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Surprotection des marques faibles : l’exemple de l’affaire So ! c/ So’Bio Etic

Lettre Propriétés Intellectuelles | Mai 2019

09/05/2019

Si la notion de marque faible est inconnue de la loi, elle n’en est pas moins centrale, car entre les signes arbitraires, intrinsèquement distinctifs et les termes descriptifs insusceptibles de constituer une marque valable, il existe des marques évocatrices, suggestives ou allusives, dont le caractère distinctif est faible mais néanmoins suffisant pour bénéficier d’une certaine protection.

Marques faibles : rappel des éléments du débat - Les marques faibles ont toujours généré un certain malaise notamment en jurisprudence. Il n’y a pas si longtemps, la cour d’appel de Paris affirmait de façon péremptoire, que "la marque faible et son prétendu corollaire, la protection faible, ne sont pas consacrés par le droit français" (CA Paris, 26 février 1999, Ann. propr. ind. 2000, p. 99).

A l’inverse, la doctrine a toujours unanimement admis que la notion de marque faible correspond à une situation de fait. En tout état de cause, les mots ne doivent pas cacher la réalité et si la terminologie est ignorée par la loi, la notion de marque faible est cruciale en matière de marques.

A la question "y a-t-il un lien entre la distinctivité du signe et la protection accordée à la marque ?" la réponse est nécessairement affirmative. Le fait qu’une distinctivité faible entraîne une protection limitée ne doit donc choquer personne tant il est incontestable qu’"une marque dotée d’un pouvoir distinctif faible, qui remplit donc la fonction d’indication d’origine moins bien qu’une marque à pouvoir distinctif plus grand, se rappellera moins facilement au souvenir du public que l’emploi d’un autre signe" (Cour de Justice du Benelux, 5 octobre 1982, aff. 81/4, Wrigley c/ Benson).

C’est sur ces différents éléments que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a eu l’occasion de revenir récemment (CJUE, 28 février 2019, C-505/17 P, SO ! c/ SO’BIO ETIC).

Les faits en présence - Le Groupe Léa Nature a procédé le 27 mars 2008 à une demande d’enregistrement de la marque de l’Union européenne (MUE) dans les classes 3 et 25.

Le 9 septembre 2008, la société Debonair a formé opposition sur le fondement des MUE et des marques du Royaume-Uni "SO...?" désignant les mêmes produits.

L’opposition reposait initialement sur l’allégation d’un risque de confusion entre ces marques antérieures et la marque demandée. Annulant la décision de la division d’opposition qui avait rejeté cette opposition, la première chambre de recours de l’EUIPO a refusé la demande d’enregistrement de la nouvelle marque au motif que les signes étaient similaires sur le plan visuel "en raison de la présence de l’élément commun ‘SO’, qui constituait l’élément dominant desdits signes" et, dans une certaine mesure, sur le plan phonétique. La chambre de recours est parvenue à cette solution reconnaissant le caractère distinctif intrinsèque de l’élément "SO" au regard des éléments suivants : 

  • les produits visés ;
  • le caractère distinctif accru des marques antérieures ;
  • la renommée de ces marques pour des produits cosmétiques ;
  • le fait que la société Debonair était titulaire d’une famille de marques contenant l’élément "SO… ?".

Après cette décision, d’autres ont été rendues, puis annulées jusqu’à ce que l’affaire soit finalement entendue par la CJUE.

L’apport de l’arrêt de la CJUE en matière de marques faibles - La CJUE a rejeté le pourvoi en refusant d’accueillir le moyen fondé sur l’existence d’un profit indu tiré de la renommée des marques antérieures et, de façon plus intéressante, celui tiré d’un risque de confusion entre les signes.

Sur le fondement du profit indu tiré du caractère distinctif d’une marque renommée, la CJUE considère que le Tribunal de l’Union européenne, appréciant globalement l’ensemble des facteurs pertinents, a pu retenir l’existence du "risque que le public pertinent établisse un rapprochement négatif avec la marque antérieure renommée pour des cosmétiques et les risques pour la santé associés à certains produits pour blanchir et lessiver" visés dans l’enregistrement de la marque demandée.

Sur le fondement du risque de confusion, la CJUE conforte l’appréciation du Tribunal. Celui-ci avait pris en compte l’impression d’ensemble. Il n’était pas nécessaire, selon la Cour, qu’il vérifie le caractère éventuellement dominant de l’élément "SO" au sein des marques antérieures par rapport au signe litigieux, pour déterminer si le risque de confusion était établi.

Sur ce point l’arrêt est non seulement décevant mais aussi contradictoire.

Approche critique de la position de la CJUE en matière de marques faibles - Après avoir rappelé le principe selon lequel "dans le cadre de l’examen de l’existence d’un risque de confusion, l’appréciation de la similitude entre deux marques ne peut se limiter à prendre en considération uniquement un composant d’une marque complexe et à le comparer avec une autre marque que si tous les autres composants de la marque sont négligeables", l’arrêt conclut à l’existence d’un risque de confusion. Il reconnaît à l’élément BIO la même importance qu’à l’élément SO et néglige complétement les mot ETIC et les éléments figuratifs de la demande.

Par ailleurs, la portée de la protection des marques antérieures aurait dû être réduite eu égard au fait que l’élément verbal se limitait à une syllabe de deux lettres totalement banale et extrêmement répandue. En effet, 2546 MUE, enregistrées en classe 3, commencent par la syllabe SO. Ce chiffre monte à 17 135 si l’on ajoute les marques nationales des Etats membres.

En effet, le caractère distinctif de la marque antérieure est défini dans les considérants de la directive et du règlement sur la marque communautaire comme l’un des facteurs qui doivent être pris en considération pour l’appréciation globale du risque de confusion. De longue date, le risque de confusion repose essentiellement sur la combinaison de trois facteurs d’importance identique : 

  • la similitude entre la marque et le signe postérieur ;
  • la similitude entre les produits ou les services considérés ;
  • le caractère distinctif de la marque antérieure.

Le droit français fait de ces trois critères le point de départ du contrôle du risque de confusion. Sans la détermination du caractère distinctif de la marque antérieure, la constatation du risque de confusion est incomplète et la décision des juges du fond s’expose à la censure.

A l’inverse la jurisprudence européenne, comme l’illustre l’arrêt du 28 février 2019, semble avoir pris une autre direction. Selon cette jurisprudence, il n’existerait pas d’interaction directe entre le risque de confusion et la similitude des signes. Une similitude ne doit pas non plus être admise en fonction du degré de distinctivité de la marque antérieure. L’appréciation de la similitude repose donc sur des constatations empiriques relatives à la perception abstraite du signe par le public concerné, indépendamment de son caractère distinctif.

A l’heure où, face à la saturation des registres de marques et au cycle de vie chaque jour plus court des produits, trouver des marques disponibles relève presque de l’exploit pour les entreprises, des décisions comme celles de la CJUE ne simplifient rien.

Le consommateur du droit des marques a beau être "moyen", il est néanmoins "normalement informé et raisonnablement attentif et avisé", selon nous, pour pouvoir établir une distinction claire entre les marques "SO...?" et SO’BIO ETIC en conflit.


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