

En 2016, la Cour de cassation avait déjà considéré que l’assignation en référé-expertise par laquelle le maître de l’ouvrage met en cause l’entrepreneur principal constitue le point de départ du délai de l’action récursoire de cet entrepreneur à l’encontre des sous-traitants (Cass. civ. 3ème, 19 mai 2016, n° 15-11.355).

  • L’arrêt n°18-21.895 relatif à l’action du locataire contre un sous-traitant ou un fournisseur

En l’espèce, un maître d’ouvrage fait rénover la couverture d’un bâtiment de stockage. La réception intervient en 2001 ; à la suite de l’apparition de désordres, en 2007, il assigne le sous-traitant et son fournisseur en référé-expertise. Par suite, le maître d’ouvrage met également en cause le locataire, exploitant du bâtiment. Ce dernier attrait à la procédure la société en charge de la manutention des stocks. En 2014, le locataire et la société de manutention assignent le sous-traitant et son fournisseur en indemnisation de leurs préjudices. Se pose alors la question de l’éventuelle prescription de cette action.

Vis-à-vis du sous-traitant, la Cour de cassation écarte la prescription de l’article 1792-4-2 C. civ., considérant que ces dispositions bénéficient au seul maître d’ouvrage.

Appliquant la prescription de droit commun, elle considère l’action introduite en 2014 comme prescrite à l’égard du sous-traitant et de son fournisseur, dès lors que les demandeurs n’ont pas interrompu ou suspendu la prescription avant le 19 juin 2013.

S’agissant de la notion d’actes interruptifs ou suspensifs de la prescription, la Cour relève que :

- le seul acte interruptif des demandeurs à l’égard des défenseurs est l’assignation qui leur a été signifiée tardivement (2014) ;

- le fait que les demandeurs (locataire et société de manutention) aient été assignés par une ordonnance commune dans le cadre du référé auquel les défenseurs (sous-traitant et fournisseur) étaient parties est sans effet sur la prescription de leur action.

Cette solution juridiquement rigoureuse pourra sembler sévère aux demandeurs qui n’auront pas pris l’initiative d’interrompre la prescription à l’égard des défenseurs, probablement en raison du fait qu’ils étaient déjà parties au référé en raison de leur assignation par le maître d’ouvrage.

L’indépendance des délais de prescription applicables aux actions du maître d’ouvrage par rapport à celui applicable aux actions des autres potentiels demandeurs (constructeurs, sous-traitants, tiers à l’opération de construire) impose une vigilance particulière afin de conserver ses droits.

  • L’arrêt n°16-24.352 relatif à l’action en trouble anormal de voisinage des voisins contre les constructeurs

En l’espèce, un maître d’ouvrage fait construire des logements après démolition. Un référé préventif est organisé suivant ordonnance du 9 février 2000. Par suite, les travaux engendrent des désordres aux propriétés voisines (décompression de terrain). En 2008, les voisins sollicitent une nouvelle expertise en référé. Par ordonnance du 17 décembre 2008, cette demande est rejetée. Par actes des 21 et 26 octobre 2011 et 4 novembre 2011, les voisins assignent les intervenants à la construction en indemnisation de leurs préjudices sur le fondement des troubles anormaux de voisinage.

Se pose la question de savoir si l’action fondée sur le trouble anormal de voisinage initiée par les voisins est tardive.

La Cour de cassation écarte l’application de la prescription décennale de l’article 1792-4-3 C. civ., réservant le bénéfice de ce texte au seul maître d’ouvrage : l’action des tiers à l’opération de construction est soumise à la prescription de droit commun, avec pour conséquence son caractère tardif en l’espèce.

La Cour retient comme point de départ de la prescription la date de stabilisation des désordres (soit le 31 juillet 2001 selon rapport d’expertise). Ainsi, la prescription avait donc expiré le 31 juillet 2011, soit deux mois avant l’introduction de l’action le 25 octobre 2011.

On relèvera que la Cour a également considéré que le rejet de la demande d’expertise en 2008 étant définitif faute de signification de l’ordonnance dans le délai de deux ans, l’interruption de la prescription par l’assignation devant cette juridiction était non avenue.

Ces trois arrêts du 16 janvier 2020 s’inscrivent dans la continuité des solutions jurisprudentielles retenues en la matière tout en clarifiant le champ d’application des articles 1792-4-2 et 1792-4-3 C. civ.


Actualité du droit immobilier & construction

Cet article a été publié dans notre Lettre Promotion-Urbanisme de Juillet 2020. Cliquez ci-dessous pour découvrir les autres articles de cette lettre.


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Lucie Menerault
Avocate
Paris